2033 : La Réserve de l’Info Locale
Cette keynote-fiction participative a été imaginée pour le Festival de l’Info Locale, à l’occasion d’une carte blanche donnée par Ouest Médialab en Septembre 2023. Au côté de Raphaël Poughon (directeur de la prospective au sein du Groupe Centre France), nous avons proposé au public du festival une plongée dans les nouveaux métiers de l’information en 2033.
Ce long-format propose une retranscription de l’expérience de Design Fiction jouée lors du festival.
Si ce format d’anticipation vous intéresse ou si ces fictions suscitent des réflexions, n’hésitez pas à nous en faire part en nous écrivant à info[@]design-friction{.}com (mais avant, prouvez-nous que vous n’êtes pas un robot !).
Bienvenue en 2033, pour ce test d’orientation organisé par la Réserve de l’Info Locale
Bonjour à toutes et tous, ravi de vous retrouver en cette belle journée de 2033. Je m’appelle Bastien Kerspern, je suis aiguilleur de compétences pour la Réserve de l’Information Locale.
Je vous souhaite la bienvenue pour cette session d’orientation un peu particulière. C’est la dernière étape de votre parcours, avant de rejoindre la Réserve de l’Info Locale, la “RIL” pour les intimes.
Si vous êtes parmi nous aujourd’hui, c’est que vous avez exprimé le souhait de vous engager dans notre Réserve de volontaires. Nous vous remercions pour le temps que vous accordez à notre noble mission.
Nous allons aujourd’hui faire un test collectif pour définir quel rôle, quel métier, quelle spécialité vous conviendrait le mieux au sein de la Réserve de l’Info Locale. C’est en remplissant ce rôle et en assurant ce métier que, dès demain au sein de la Réserve, vous volerez au secours des médias en difficulté.
Mais comme le veut l’adage, pour savoir où l’on va, il faut déjà savoir d’où on vient. Depuis 2024, le monde vit une situation de polycrise permanente. Nous allons de surprise en rupture depuis près d’une décennie.
Cependant, si l’on analyse cette polycrise de plus près, trois facteurs-clés successifs ont amené les médias à repenser leur manière d’informer. Ces trois mêmes facteurs nous ont conduits à créer la Réserve de l’Info Locale.
Premier facteur :
La mise en place d’un éco-score des organisations
Tout au long de la seconde moitié des années 2020, l’aggravation rapide de l’urgence climatique et environnementale a obligé la France à bifurquer radicalement vers un modèle de société plus soutenable.
Vous n’avez pas pu passer à côté, depuis 2028, tous les acteurs publics et privés de France, y compris les médias, se sont vus attribuer un éco-score. Cette note vient évaluer le caractère écologique des activités et des processus de l’organisation, au quotidien. Plus on agit concrètement pour réduire son empreinte environnementale, meilleure est notre note.
Derrière ce système d’évaluation et de suivi, on retrouve le défi d’une décarbonation rapide de nos modes de vie, mais surtout une décarbonation qui soit portée par l’ensemble des acteurs de la société.
L’éco-score est aujourd’hui la boussole qui guide la plupart des médias : vous le savez, il faut se montrer vert et vertueux, car cette note conditionne à la fois l’obtention de nombreuses subventions publiques, mais aussi la confiance du lectorat. La pression économique et sociale qui pèse sur ceux « ne jouant pas le jeu de l’éco-score » est une complexité que les médias ont à gérer au jour le jour, en 2033.
Second facteur :
La fatigue informationnelle augmentée par l’IApocalypse
L’Apocalyse de l’Intelligence Artificielle n’a pas été celle qu’Hollywood nous avait vendue. Pas de systèmes intelligents déclenchant le feu nucléaire, ni de robots remplaçant les humains.
À la place, nous avons eu quelque chose de plus sournois.
Depuis 2022, l’accélération et la massification des intelligences artificielles génératives — dignes héritières des désormais obsolètes ChatGPT et autre MidJourney — ont créé toujours plus de contenus hyperpersonnalisés. Cette explosion du contenu sur-mesure, généré automatiquement, a pu prospérer faute d’une réglementation adaptée en Europe.
