Quelle écologie pour la donnée de santé ?

Anaïs Person
demain
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7 min readMar 3, 2020

Appliquer la question de l’éthique de la donnée au secteur de la santé est d’autant plus intéressant que c’est un domaine qui entame son processus de dématérialisation, tout en développant des technologies de pointe et l’intelligence artificielle en santé. De l’algorithme IDX-DR sur les rétinopathies diabétiques aux solutions de dématérialisation des processus d’admissions à l’hôpital, des initiatives s’engagent pour le développement d’un numérique en santé “ethic by design”, éthique dès sa conception.

Face à l’urgence climatique, il convient d’être sobre dans ses modes de consommation, qu’ils soient alimentaires, ménagers ou accessoires.

Les constats illustrés par des associations comme Fréquence Écoles permettent de mesurer l’impact écologique du numérique.

La dématérialisation des données de santé fait l’objet d’initiatives publiques et privées. Les moyens mis en œuvre par ces organismes et les finalités de la dématérialisation sont différents, mais ils sont soumis aux mêmes exigences légales relatives au traitement de données de santé, en termes de licéité, de loyauté et de transparence. Il en ressort que l’écologie de la donnée de santé, dans un contexte de dématérialisation du système, comporte des enjeux éthiques et managériaux.

Les exigences légales relatives au traitement de données de santé relèvent d’obligations réglementaires.

Les données à caractère personnel de santé sont considérées comme des données sensibles par la réglementation. À ce titre, elles relèvent des catégories particulières de données. La particularité des données de santé réside dans le fait que leur traitement est, en principe, interdit. Comme chaque principe a ses exceptions, le traitement des données de santé est possible sous certaines conditions.

Les obligations réglementaires relatives aux finalités du traitement de données de santé, aux bases légales, au recueil du consentement, à l’hébergement par un hébergeur de données de santé (HDS) agréé ou certifié, sont relativement bien assimilées par les organismes responsables de traitement, qu’ils soient publics ou privés. Du moins, ils ne peuvent plus les ignorer vu les sanctions encourues en cas de manquement.

Il est probable qu’en l’absence de garde-fou législatif, la question de l’écologie des données de santé ne devienne pas une préoccupation des responsables de traitement aussi rapidement que l’est devenu le respect des législations nationales et européennes relatives à la protection des données à caractère personnel.

En éveillant les consciences assez tôt et en éduquant les responsables de traitement à l’importance juridique et éthique de l’écologie de la donnée de santé, ce domaine pourrait être un modèle « d’Ecological by Design », à partir du respect des obligations relatives à la protection des données à caractère personnel et du principe de minimisation des données.

Écologie de la donnée de santé et assurance

En parallèle des traitements de santé dans les secteurs médical et hospitalier, le monde de l’assurance santé développe des outils et objets connectés spécifiques au recueil de données personnelles de santé nécessaires à la mise en place de nouvelles offres évolutives.

Le projet d’une société d’assurance de mettre en place un système selon lequel les contractants d’une assurance santé pourraient bénéficier de tarifs avantageux ou voir le montant de leurs prime évoluer en fonction de leur comportement par l’utilisation d’une application mobile est un projet qui a vu le jour sous différentes formes et dans différents pays, comme aux États-Unis et en Afrique du Sud, mais aussi en Suisse et en Allemagne.

En France, l’offre qui s’en rapproche le plus est celle proposée par la société d’assurance Generali via le programme de prévention Vitality et proposée depuis le 1er janvier 2017. Ce programme permet aux assurés dans le cadre d’un contrat collectif d’assurance santé ou de prévoyance, de bénéficier de réductions auprès des marques partenaires.

Le monde de l’assurance santé était un grand collecteur de données avant même la numérisation de nos activités. La quantité des données recueillies ayant vocation à croître avec l’évolution des offres d’assurance santé, il convient d’envisager le principe “Ecological by Default”, en complément du principe “Ecological by Design”, qui implique un grand ménage et un tri dans les bases de données des assureurs santé.

Dans le but d’une intelligence artificielle éthique, en termes juridique et moral, ainsi que d’une écologie de la donnée, il convient pour les assureurs de veiller à ne pas recueillir une deuxième fois des informations dont ils disposent déjà concernant leurs assurés.

Cet effort sera relevé par les assurés et apprécié : les personnes acceptent volontiers de partager leurs données personnelles si cela leur permet de bénéficier d’un service personnalisé.

Être reconnu par leur assureur santé aura donc un impact positif sur la qualité de la relation client, si tant est que l’assureur a informé son assuré du traitement de ses données personnelles en amont de leur collecte.

Enjeux éthiques et managériaux de l’écologie des données de santé

L’ouverture des données de santé est nécessaire à une écologie de la donnée de santé.

