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A la veille des élections communales, nous avons choisi de parler et de faire connaitre des initiatives locales, portées par les élus, qui même très modestement ou avec leurs limites, contribuent à faire progresser le droit au logement.

Certaines communes bruxelloises ont fait de la lutte contre l’insalubrité leur priorité. Pour être efficaces, un seul mot d’ordre, dépasser les logiques institutionnelles ou de service, en soutenant le développement de collaborations structurelles entre acteurs locaux, communaux. Et ils sont nombreux à la cause. Pour faciliter l’identification des logements qui posent problème, encourager le partage d’informations et coordonner les interventions. Mais de quoi s’agit-il concrètement et quelle plus-value en retirer ?

Des logements de mauvaise qualité, il y en a dans toutes les communes bruxelloises, mais leur concentration est cependant bien plus forte dans les quartiers situés le long du canal, dans le croissant pauvre de Bruxelles. On y trouve un bâti ancien, peu rénové et beaucoup de petits logements surdivisés. Ils servent de logements sociaux de fait à des publics à très bas revenus qui ne trouvent pas à se loger ailleurs et notamment aux primo-arrivants[1]. La suroccupation y est importante : la faiblesse des revenus contraint à accepter des logements inadaptés à la taille du ménage.

Référence : Bruxelles Développement urbain, rapport d’activités 2015, p.46

La carte illustre bien le phénomène du mal logement dans les quartiers du croissant pauvre, à cheval sur plusieurs communes dont Molenbeek, Schaerbeek, Saint-Josse, Saint-Gilles, Forest, Anderlecht et Bruxelles. C’est là que l’Inspection régionale du Logement (DIRL), garante des normes d’habitabilité du Code du logement, intervient le plus souvent contre des biens qui, vu leur état, ne peuvent continuer à être loués. C’est donc bien là que la problématique doit être prise à bras-le-corps, ce qui ne dispense pas les autres d’agir, car le problème s’étend au-delà des quartiers mentionnés.

Si la DIRL est en première ligne dans la lutte contre l’insalubrité, les communes ne sont pourtant pas en reste. D’abord, parce qu’elles sont étroitement associées au dispositif régional[2]. Ensuite parce que les communes ont des compétences propres en matière de salubrité et de sécurité publique (nouvelle loi communale) qui leur permettent d’agir sur les logements en mauvais état (exécution de travaux, fermeture…). L’urbanisme peut aussi mener les agents communaux vers des logements très problématiques, subdivisés à l’excès, qui créent des conditions de vie déplorables pour les locataires. Taxer les propriétaires de biens insalubres est une autre piste que certaines communes[3] ont choisi d’emprunter.

Le cadre pour agir existe. Mais rien n’est simple. Au niveau local, les compétences sont souvent morcelées entre services. Certains logements sont connus à différents niveaux de l’administration communale (population, urbanisme, service hygiène, police,…), mais l’information n’est pas partagée et les interventions restent isolées. Une situation qui profite aux propriétaires les moins scrupuleux.

La complexité de certaines situations ou leur historique impose des réponses collectives qui dépassent d’ailleurs le cadre strict de la commune. D’autres partenariats (institutionnels, associatifs) doivent être établis pour construire un début de solution, car l’objectif n’est pas de fermer des logements, mais bien d’en améliorer la qualité.

A Schaerbeek, les autorités communales ont choisi d’attaquer l’insalubrité sous deux angles et au travers d’un double dispositif. Il y a d’un côté la plateforme logement, coordonnée par l’asbl RenovaS et résolument inscrite dans une dynamique d’accompagnement à la rénovation. De l’autre, la cellule ILHO (investigation logement/huisvesting onderzoek) dont la priorité est la lutte contre les marchands de sommeil. Dans les deux cas, la volonté est claire : mettre tous les acteurs concernés autour de la table pour avancer. Détails.

Plateforme logement : activer la rénovation des logements

RenovaS est une asbl communale qui a pour mission la mise en œuvre des contrats de quartier(CDQ) à Schaerbeek. Une singularité à l’échelle de la Région. Elle développe aussi un service de conseil en rénovation et en énergie pour les particuliers (propriétaires et locataires) et est à ce titre, membre du Réseau Habitat. C’est en 2012, dans le cadre du contrat de quartier ‘‘Coteaux-Josaphat’’, que nait la plateforme logement. Elle est aujourd’hui active sur tout le territoire communal. RenovaS est subsidiée par la commune pour sa mission de plateforme logement.