Sollicités en continu par les entreprises, les États et les médias, c’est une vraie guerre cognitive qui cherche à s’accaparer l’attention de nous autres citoyens. Cela a des conséquences très concrètes sur notre santé mentale et notre démocratie, avec en premier lieu une fatigue informationnelle qui est entretenue par la saturation face à l’actualité. On peut le déplorer, mais s’informer est devenu quelque chose de pénible.
En effet, selon le dernier barème du Cevipof de 2033 : c’est près de 86% de la population française qui déclare souffrir de dépression informationnelle ; quand 62% développent des comportements d’évitement de l’info tel que le WOMO — Wish Of Missing Out ; ou l’envie de rater une information.
En résumé, nous avons un désintérêt général pour l’information « traditionnelle » qui laisse prospérer une nouvelle génération de fake news, bien aidée par des IAs toujours plus convaincantes.
Dernier facteur, mais pas des moindres :
L’émergence du Splinternet
Pour celui-ci aussi, vous n’avez pas pu passer à côté.
Depuis le tournant de 2025, on voit s’opérer un glissement certain vers un Internet fragmenté en région qui supplante l’Internet historique, commun à tous les pays. C’est ce qu’on appelle le Splinternet.
En 2033, on peut parler d’une vraie « balkanisation du Net », avec différents réseaux allant du Net continental à un Net municipal. L’Internet mondial vit peut-être ses dernières heures.
J’imagine que vous avez déjà dû essayer de vous connecter à un des nouveaux Nets : que ce soit au Net Grand Americano-Saxon — qui est accessible aux habitants des États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie et quelques pays d’Amérique du Sud ; ou au Net Sino-Africain ; ou encore Liberasia, le Net libéral d’Asie, opéré notamment par le Japon, la Corée du Sud, l’Indonésie, ou encore l’Inde.
Vous avez pu également constater que ce Splinternet naissant vient fortement limiter l’accès à certains services et contenus en ligne, avec des frontières numériques permises par les technologies de géoblocage. Par exemple, ce sera quasi-mission impossible de se connecter à Rosnet, le Net d’influence russe, sans montrer patte blanche. Sauf à connaître un cyberpasseur, mais nous y reviendrons !
L’émergence du Splinternet est un vrai enjeu pour l’Union Européenne, de même que pour la France, qui doit encore développer son propre Net. De leur côté, les médias apprennent toujours à naviguer entre tous ces Nets des différentes régions du monde, mais aussi parfois entre les Nets à l’intérieur même du pays.
En France, on peut citer Breizhnet — le micro-Net breton monté par des Breizhxiteurs — , e-uskadi le micro-Net basque, ou encore la récente annonce d’un micro-Net picard qui se cherche encore un nom.
Comme je vous le disais, ces trois grandes transformations du monde, mais aussi de nombreuses autres ruptures, ont amené les médias locaux à devoir s’adapter, avec les moyens à leur disposition.
C’est ce qui constitue l’acte de naissance à la Réserve de l’Information Locale, fruit d’une alliance de médias locaux qui ont décidé de mettre leurs forces en commun, plutôt que d’attendre que la loi du marché vienne les décimer.
Si vous prenez part à cette session, c’est que vous connaissez déjà bien la mission de la Réserve. Mais je suis tout de même tenu contractuellement de vous rappeler notre raison d’être et nos actions.
Il y a donc quatre ans, en 2029, que s’est formé un groupe de volontaires, face aux nombreux défis que doit relever l’information locale et à l’urgence de réaffirmer la place des médias en tant que quatrième pouvoir.
La Réserve de l’Info Locale est initiée par une dizaine d’acteurs de l’information locale répartis aux six coins de la France pour faire front commun. Sa mission : se mettre au service des acteurs de l’information qui sont dans le besoin.
Aujourd’hui, c’est un ensemble grandissant de médias locaux, indépendants et groupes de presse, collectivités et associations, qui gouverne aujourd’hui la Réserve, à la manière d’une coopérative.
Que ce soit par conviction ou pour amorcer une reconversion, des professionnels et des citoyens peuvent devenir réservistes et être appelés pour prêter ponctuellement main-forte à des médias locaux qui :
— Affrontent des crises (ex. une cyberattaque, une pénurie de ressources-clés, une procédure-bâillon),
— Montent des initiatives spéciales (ex. une grande investigation, une nouvelle phase de transformation écologique, la promotion ou le test d’un nouveau format).