La multitude d’informations traitée par les assurances santé résultent, en partie, du fait que les assureurs ont besoin d’informations, même anonymisées, relatives à la santé des personnes. « Les assureurs n’ont jamais demandé à avoir accès aux informations nominatives détenues par la Sécurité sociale mais ont souvent tenté d’obtenir un accès aux données anonymisées. En vain, les différents gouvernements leur ayant toujours opposé une fin de non-recevoir catégorique. »

Aujourd’hui, les assureurs ont trouvé dans le quantified-self, via l’utilisation d’applications mobiles de santé et d’objets connectés, un vivier d’informations personnelles relatives à la santé de leurs assurés, qui leur permettent de créer de nouvelles offres individualisées avec un profilage à la personne près, laquelle paie le prix « actuariel » du risque qu’elle représente, jetant aux oubliettes le principe de mutualisation de l’assurance.

Ceci n’encourage ni la protection de leur vie privée tant que les assurés ne seront pas parfaitement informés de leurs droits, ni l’écologie de la donnée en traitant une quantité d’informations plus importante que nécessaire, alors que les assureurs ne demandaient qu’à consulter un fichier anonymisé et déjà existant.

Les dépenses financières ainsi que les coûts énergétiques et écologiques de ces sur-traitements de données doivent pousser les organismes publics et privés à collaborer pour une véritable écologie de la donnée.

La prise en considération de l’écologie de la donnée implique par ailleurs, qu’il s’agisse du domaine médical ou assurantiel, d’accompagner l’adaptation des métiers : une partie des gains d’efficience obtenus par le déploiement de l’intelligence artificielle et de la robotisation en santé doit être mobilisée pour le financement de cet accompagnement, la formation — initiale et continue — des professionnels aux enjeux de l’écologie de la donnée, de l’intelligence artificielle et de la robotisation et pour le soutien à l’émergence de nouveaux métiers.

L’écologie de la donnée implique de nouveaux modes de gestion des données au sein des établissements, ainsi que de réels échanges entre les institutions pour éviter la duplication des données et leur stockage massif, source de consommation énergétique considérable (en conservant les duplications nécessaires à la sécurité des systèmes d’information et la protection des données). Il convient d’assurer la protection des données dans leur circulation ou leur portabilité, ainsi que la conformité de l’information et du recueil du consentement des personnes concernées.

Concernant les personnes, elles doivent être sensibilisées à l’importance de l’écologie de la donnée, d’un point de vue juridique, éthique et écologique. Ce devoir de pédagogie incombe aux responsables de traitement, qui doivent fournir un effort certain en termes d’expérience utilisateur pour l’information et le consentement des personnes. Le consentement des personnes devra être recueilli au cas par cas en fonction des activités de traitement, pour éviter un rejet de la part des personnes concernées.

Il conviendra de faire en sorte que les personnes saisissent le bénéfice écologique qui justifie la circulation de leurs données, pseudonymisées ou anonymisées.

L’idée d’une circulation des données à caractère personnel entre les différents organismes responsables de traitement comprend une circulation gratuite des données, le dessein de ce partage étant écologique et juridique ; la patrimonialisation des données personnelles n’étant pas à l’ordre du jour.

La centralisation des données, une autre solution à l’écologie de la donnée de santé

Les travaux du Dossier Médical Partagé sont une source d’inspiration, en réponse à cette obligation sociale.

En termes de données de santé, les travaux menés pour le développement du Dossier Médical Partagé sont intéressants du point de vue de l’écologie de la donnée : la centralisation des informations permettrait de réduire considérablement l’impact écologique de la recherche pour l’innovation en santé.

Plusieurs conditions doivent être respectées pour la mise en place d’un tel dispositif, notamment en termes de sécurité des systèmes d’information, de protection des données à caractère personnel des individus et évidemment d’éthique dans l’utilisation des données.

Le Dossier Médical Partagé consiste en un carnet de santé numérique, ouvert à tous sur la base du volontariat, pour améliorer la qualité des soins et ainsi éviter les examens et les prescriptions redondants. Le but : éviter la duplication inutile des données, la souffrance éventuelle des patients et ainsi viser la réduction des coûts.

La centralisation des données de santé, sous réserve de la garantie d’un haut niveau de sécurité et de protection des informations stockées est une réponse réelle à la problématique de l’écologie de la donnée et de la sobriété numérique.

La centralisation des données devrait revenir à réunir des informations de santé pour une meilleure protection des individus et de leur environnement, tout en encourageant l’innovation.

Il faut utiliser les solutions techniques existantes et améliorer les pratiques pour aboutir à une écologie de la donnée. Il est important de ne pas sur-réguler la question de l’écologie de la donnée, notamment de santé. Le secteur de la santé est en ébullition et l’ajout de contraintes réglementaires risque de faire perdre ses talents à la France, qui vont préférer partir à l’étranger. Il importe de ne pas augmenter les délais ni complexifier les procédures.

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Anaïs Person
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Anaïs est doctorante en droit et santé sur le thème des assurances et déléguée à la protection des données