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Et si nous ralentissions ?

David Bessot
demain

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Alors que la course à l’informatisation est constante, ralentir la transformation numérique de l’entreprise semble une hérésie. Pourtant, face à l’inéluctable digitalisation du travail, nous pouvons faire des choix qui sont guidés par un autre attracteur que l’innovation technologique.

Laissons le temps aux êtres humains de s’approprier les choses, formons-les. Surtout, concevons des systèmes d’information plus durables, plus simples, qui répondent correctement aux besoins du quotidien avant de vouloir répondre à des besoins qui n’existent pas encore.

Voici quelques actions qui méritent d’être mises en œuvre dès à présent pour construire un numérique plus responsable dans l’entreprise.

Acculturer les salariés à une pratique numérique responsable

Cela semble une évidence, mais c’est en grande partie le début du problème. L’utilisateur ne sait rien faire et n’a pas le temps. Face à la transformation continue des pratiques et la pression industrielle, nous avons oublié les gestes essentiels nécessaires à une utilisation raisonnée du numérique. Les usagers ont conscience de l’impact du numérique, mais ne savent comment changer leurs pratiques.

La première action consiste donc à expliquer, sensibiliser, diversifier les temps de formations et d’accompagnements : proposer des pastilles plus courtes, sur le lieu de travail, avec les outils du quotidien, des vidéos, des articles, confronter en groupe. Revenons aux basiques : comment gérer ses mails, utiliser un agenda partagé, gérer des espaces documentaires en réseau, choisir son mot de passe, gérer les fichiers de données personnelles.

Nous partons du principe que « tout le monde sait le faire » alors que c’est faux. Nous ne savons plus très bien comment faire.

La charte informatique doit renaître de ses cendres. Cet objet ringard, oublié de chacun, doit devenir un guide de pratiques collectives autour du numérique. Gestion des fichiers Excel, liste de données personnelles, sauvegarde sur le réseau : ces gestes élémentaires sont oubliés, perdus. De nouveaux usages doivent être présentés : vider sa corbeille, effacer des mails envoyés, gérer les copies et les pièces jointes, utiliser des vidéos en basse définition.

Les objectifs de formation peuvent être d’homogénéiser les pratiques entre pairs. Faire discuter les salariés, les agents, leur permettre de confronter leurs pratiques sans nécessairement les remettre en cause. Progressivement, nous devons acculturer l’entreprise à un numérique responsable, cela doit devenir une normalité.

Utiliser les outils que l’on possède

C’est une tentation cultivée par les éditeurs et les industriels, il existe de meilleurs outils et vous devez les acquérir. Dans un système d’information, nous constatons cependant que les outils sont sous-utilisés et que de nombreuses fonctions sont redondantes. Alors, pourquoi changer ? Autant améliorer ce qui existe et assurer une plus grande interopérabilité des systèmes.

Nos outils sont complexes et multiples. Ils manipulent des données, des règles métiers, des fonctions automatiques, des interfaces. Nous devons le plus possible désimbriquer les logiciels. Il s’agit d’isoler des données, de faire en sorte de posséder des référentiels de règles métiers. Les outils qui font tout sont uniquement à privilégier dans des contextes d’informatisation naissante. Sinon, privilégions l’utilisation des outils en place, créons des interfaces, homogénéisons-les.

Supprimer les fonctions redondantes, car dans un système d’information, il n’est pas rare de retrouver trois à quatre fois la même fonction dans différents systèmes, nécessitant trois ou quatre fois plus de gestion. Posséder plusieurs systèmes d’information géographiques, plusieurs outils de mailing, plusieurs outils de visioconférence ne sert à rien.

Essayons de privilégier des services unitaires, plus simples et plus faciles à maintenir. Sur le principe de l’urbanisme des systèmes d’information, isolons des fonctions qui apportent un service de valeur ajoutée (des ilots fonctionnels ou techniques.) Créons des « quartiers » de données où se retrouvent des données homogènes. Si la complexité apparente peut être gérée par la direction des systèmes d’information, le véritable changement viendra des utilisateurs. La DSI est autant un prestataire interne pour les métiers qu’elle est partie prenante de la décision d’architecture. Ainsi, « donner le pouvoir aux utilisateurs » devient une phrase d’un autre temps. Ce n’est pas en leur faisant choisir un outil qu’on leur donne du pouvoir. C’est en les éduquant, en leur apprenant à utiliser les moyens à leurs dispositions.

Asséchons les datalakes

Ces lacs de données conservent, le plus souvent en dehors de toute règle juridique, des données de l’entreprise, émises depuis toujours. Ils ne servent à rien. Le coût de leurs entretiens est trop élevé, consomme de l’énergie. De plus, une donnée qui ne vit pas est une donnée inutile.

La tentation était grande de tout conserver « au cas où ». Mais dans les faits, ils produisent des erreurs et des analyses tronquées. Une entreprise qui utilise ou diffuse de la fausse information sera en grande difficulté ou fera des erreurs commerciales majeures.

Plus que conserver, détruisons. Autorisons-nous à la détruire, signe d’une grande maturité. Allons chercher des informations externes, ouvertes. Croisons-les et imaginons des cycles courts d’exploitation. Créons des centres de service de la donnée qui aident les métiers à mieux comprendre et travailler. Cela aura un impact sur l’organigramme de l’entreprise et redistribuera les fonctions.

Gérons mieux le consentement, qui devient le point d’entrée de la chaîne de valeur de la donnée. Cette donnée personnelle, de vos clients et collaborateurs, est un bien précieux pour votre entreprise. En interne, elle permet d’offrir des pratiques RH innovantes, en externes, elles sont un avantage concurrentiel éprouvé. Avoir un comportement éthique est un avantage concurrentiel. Donner le droit de ne pas faire, de ne pas souscrire : rendre sa liberté de choix à l’utilisateur.

Nous sommes tous devenus des directeurs d’usine. Chacun d’entre nous, dans sa vie personnelle ou professionnelle, nous gérons une usine numérique. Nous récoltons de la matière première, nous la transformons pour en sortir une information améliorée.

Le système d’information, dans toute sa complexité, est devenu une usine à produire des données. Dans l’entreprise de service, c’est la machine-outil du 21e siècle. Ainsi propulsé à la tête d’une usine à données, le dirigeant peut faire des choix différents que ceux de l’accélération technologique. Des choix durables, éthiques, centrés sur l’humain et cohérents avec des pratiques responsables. Nous devons créer une nouvelle normalité de l’usage, basée sur la préoccupation éthique et écologique du numérique.

Infhotep est une entreprise de conseil et d’édition de logiciels spécialisée dans la gouvernance des données www.infhotep.com

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David Bessot
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Cofondateur d’Infhotep et de l’association PrivacyTech • Pour un numérique responsable, éthique & écologique.