En résumé : la RIL est une force volontaire à disposition des médias locaux qui ont besoin d’un appui face aux difficultés du XXIe siècle.
Parlons argent maintenant, car la question de notre financement est souvent l’une des premières que l’on nous pose !
Vous vous demandez certainement comment se finance la Réserve ?
Cela tombe bien, nous avons fait vœu de transparence :
Depuis ses débuts, la Réserve est financée grâce à une subvention citoyenne, proposée par la Ministre de la Culture Julia Cagé.
Depuis 2028, un chèque média d’un montant de 75€ est octroyé chaque année par l’État à chaque citoyen. Les citoyens peuvent ainsi reverser le montant de ce chèque à un média en particulier ou le partager entre plusieurs titres. De nombreux citoyens ont fait le choix de reverser leur chèque média à notre Réserve et nous les en remercions chaleureusement.
Cela évite aux médias déjà en difficulté d’avoir à creuser leur déficit pour faire appel à notre aide. Nous veillons cependant à ne pas être une concurrence déloyale, sauf auprès de certains grands cabinets de consulting. Et oui, vous serez bien entendu rémunéré pour votre temps au sein de la réserve. Vous êtes certes volontaires, mais pas bénévoles !
Préparez-vous pour le dernier test d’orientation avant votre entrée au sein de la Réserve
Venons-en à la raison de votre présence aujourd’hui.
Avant de rejoindre définitivement la RIL, nous devons définir ensemble quel rôle, quel métier vous allez assurer parmi nous.
Suite à vos candidatures, nos algorithmes ont déjà analysé vos profils et vos données personnelles, ce qui a permis d’affiner les spécialités et les métiers qui peuvent vous être proposés. L’objet de ce dernier test est de valider cette orientation et que vous rejoignez dès demain votre nouveau rôle au sein de la Réserve.
Malheureusement, notre algorithme d’orientation est en panne ces jours-ci, suite à un problème de mise à jour. Nous allons devoir faire ce test « à l’ancienne », avec une solution low-tech de secours que vous avez trouvé sur vos chaises : L’Annoteur.
Le test que nous allons faire ensemble se déroule de la même manière que les tests de personnalité que vous pouvez retrouver dans vos magazines préférés.
Vous serez confrontés à sept situations — certaines en lien avec les médias, d’autres non — avec trois propositions pour chacune des situations. Vous choisissez alors la réponse qui vous correspond le plus et notez son symbole : carré, rond ou triangle.
À la fin du test, nous analyserons ensemble vos choix et cela nous indiquera quelle spécialité de la Réserve est la plus adaptée à votre profil.
Vous êtes prêts ? Alors c’est parti !
Le test est terminé.
Chers volontaires, passons maintenant aux résultats !
Vous le savez peut-être, la Réserve est composée de trois divisions, soit trois grandes familles qui ont chacune leur champ de spécialité et leurs propres métiers :
— La division Écologie Active
— La division Confiance Restaurée
— La division Numérique Sobre
Ces trois divisions ont un socle en commun : la mission de lutter contre les déserts médiatiques qui se multiplient. En effet, les volontaires de la RIL peuvent être mobilisés pour assurer des missions de continuité de l’information sur ces territoires qui en sont privés ; et ce quelle que soit leur métier au sein de la Réserve.
Selon vos réponses au test d’orientation, vous êtes affecté·e à l’une de ces trois divisions de la Réserve de l’Info Locale :
— Vous avez une majorité de carrés : bienvenue au sein de la division Écologie Active.
— Vous avez une majorité de ronds : félicitations, vous êtes admis·e dans la division Confiance Restaurée.
— Vous avez une majorité de triangles : bravo, vous voilà membre de la division Numérique Sobre.
Chaque division est unique dans son approche et propose des métiers spécifiques qui vont vous être présentés. Nous favorisons l’autonomie de nos membres, vous êtes donc libre de choisir le métier qui vous convient le plus au sein de la division que vous avez rejointe.