Le travail de proximité réalisé par l’asbl dans les CDQ fait apparaitre de nombreux problèmes de mal logement dans les périmètres d’intervention. En faire l’inventaire, vérifier si des interventions ont déjà été menées, si les situations sont connues et prises en charge par d’autres partenaires et lesquels, va être un préalable à l’action. L’autre point, c’est que les logements identifiés cumulent souvent les problèmes (subdivisions illégales, infractions au code du logement, problèmes de sécurité…) et les situations rencontrées sont délicates (tensions entre bailleurs et locataires, occupation inadéquate du logement, surpeuplement, difficultés financières du bailleur…). La plateforme encourage la mise en réseau pour dénouer cette complexité.

Qui sont les acteurs de la plateforme ? RenovaS qui, outre la coordination, apporte son expertise en matière d’aide à la rénovation, le service de l’urbanisme — sa représentante est entre autres impliquée dans ILHO -, le service population, la cellule logement du CPAS, la DIRL, La Maison des médiations (la médiation locale) et Soleil du Nord, aide juridique et sociale. D’autres acteurs prennent part au projet mais de manière plus ponctuelle, c’est le cas de l’agence immobilière sociale locale, ASIS, qui peut être amenée à prendre en gestion certains logements et Bricoteam vzw qui réalise de petits travaux de réparation à moindre cout. La police de proximité (agents de quartier) est partenaire dans la mesure où elle possède une connaissance fine des réalités de terrain, dont celle du logement et de ses occupants. Le service taxe peut être sollicité, à l’occasion, pour vérifier l’historique de taxation d’un immeuble (taxe locale sur les immeubles laissés à l’abandon ou négligés).

La plateforme se réunit en moyenne tous les deux mois. Chaque membre peut soumettre de nouvelles adresses. Elles font l’objet de vérifications. Le service population, par exemple, fournit des éléments déterminants sur l’occupation des biens, via les domiciliations. Une des récurrences dans les dossiers de la plateforme, ce sont les logements surnuméraires[4]. De son côté, l’urbanisme vérifie l’historique des permis introduits, l’éventuel passif de l’immeuble (constats et visites antérieures, mises en demeure…). La plateforme est notamment l’occasion de réactiver des dossiers ‘‘dormants’’ sur lesquels des actions ont été menées par le passé, mais sans réaction aucune du propriétaire. Sanction de la DIRL ou obligation de régularisation urbanistique restée sans effet, entre autres.

Cette première phase de recueil d’indices doit permettre de déterminer si l’intervention de la plateforme est nécessaire ou pas : l’existence de problèmes multiples est décisive. Chaque adresse retenue fait alors l’objet d’un suivi soutenu jusqu’à résolution ou jusqu’à ce que la majorité des obstacles soit levée. L’accompagnement reste nécessaire, mais le collectif n’est plus indispensable pour aboutir : permis d’urbanisme introduit, travaux entamés, relogement des locataires en cours…

Pour faire bouger les propriétaires, la plateforme combine approche incitative — conseils en rénovation, aides à l’obtention de primes régionales, passage en AIS — et contraignante — dépôt de plainte à la DIRL, visite du service de l’urbanisme et éventuelle mise en demeure, taxe communale… La stratégie va dépendre et de l’attitude du propriétaire et du choix des locataires à agir.

Les membres de la plateforme ont signé un protocole d’accord sur la confidentialité à accorder aux informations récoltées. Il implique que les données ne serviront pas à autre chose. Par ailleurs, ce protocole précise qu’aucune action n’est entreprise auprès du bailleur sans consentement des locataires.

La Ville de Bruxelles s’est lancé dans un projet similaire pour la durée du contrat de quartier Bockstael, 2013–2017. Le réseau d’acteurs, appelé comité technique, a travaillé pendant quatre ans sur l’insalubrité et l’inoccupation des logements dans le quartier laekenois. Il est désormais question de pérenniser l’initiative et de l’étendre à toute la commune. Les discussions sont en cours.

