La courbe de Rogers en tant que matrice de pilotage des projets innovants

Luc-Olivier
De-risquage des projets innovants
8 min readApr 6, 2022

Série sur le dé-risquage des projets innovants • Article technique pratique #3
niveau : débutant — intermédiaire — expert

Pictured by Asitech

Note : Avant de commencer, sachez que les conseils que je donne sont très majoritairement tirés de techniques couramment utilisées dans l’innovation, la conception ou le management. Je les citerai si nécessaire.

Qu’est-ce que la Courbe de Rogers ?

(prononcez “wodgeurse”, à l’américaine ;-))

Cette courbe est connue sous différents noms.
Son nom initial est : Courbe de diffusion des technologiesMais on la connait aussi sous le nom de : Courbe du cycle de vie des technologies ou des nouveaux produits (ou innovants)

Elle est due principalement à Everett M. Rogers qui l’a développée et exposée en 1962 dans un livre nommé : Diffusion des Innovations (d’après wikipedia) — 5ème édition en 2003.

Quelle est l’idée derrière la courbe de Rogers :

1- C’est l’évolution dans le temps de l’adoption d’une idée, d’une innovation, d’un produit, d’un processus, au sein de la société

2- C’est aussi la séquence qui passe par les différentes motivations d’adoption, ce qui détermine différentes catégories de publics aussi nommées “groupes d’adoption” :

  • les innovateurs (innovators)
  • les primo-adopteurs (early adopters)
  • la primo-majorité ou les pragmatiques (Early majority — pragmatics)
  • la majorité tardive ou les conservateurs (Late majority — conservatives)
  • les retardataires (Laggards)

3- Ce sont également les phases transitoires de passage d’un groupe d’adoption au suivant, phases transitoires qui constituent des fossés ou des gouffres à franchir — le franchissement peut être aidé par les groupes d’adoption précédents (mais pas forcément)

4- Enfin, ce sont les 5 facteurs qui dirigent l’évolution de l’adoption (facteurs qui ne sont pas montrés sur la courbe), à savoir :

  • L’innovation elle-même (une idée, une pratique, un objet ; la nature de la chose…)
  • Le public, que l’on nomme ici “les adopteurs” (la nature de ces adopteurs, leurs motivations, leurs profils, des individus ou des groupes…)
  • Les canaux de communication en œuvre au sein des groupes d’adopteurs et les canaux qui interconnectent les différentes natures d’adopteurs
  • Le temps, vu sur le plan de la durée de présence de l’innovation dans la société, pour en faire un phénomène moins nouveau, mais aussi le temps sur le plan du ou des processus d’adoption liés à la conduite naturelle du changement, à sa résistance…
  • Le système social, en tant qu’influences extérieures (médias, état et collectivités publiques, fédérations…) et internes (opinions leaders)

L’évolution dans le temps peut être longue. Il est peu probable qu’elle soit très courte, (même si ça c’est vu en de rares occasions, bien sûr !).

Qu’est-ce que n’est pas la Courbe de Rogers ?

  • Ce n’est pas la courbe d’évolution des types de clients d’un nouveau produit pris isolément du reste de l’écosystème de l’innovation
  • Ça pourrait être l’évolution de l’adoption d’une innovation du microcosme d’une société ou d’un organisme si l’innovation était isolée du reste du monde ou qu’elle ne s’adressait qu’à une minorité complètement isolée sur le sujet, (mais ce n’est pas sûr que ce soit pleinement possible).
  • Ça ne pourrait pas être les différents types de clients d’une entreprise, excepté si l’évolution de l’adoption d’un type de produit ou d’idée à une phase de transition était longue ; et dans le meilleur des cas, ça ne concernerait qu’un nombre réduit de ces types.

La courbe de Rogers en tant que matrice de pilotage

La courbe de Rogers en tant que matrice peut aider à 4 des activités qu’un manager de projet de produit innovant ou de développement de produits doit réaliser durant la vie du projet pour aider à piloter dans un monde mieux connu.

Le gros avantage (et la pertinence) que représente la courbe est que c’est une courbe d’évolution. Son utilisation conduit à considérer les choses dans le temps et non de façon statique.

Cet article technique pratique contient des directions d’utilisation pour aider le manager de projets et/ou les consultants qui l’aident.

A- L’audit

  1. Auditer le projet/produit et essayer de placer sa position sur la courbe en utilisant à la fois ce que dit l’équipe projet, le chef de produit, le product owner (PO) s’il y en a un, les marketeurs… et ce que dit la promotion et/ou les relations publiques du projet/produit quand elles existent.
  2. Auditer les utilisateurs, les clients, les testeurs privés, les testeurs publics de l’objet du projet/produit et le placer sur la courbe selon les idées qu’ils se font de cet objet, ce qu’ils en disent et les raisons qu’ils ont (ou pas) de l’adopter.
  3. Auditer les concurrents (directs et de substitution) et placer leur projet/produit sur la courbe en trouvant ce qu’ils disent de leur projet/produit, ce que dit leur pub/promotion, leurs relations publiques, leurs clients…
  4. Auditer le domaine public de l’objet du projet/produit à travers les médias, les études publiques, les publications d’articles scientifiques… et positionner le domaine sur la courbe d’après ce qui a été trouvé.