La division Écologie Active et ses métiers
Pour celles et ceux qui comptent parmi les rangs de la division Écologie Active, vous jouerez un rôle décisif dans l’accélération de la transition écologique des médias.
Le mot d’ordre de la division Écologie Active est d’aligner les médias sur les limites planétaires.
Autrement dit, rester sous certains seuils que l’humanité ne doit pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer et qui lui permettent de vivre durablement dans un écosystème habitable.
Pour rester dans les limites planétaires, la division Écologie Active multiplie les champs d’action :
— La décarbonation accélérée de l’information,
— L’accompagnement des transitions dans un esprit de justice socio-environnementale,
— L’appui aux expertises internes des rédactions sur les sujets climat et biodiversité,
— La gestion des chocs météorologiques menaçant la continuité de l’information.
En rejoignant la division Écologie Active, vous pourriez devenir celui ou celle qui ramène l’équilibre au sein des rédactions.
En effet, l’heure n’est plus aux chartes écologiques non-contraignantes ou aux postures empreintes de greenwashing, mais à une action concrète et radicale qui pourrait se résumer par la trilogie « mieux faire, ne pas faire, défaire » !
En tant que Pondérateur·rice en chef·fe, vous serez amené·e à :
— Aider à évaluer et décider si le coût écologique d’une information vaut le coup qu’elle soit publiée.
— Inciter à plus de sobriété informationnelle, à la revalorisation et à la durabilité des sujets abordés et des contenus produits.
— Accompagner le volet psychologique de la transition écologique, que ce soit pour aider le média à tourner la page d’une information écologiquement non-soutenable, à abandonner certaines pratiques de production ou diffusion, ou encore à renoncer à certaines opportunités marketing.
Vous pourrez compter sur votre outil-clé :
La balance info-environnementale est un outil intelligent pour peser le « pour » et le « contre » lors de la publication d’une actualité.
La balance vient analyser les externalités positives et négatives générées par la parution de l’information, aux plans de l’écologie et de l’intérêt public. Elle est une aide précieuse pour prendre du recul sur l’impact environnemental du média.
Au poste de Manipulateur·rice éco-vertueux·se, votre devise pourrait être « aux grands maux, les grands remèdes, mais en toute discrétion ! ». Il faut parfois combattre la désinformation climatosceptique sur son propre terrain, avec ses propres moyens.
En assumant ce rôle, vous serez amené·e à :
— Exercer une influence par l’information qui va au-delà de la seule prise de conscience, en amenant furtivement les populations à renoncer à certaines habitudes désastreuses pour l’environnement et à prendre le tournant de la sobriété généralisée.
— Développer les leviers d’éco-influence du média : orienter la ligne éditoriale pour prioriser avant tout des sujets et points de vue allant dans le sens de l’urgence écologique ; ou encore mobiliser des contenus subliminaux pour manipuler le lecteur afin de le pousser à maintenir son effort pour l’environnement.
— Façonner la culture interne du média vers une ambition écologique forte, afin que tout le groupe se mette au diapason des enjeux.
En plus de votre savoir-faire et savoir-être unique, vous aurez à votre dispositif un outil sur-mesure :
Le nuancier d’éco-manipulations est un éventail d’actions pour trouver le bon gradient d’éco-influence à exercer selon les informations et les contextes, sans que la manipulation devienne contre-productive.
Le vivant non-humain regroupe les animaux, les végétaux, le microbiote, avec qui nous cohabitons sur la planète et qui aident à rendre les écosystèmes habitables.
En tant que Voix du non-humain, vous serez amené·e à :
— Vous assurer que le point de vue des « vivants non-humains » soit représenté lors des conférences de rédaction, ou apparaisse systématiquement dans les publications, via des témoignages ou prises de parole de représentants locaux du vivant venus du milieu associatif.
— Œuvrer pour des processus de production et de diffusion de l’information qui n’ont aucun impact sur la biodiversité, avec la mise en place des démarches certifiées Neutralité biodiversité 2040 ou Bio-Zero Net.
— Former et outiller les personnes au sein des médias à informer en prenant en compte leurs impacts directs et indirects sur la biodiversité.
Votre outil spécifique ne sera pas de trop pour faire entendre la voix et montrer la voie du non-humain :
Les rituels de décentrage, pour se rappeler que l’Humain n’est pas au centre de tout et se mettre en capacité d’écouter le vivant.