ILHO : lutter contre l’indécence à Schaerbeek

ILHO cible les marchands de sommeil[5], les situations d’insalubrité grave dont sont victimes des publics très vulnérables. Par exemple : maison bruxelloise renseignée unifamiliale et pourtant découpée illégalement en plus de 10 unités de logement, logements fermés par la DIRL ou la commune mais cependant remis en location dans le même état, logements dans les caves sans équipement de base, absence de contrat de bail, loyers excessifs, augmentation de loyers injustifiées, expulsions sauvages…

Au niveau des acteurs communaux, les constats sont un peu les mêmes que pour la plateforme logement : l’information ne circule pas assez entre services, les actions ne sont pas suffisamment coordonnées, chacun travaille dans son coin avec des fortunes diverses. Le sentiment d’impuissance est élevé dans le rang des travailleurs face à l’impunité de certains propriétaires.

En 2015, les mandataires communaux donnent le feu vert pour ILHO. Au départ, deux personnes sont affectées au projet. Elles sont désormais sept et bientôt huit. Des personnes qui travaillent presque toutes exclusivement pour la cellule. La commune débloque 250.000€/an pour le projet[6].

Autour de la table et comme noyau de base, il y a le service de la population, l’urbanisme, le service contentieux administratif — à la coordination, et surtout précieux pour son expertise juridique — et la police, en première ligne pour détecter le pire. Le service taxes devrait rejoindre la cellule ILHO d’ici peu. Des partenariats soutenus existent avec la DIRL et le Parquet, qui peut poursuivre pénalement les infractions urbanistiques graves et les propriétaires suspectés de marchands de sommeil. ILHO encourage la réactivation de dossiers en ‘‘souffrance’’. Les remises en location de logements sans autorisation sont aussi en ligne de mire.

Entre 2016 et 2017, la cellule a effectué 21 visites d’immeubles, dont 17 se sont soldées par des procès-verbaux renvoyés au Parquet. La volonté est de constituer des dossiers les plus complets et solides possibles pour pouvoir aboutir. Tous les dossiers sont ouverts au Parquet et font actuellement l’objet d’un complément d’enquête. 11 permis d’urbanisme ont par ailleurs été introduits par les propriétaires qui semblent vouloir réagir face à la menace d’une sanction pénale. Des plaintes ont par ailleurs été déposées à la DIRL.

Schaerbeek n’est pas la seule commune à agir contre les marchands de sommeil. Molenbeek, avec la cellule logement et son protocole marchands de sommeil, ainsi que Saint-Gilles avec UNEUS[7] développent des collaborations proches du modèle schaerbeekois, bien que dans les deux cas, le CPAS et son service logement soient étroitement associés au dispositif. Il est en effet une question sur laquelle nous ne nous sommes pas encore arrêtés, c’est le sort des locataires dans pareilles opérations.

Les interventions d’ILHO, d’UNEUS ou de la cellule logement de Molenbeek (protocole) n’ont pas pour origine l’initiative d’un locataire ou rarement alors. Les victimes sont pour partie des réfugiés, des personnes sans titre de séjour ou dans des situations sociales très précaires qui craignent de perdre leur logement, même le pire. Le but des actions est évidemment de combattre l’insalubrité, les propriétaires malhonnêtes et pas les locataires, mais en même temps, une fois enclenchées, ces actions ont toujours des conséquences pour les occupants.

Si des travaux d’envergure doivent être réalisés et c’est très souvent le cas, les habitants devront tôt ou tard quitter le logement. L’espoir d’un retour est faible, d’autant que pour les logements surnuméraires, la régularisation aboutit toujours à une diminution. Et puis, ce sont des situations de détresse aiguës qui sont dévoilées à l’occasion des visites. Il faut donc aussi autour de la table, des acteurs qui apportent une dimension sociale au projet. ILHO n’a pas fait ce choix à ses débuts, mais la situation est en passe d’évoluer. Le recrutement en cours concerne un poste d’assistant social. Par ailleurs, l’ébauche d’une collaboration se dessine avec le CPAS.

Pour avancer, il faut encore booster l’offre de relogement. Le paradoxe d’un dispositif comme ILHO, c’est qu’il révèle des situations de vie indécentes sur lesquelles il faudrait pouvoir agir vite, mais faute de logements disponibles, les évolutions restent lentes[8]. Le relogement est une question lancinante sur laquelle tous les acteurs butent.

A la Ville de Bruxelles, l’agence immobilière sociale, AISB, était membre du comité technique évoqué plus haut. Sa participation a ouvert des perspectives en matière de relogement. Plusieurs locataires ont pu quitter un logement insalubre et trouver une solution durable dans le parc géré par l’AIS. D’aucuns auraient souhaité un engagement fort de la régie foncière de la Ville — propriétaire de plusieurs milliers de logements et par ailleurs coordinatrice du projet — quant à la mise à disposition de logements de son patrimoine pour reloger, mais ils n’ont pas été entendus. A voir si la reconduction du projet permettra d’aller plus loin.