Il est recommandé d’avoir une approche scientifique (conduite par les données), ne pas se contenter d’approximations mais rechercher et obtenir des quantifications le plus possible. Par exemple issues d’interviews d’utilisateurs et/ou de clients, réalisés avec un questionnaire formel et systématique, permettant de catégoriser les réponses et de faire une classification fondée.

Conseil de bonne pratique : l’audit permanent ou récurrent aide à garder le projet en connexion avec l’écosystème, le domaine, la réalité…

B- L’analyse

Classiquement, l’analyse consiste à définir ce qui est correct (IN) et ce qui est incorrect (OUT) et comment, combien, pourquoi ces “corrects/incorrects” le sont et sur quels éléments de l’audit trouvés durant l’audit on se base.

  1. Définir ce qui est correct/incorrect dans CE QUE L’ON SAIT sur l’état de l’adoption sur lequel on s’appuie pour diriger le projet/produit.
  2. Définir ce qui est correct/incorrect dans l’état de développement du projet/produit ou de ce qui a été développé
  3. Définir ce qui est correct/incorrect dans tout ce qui entoure / accompagne / emballe le projet/produit tel que sa promotion, ses services associés, sa vente, sa distribution…
  4. Définir ce qui est correct/incorrect dans les projets/produits des concurrents

Il est recommandé d’avoir une approche dynamique, en essayant d’évaluer comment ces éléments corrects/incorrects évoluent dans le temps et pourraient évoluer dans le futur.

Avant de tracer des stratégies — qui vont forcément commencer à surgir à ce stade de l’opération, formuler toutes les choses à faire telles que :

  • amélioration des connaissances, des données (amplification de l’audit)
  • amélioration de la gestion du projet ou du développement du produit
  • amélioration de ce qui accompagne / entoure / emballe le produit

C.1- La stratégie

Le point clé ici est de définir là où il faut concentrer l’action du projet et/ou du développement du produit dans le cycle d’adoption.

  1. Définir quel est l’état actuel d’adoption du sujet du projet/produit dans la société et trouver les évidences basées sur l’audit et l’analyse.
  2. Définir si c’est une phase transitoire (passage entre 2 groupes d’adoption) et trouver les évidences de cela.
  3. Définir quelle position il est crédible et/ou possible d’adopter pour le projet/produit, en accord avec les capacités d’investissement, les ressources, les impératifs de calendrier
  4. Définir quelle stratégie serait / devrait / pourrait être adoptée par les concurrents au regard de ce qui est connu d’eux.
  5. Tracer la road map à travers la courbe d’évolution de l’adoption ou à travers une partie de celle-ci

Ne pas trop parier sur une rapide évolution de l’adoption. Jouer plutôt avec l’état d’adoption actuel.

C.2- Le référentiel

Établir une “courbe de Rogers” adaptée au projet/produit, résultant de A) l’audit, B) l’analyse et C) la stratégie, courbe “personnalisée” qui servira de référentiel de guidage pour le projet/produit (et qu’il faudra mettre à jour régulièrement).

D- Le Débuggage

Le Débuggage consiste classiquement à trouver ce qui n’est pas conforme ou ne marche pas par rapport à une norme ou un référentiel et proposer des corrections.

Partie 1

  1. Si l’on ne vient pas de faire les points A à C, trouver quel est le référentiel (C.2). S’il n’existe pas, faire les points A à C.
  2. Évaluer le projet/produit en rapport à ce référentiel

Partie 2

  1. Refaire un audit rapide selon le point A
  2. Refaire une rapide analyse selon le point B
  3. Penser à la stratégie évidente selon ce qui a été trouvé rapidement en 2.1 et 2.1
  4. Établir la définition d’un nouveau référentiel rapide.
  5. Évaluer le fossé entre l’état actuel du projet/produit et ce référentiel conçu rapidement en 2.4

Partie 3

  1. Poser les corrections des points A, B et C qui sont nécessaires
  2. Poser les corrections de la gestion du projet/produit, du développement…
  3. Poser les corrections de ce qui accompagne le projet/produit…

Conclusion

La courbe de Rogers est un outil très puissant à utiliser en tant que matrice de pilotage pour les responsables de projets, les développeurs de produits, les startups, les laboratoires d’innovation, les bureaux d’études…

Et elle devrait être bien comprise et utilisée par les consultants, les products owners, les concepteurs de produits….

Luc-Olivier Lafeuille

Téléchargez le Guide d’introduction au dé-risquage des projets innovants (lecture 15 min) : http://url.asitech.design/medium-derisk-intro-form-fr

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Toutes les notes techniques sur le dé-risquage des projets innovant sur la publication Medium “Dé-risquage des projets innovants” ou en anglais “De-risk innovative projets”.

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D’autres notes techniques sur la publication Medium “Conseils de Conception” ou en anglais “Design Tips

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Luc-Olivier
De-risquage des projets innovants

User Centric Addict Product Designer, UX Designer, UI Designer, Graphic Designer, Innovator, Startuper. https://linkedin.com/in/lucolivier