C’est notamment ce que proposent ces exercices de décentrage, où l’on apprécie une actualité selon le point de vue de l’animal, du végétal ou encore du microbiote.
La division Confiance Restaurée et ses métiers
Celles et ceux qui vont œuvrer avec la division Confiance Restaurée auront la tâche cruciale, mais ardue, de rétablir des ponts consciencieusement démolis au fil des années.
Cette division a pour objectif de retisser le lien de confiance entre la population, les décideurs et les médias.
L’ensemble de ses champs d’action vont en ce sens :
— Garantir l’information dans une démocratie tendant vers l’illibéral, en rétablissant la confiance avec les administrations ou les collectivités locales qui peuvent être tentées d’entraver l’information,
— Réduire la défiance des citoyens envers les médias, en rétablissant la confiance avec la population ainsi que les acteurs privés ou associatifs,
— Gérer les tensions sociétales générées par un traitement clivant de l’information, en rétablissant la confiance au sein des différents groupes de la population.
Premier métier accessible au sein de la division Confiance Restaurée, vous apporterez une réponse réflexive au piège de l’économie de l’attention.
En tant que Conservateur·rice des emballements médiatiques, vous serez amené·e à :
— En tant qu’historien·ne : garder en mémoire les cas de buzz éphémères et autres emballements médiatiques, comme autant d’échecs de l’information locale.
— En qu’archéologue des choix éditoriaux : documenter et retracer les décisions qui nous ont poussés à cette course à l’attention.
— En que conscience préventive : identifier les réflexes et les processus qui nous amènent à l’emballement, pour ne plus y céder demain.
Pour ne pas oublier les errements de l’information locale, vous pourrez faire appel à votre outil :
Le musée portatif des emballements médiatiques qui retrace des cas emblématiques de buzz sans lendemain et leurs conséquences, pour se souvenir et se sensibiliser à tous les échelons du média.
Cette valise pop-up contient un véritable pan de l’histoire médiatique locale et est une mémoire vivante de ce qu’il convient de ne plus répéter.
Face à l’incrédulité suscitée par la surabondance de fake news dopées aux intelligences artificielles génératives et à l’omniprésence des filtres de personnalisation, on peut dire qu’il n’a jamais été aussi compliqué de discerner ce qui est vraiment réel.
En tant que Montreur·euse du réel, vous serez amené·e à :
— Organiser des excursions sur le terrain à destination du lectorat, pour montrer, prouver et rétablir la réalité des faits in situ, à la manière d’un journalisme embarqué.
— Sensibiliser à la désinformation personnalisée selon le profil de l’utilisateur ; cette nouvelle forme de désinformation qui s’est accélérée avec la création automatique de deepfakes et qui amplifie la fracture de la société.
— Effectuer une veille sur les évolutions sociales et technologiques qui viennent contribuer à la déformation du réel ; et même des réels au pluriel.
En plus de votre bagou de guide touristique, faites appel à votre outil pensé pour montrer le réel :
Le défiltreur permet de montrer et de comparer comment une situation réelle peut être distordue par différents filtres intelligents d’information personnalisée, selon le profil de l’utilisateur.
Son fonctionnement est simple : on pointe un lieu, un objet ou une personne et on observe comment cette réalité est déformée par une série de prismes de personnalisation proposés par les médias sociaux.
Le défiltreur aide ainsi à faire comprendre comment chacun est amené à voir quelque chose de différent malgré lui.
La fatigue et la dépression informationnelles sont un fléau qu’il convient de combattre par l’empathie et la sollicitude.
En tant que Chargé·e de soin informationnel, vous serez amené·e à :
— Préserver la santé mentale de toute la chaîne d’information, du producteur au lecteur : s’assurer que les producteurs de l’information se « sentent bien » pour que leurs contenus « fassent du bien » aux lecteurs.
— Réécrire les titres des unes pour réduire la fatigue et la dépression informationnelles et rompre avec la pratique des titres racoleurs qui saturent les publics.
— Suivre la réception d’une information, pour évaluer l’impact émotionnel que ce contenu génère chez son producteur et son lecteur (Comment se sent-on après avoir consulté ce contenu ? A-t-on besoin d’un moment pour soi ?) afin d’ajuster les prochains contenus en conséquence.