A Molenbeek, c’est l’offre de transit qui a été étoffée ces dernières années, de 14 logements en 2012 à 23 au terme de la législature. Leur particularité est d’accueillir prioritairement les locataires victimes d’insalubrité pour 18 mois maximum. Si le logement de transit est polémique, parce qu’il peut s’avérer sans issue pour les locataires et les gestionnaires (taux de rotation au point mort), il reste un levier à Molenbeek. Le transit a été pensé à l’origine comme un moyen d’encourager des opérations-tiroirs, c’est-à-dire la rénovation d’un logement avec, à l’issue des travaux, la réintégration du locataire. En 2013, 7 opérations de ce type ont pu être lancées[9]. Elles sont cependant de moins en moins nombreuses. Depuis peu, il existe également une plus grande perméabilité entre le dispositif de transit et l’agence immobilière sociale la MAIS, ce qui permet le glissement de certains occupants vers une location classique. Ces choix stratégiques donnent une bouffée d’air au transit molenbeekois.

Des communes bruxelloises se retroussent les manches pour attaquer de front la problématique de l’insalubrité. La récurrence dans toutes ces initiatives, c’est l’attention collective et le suivi systématique accordés aux situations qui posent problème, dont les plus graves. On aimerait voir toutes les communes, notamment celles où la problématique est la plus aigüe, leur emboiter le pas.

La lutte contre l’insalubrité continue néanmoins d’achopper sur un obstacle majeur, celui du relogement. Tant que des solutions ne seront pas dégagées au niveau local pour reloger les locataires, il y aura toujours d’importantes limites à l’action. Il y a là des responsabilités politiques à prendre.

Nous remercions toutes les personnes qui ont aimablement accepté de nous rencontrer et nous ont éclairés sur le sujet : Cellule Logement de Molenbeek - RenovaS - Cellule ILHO de Schaerbeek - Convivence ASBL - Coordination du projet UNEUS à Saint-Gilles - CAFA

Cette analyse est publié à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[2]En cas d’interdiction de mise en location d’un logement prononcée par la DIRL. Les interdictions de mises en location sont soit immédiates, quand le logement met en péril la sécurité ou la santé des locataires, soit prononcées à l’expiration d’une mise en demeure de faire des travaux, si ceux-ci n’ont pas été exécutés dans les délais. C’est au Bourgmestre d’exécuter la décision, soit fermer le logement, sans pouvoir cependant ignorer le sort des locataires. C’est encore à lui à veiller à ce que le logement ne soit pas remis en location sans travaux.

[3]L’exemple le plus frappant est celui de Molenbeek qui possède une taxe sur les logements insalubres fixée à 2000€/an, par unité de logement. Ce montant augmente au fil des années. C’est un des dispositifs les plus performants qui pousse les propriétaires à remettre leur bien en conformité.

[4]Unité de logement produite par subdivision illégale (sans permis d’urbanisme)

[5]Le marchand de sommeil est une notion pénale qui recouvre plusieurs réalités difficiles à bien cerner et donc à réprimer : location d’un logement à un public en situation de grande précarité, logement incompatible avec la dignité humaine, réalisation d’un profit anormal dans le chef du propriétaire. (Article 433decies). Quand on parle de marchands de sommeil dans le langage courant, on approche cette notion : loyers prohibitifs, logements indécents, exploitation de la détresse de publics fragilisés…

[6] http://plus.lesoir.be/153110/article/2018-04-24/schaerbeek-veut-eradiquer-les-marchands-de-sommeil

[7]UNEUS, union pour un environnement urbain sécurisé. La lutte contre les marchands de sommeil est une des pièces seulement d’un dispositif plus large, policier celui-là, qui fait d’ailleurs l’objet de vives critiques.

[8]Les interventions de la cellule ILHO n’ont abouti à aucun départ forcé de locataires. Aucun logement n’a été fermé par arrêté du Bourgmestre, bien que tôt ou tard, la remise en conformité des logements impliquera de vider les lieux.

[9]Logement de transit, rapport d’activités 2013–2016, administration communale de Molenbeek-Saint-Jean.

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