Pour prendre soin de celles et ceux qui sont au contact de l’info locale, munissez-vous de votre outil :
Le bouclier psych’info est une psytech qui offre un « filtre de protection mentale ». Compagnon du quotidien, ce bouclier numérique aide à gérer la fatigue informationnelle en protégeant préventivement d’informations nocives pour l’équilibre psychologique. Le bouclier vient alors bloquer ces contenus en ligne avant qu’ils ne nous atteignent.
Il s’agit d’un outil facile d’accès qui est proposé aux producteurs d’info comme aux lecteurs. À noter que le bouclier est configuré avec les équipes de montreurs du réel pour s’assurer que les filtres de protection mentale ne produisent pas d’effets secondaires de mésinformation.
La division Numérique Sobre et ses métiers
Enfin, les nouveaux arrivants qui rejoignent la division Numérique Sobre vont accompagner les médias dans la gestion de l’héritage ambigu d’une numérisation qui, parfois, s’est faite à marche forcée.
Bienvenue au sein des volontaires œuvrant pour l’indépendance numérique des médias.
Les champs d’action de la division Numérique Sobre cherchent à répondre aux défis de l’après-transition numérique :
— La cohabitation avec les différents types d’intelligence artificielle,
— La préservation de la santé mentale face aux maux du numérique,
— La réduction de la dépendance aux grandes plateformes en ligne,
— La démocratisation du low-tech et de la réparabilité des systèmes numériques.
La division Numérique Sobre vous permettra, notamment, de vous affirmer en tant que Débrancheur·euse. Vous serez alors amené·e à :
— Déconnecter et dénumériser les pratiques et les outils des médias, pour les aider à faire face aux vulnérabilités et aux controverses de l’hypernumérique ; que ce soit les cyberattaques, les polémiques sur le poids écologique du numérique, ou encore les blackouts ou autres coupures d’Internet (volontaires ou non).
— Développer l’indépendance et la souveraineté des acteurs de l’info locale, en optant pour des solutions low-tech pour leur permettre de retrouver le contrôle de leurs outils et leurs processus.
— Au côté d’un·e chargé·e de soin informationnel : prévenir des maux psychologiques causés par l’hypernumérique en développant des stratégies de déconnexion thérapeutique.
Lorsque le savant mélange du techno-pragmatisme et du techno-scepticisme ne suffit plus, retournez-vous vers votre outil-clé :
L’interrupteur-disrupteur, ou l’ultime recours pour dénumériser et/ou déconnecter un média en urgence, face au risque imminent posé par la connexion permanente et le numérique omniprésent.
Facilement paramétrable dans l’urgence, l’interrupteur-disrupteur permet un diagnostic rapide de la vulnérabilité à l’instant T et le débranchage partiel ou complet du média.
En bons systèmes apprenants, les intelligences artificielles peuvent avoir tendance à imiter nos travers d’Humains. Il est alors temps de les rééduquer avant qu’il ne soit trop tard !
En tant que Redresseur·euse d’intelligence artificielle, vous serez amené·e à :
— Repérer et atténuer les biais qui parasitent les intelligences artificielles qui sont utilisées pour produire ou diffuser les contenus. Vous traquerez ces biais encodés dans les systèmes, qui viennent tacitement et involontairement orienter le traitement de l’information et qui sont souvent hérités des biais culturels ayant déjà cours au sein du média.
— Rééduquer et réentrainer un système d’intelligence artificielle de la rédaction qui s’est déréglé, notamment à cause des attaques de désapprentissage menées par des hacktivistes.
— Diffuser une culture de la réparation numérique, pour que chacune et chacun au sein du média se sente capable de comprendre le fonctionnement d’un système intelligent et de le réparer par ses propres moyens.
Le kit de rééducation algorithmique sera votre couteau suisse :
il inclut notamment un diagnostiqueur de biais intégrés par l’IA, ainsi qu’une série de nouveaux jeux de données — parfois hétéroclites — pour réentraîner le système apprenant.
Ces données atypiques doivent notamment aider l’intelligence artificielle à pouvoir élargir son champ d’analyse et ainsi faire disparaître ses biais.
Au besoin, votre responsabilité de (Re)Dresseur d’IA pourra vous amener à désactiver la machine dysfonctionnelle d’un simple clic.
Vous allez vite devenir cet allié incontournable pour naviguer par gros temps au sein d’un Internet en morceaux. En tant que Cyberpasseur·euse, vous serez amené·e à :
— Aider les journalistes à passer d’un Net, local ou étranger, à un autre pour aller chercher l’information derrière des pares-feux ou accéder à des services en ligne protégés par les géoblocages.
— Garantir que le média est bien présent et accessible sur les Nets locaux de son territoire.
— Faire pénétrer les journalistes dans des boucles fermées des messageries communautaires ou au sein de Nets hyperlocaux, comme l’historique NAR, le Net Autonome Rennais.
— Effacer les traces des journalistes qui se sont introduits là où ils n’auraient pas dû dans le cyberespace fragmenté.
Votre sens du détail digne des plus grands faussaires sera justement très utile pour sublimer l’art de votre outil favori :
Le trousseau de légendes numériques met à disposition des jeux de fausses données (profil social, localisation, traces d’activités) pour passer les frontières en ligne.
Avec ici deux exemples de légendes (ou couvertures) « prêtes-à-l’emploi » pour infiltrer le Net Sino-Africain sous les traits d’un professionnel de santé ; et — plus localement — naviguer au sein du Breizhnet, le Net privé et communautaire breton qui prend de l’ampleur chez les partisans du Breizhxit.
Vous pouvez maintenant choisir le métier qui vous plaît le plus au sein de votre nouvelle Division !
Pas de panique si ce dernier ne vous convient pas au bout de quelques missions, la Réserve permet des évolutions de postes pour que chacune et chacun se sente à son aise.
Merci d’avoir rejoint la Réserve !
Voilà qui conclut notre session d’orientation. Merci d’avoir fait le choix de rejoindre la Réserve de l’Info Locale.
Nous sommes fiers de vous compter parmi nous et avons hâte de vous retrouver à nos côtés sur le terrain pour aider les médias à assurer leur mission essentielle !
Vous venez de vivre une expérience de Design Fiction !
Le Design Fiction est une approche créative qui propose d’anticiper des futurs probables ou inattendus, pour mieux agir aujourd’hui.
Entre design, prospective et science-fiction, cette approche aide à :
— Anticiper les transformations avec un regard critique,
— Renouveler des imaginaires en panne d’inspiration,
— Prendre du recul sur ses pratiques et ses impacts.
Le Design Fiction fait appel à des scénarios racontés par des objets et des services fictionnels qui se veulent volontairement provocants et inspirants pour susciter l’imagination et le débat : est-ce que ce futur nous semble souhaitable ou indésirable ? Comment pourrions-nous tendre vers ce futur ou au contraire, comment pourrions-nous l’éviter ?
Mais concrètement, au-delà de l’expérience que l’on vient de vivre ensemble, à quoi peuvent ressembler l’exploration des futurs et l’anticipation au sein d’un groupe média ?
Réponse avec la présentation de Raphaël Poughon, directeur de la prospective au sein du Groupe Centre France.
La prospective est l’étude des possibles : ici le pluriel est primordial !
On parle d’étude des possibles : c’est-à-dire d’observation du présent (tendances lourdes, signaux faibles des futurs déjà présents), des faits « techniques, scientifiques, économiques et sociaux ».
L’objet de la prospective consiste à explorer, décrypter, croiser les possibles, mais aussi produire des scénarios, des visions d’avenirs possibles qui nous permettent de nous situer.
ATTENTION ! Il ne s’agit PAS d’un exercice de prédiction !
Pas de boule de cristal au budget 2023 !
L’objectif de cette démarche : nourrir et orienter des conversations stratégiques, souvent obnubilées par les urgences présentes, vers d’autres futurs possibles.
Il s’agit alors de faire ce pas de côté, de prendre un peu de hauteur, de changer de perspective, mais aussi de lunettes (de vision du monde), pour accompagner LES transitions numériques, écologiques et démographiques !
Ici aussi, on repart de choses que l’on sait et/ou que l’on observe dans les transformations des usages et de la société. Un exemple :
On sait qu’en France, entre 2020 et 2030, le nombre des 75–84 ans va augmenter de 50% (passant de 4 millions à 6 millions), comment nos médias locaux peuvent-ils s’adapter à cette nouvelle donne en matière de publics ?
Il ne s’agit donc pas de prédire le futur…
… mais de s’y préparer.
La prospective cherche à créer des conversations sur les futurs, car tant qu’il n’est pas mis en discussion, le futur pris au singulier est anxiogène et souvent dystopique !
L’Humain a peur de ce qu’on ne connait pas. Il nous faut donc essayer d’embrasser différents futurs pour apprendre à ne plus les craindre et être en mesure de décider ce que nous souhaitons réellement pour demain :
Quid d’un futur hyper techno centré ? Où l’IA nous a tous mangés et digéré, et où les news s’afficheront sur les miroirs nos salles de bain ?
Ou au contraire, quid d’un futur low-tech, numériquement effondré, où seul le papier sera d’avenir ?
Ici aussi, l’idée n’est pas de lire dans une boule de cristal…
… mais de faire appel à des données de projection.
Par exemple en se basant sur les scénarios de l’ADEME et ses différentes projections dans ce contexte de réchauffement climatique, les scénarios de MétéoFrance, les scénarios énergétiques de RTE à l’horizon 2050, qui mettent en avant des tendances structurelles :
— La digitalisation,
— La crise climatique et ses impacts sur les écosystèmes, la biodiversité, et les dépassements des autres limites planétaires,
— L’urbanisation, avec 80% population française qui vit dans des zones de plus de 2000 habitants,
— Le vieillissement de la population : en 2030, 30% des Français auront 60 ans et plus ; 12% des Français auront plus de 75 ans. Nous avons dépassé le Peak Child ; le monde comptera, pour la première fois, plus de personnes de 65 ans et plus, que de 15–24 ans, en 2050.
— Ou encore sur le futur du travail, le futur de la mobilité, tout ce qui va impacter nos vies quotidiennes demain !
L’idée est de croiser diverses disciplines comme la littérature, la sociologie, l’histoire, l’économie ou encore la géopolitique pour développer une approche systémique. Cela nous amène à voir et à comprendre comment les choses interagissent les unes avec les autres.
Notre avenir demain sera peut-être plus bouleversé par un changement sociétal que par une rupture technologique.
Dans une rédaction, cela peut se traduire par des ateliers inspirés du Design Fiction et de la prospective créative, comme « Retour vers le futur des médias » — une expérience imaginée par La Compagnie Rotative pour le Groupe Centre France.
Autre exemple, avec Le Berry Républicain qui propose des récits d’un nouveau quotidien dans le futur : « Et si s’il faisait 4 degrés de plus à Bourges en 2100, à quoi ressemblerait le territoire ? »
Pour découvrir ces fictions :
https://www.leberry.fr/bourges-18000/actualites/avec-4-degres-de-plus-en-2100-le-cher-suffoque-cinquante-nuits-par-an_14320131/
La couleur de la prospective qui me semble intéressante d’adopter par les médias est celle d’une prospective créative : une prospective qui contribue à ces nouveaux récits du quotidien !
Certains choisiront de mettre en avant uniquement des scénarios catastrophes, car « ça fait vendre », disent-ils.
D’autres privilégieront des scénarios rupturistes, souvent lié aux univers hypertechnophiles…
Enfin, les utopistes — dont je me revendique — tireront vers les futurs souhaitables.
Bref, à chacun d’assumer sa responsabilité médiatique !
À la fois avec nos journalistes, audiences, mais aussi avec nos cadres de rédaction, et autres stratèges et direction générales de l’entreprise. Et ce pour un même objectif : se mettre face à des futurs possibles, faire des choix, poser une vision, se donner un cap !
Quoi qu’il en soit, cette prospective créative peut être utile pour les médias — en tant que structures — comme pour leurs lecteurs. En effet, dans les périodes d’incertitude, les psychologues nous le disent tous : le fait de se mettre en mouvement, d’agir et de contribuer à une alternative, est le meilleur remède contre l’anxiété, et même l’éco-anxiété.