Design centré sur les animaux en milieu urbain connecté : notes du compendium #1

Design Friction
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4 min readOct 5, 2016

Les extraits qui suivent sont issus du rapport « Animals of the Smart City », daté du 15 Décembre 2028, rédigé par le Professeur Natö Miraaki, observateur finlandais auprès de l’Organisation des Nations Unies. Sous mandat de l’ONU, M. Miraaki et ses équipes ont étudié la place de l’animal dans les villes dites intelligentes, autrement nommées Smart Cities. Cette enquête couvre les évolutions de la faune sauvage et domestique dans les environnements urbains connectés, à travers le monde.

Pour plus d’informations, veuillez vous référer à l’ouvrage original dont sont extraits les passages ci-dessous :
United Nations, Natö Miraaki, Animals of the Smart City, A/99/3Y2 (15 December 2028)

Extrait n°1 (Préambule, « Les animaux de la ville intelligente », p.6–7)

Préambule, Les animaux de la ville intelligente

La ville intelligente, ou Smart City, est le catalyseur de nombreux fantasmes urbains, fortement influencés par d’anciens, mais persistants mythes d’efficacité et de sécurité. Ces croyances se trouvent aujourd’hui réincarnées par l’enchevêtrement de technologiques numériques dans le tissu urbain. Parmi les incertitudes et les frictions sur lesquelles se sont construites les rhétoriques de la ville intelligente, il en est une qui demeure la grande absente des argumentaires portés par les promoteurs de l’urbain connecté : la place de l’animal dans les villes de demain.

Les travaux de ce rapport ont pour point de départ l’observation de l’absence troublante d’une prise en compte de la faune, qu’elle soit sauvage ou domestiquée, dans les initiatives de villes intelligentes. Les animaux semblent simplement être considérés comme ne faisant pas partie de l’écosystème urbain et ne pouvant, à leur mesure, s’approprier l’infrastructure de la ville. Cet écart notable, entre la présence indéniable des animaux dans les villes et les stratégies de développement d’un urbanisme connecté qui l’ignorent, est un élément révélateur de notre rapport au non-humain dans les urbanités. Ce qui pourrait être qualifié d’angle mort de la structuration de nos villes intelligentes est ainsi une invitation à réfléchir à notre propre place, en tant qu’espèce humaine, dans ces ensembles que nous avons bâtis puis connectés et dont la complexité peut nous échapper.

Partant de ce postulat, plusieurs questions et réflexions sont à poser.
Quels sont les enjeux liés à la présence d’animaux dans les villes intelligentes ? Quelles interactions et influences notables cela peut entraîner dans la conception et le développement de l’infrastructure urbaine intelligente ? De même, en extrapolant et en se projetant, que pourrait être une ville intelligente animalisée ?

Une des premières hypothèses, qui se trouve être également un des enseignements clés de ce rapport, envisage que la ville intelligente puisse façonner le comportement de la faune, mais que la faune soit elle-aussi en mesure de façonner cette même ville en retour.

Les investigations menées au long de la constitution de ce rapport s’intéressent tout particulièrement à l’existence du sauvage et de sa nature imprévisible dans des environnements urbains où semble dominer un contrôle technologique et prédictif. Il est ainsi noté une dualité structurante dans les relations entre la ville et les animaux. En premier lieu, il est observé un anthropocentrisme continu appliqué aux espèces domestiques, où sont transposés des besoins humains aux animaux. D’autre part, les villes appliquent une logique de barbarianisation de la vie sauvage, tentant de la repousser à leurs portes.

Il s’agit ici de déconstruire la course en avant constante pour un certain confort urbain par la technologie. Ces travaux nous invitent à reconsidérer le traitement des animaux accordé par la ville intelligente à travers le prisme d’espèces pour certaines désirées et pour d’autres indésirables.

En réponse à la somme des enjeux soulevés par le présent rapport, une des recommandations majeures est de considérer l’animal comme une partie prenante incontournable de la ville et non plus uniquement comme un intrus. Le design de nos villes intelligentes est à repenser avec des modes de planification et de pensée incluant cet habitant jusque-là ignoré. D’un point de vue systémique, la place des animaux dans la ville intelligente définit de nouveaux rôles et de nouvelles attitudes pour les différents acteurs de l’écosystème urbain. De quelle manière leurs missions et comportements respectifs sont amenés à évoluer ? Il est indispensable de s’intéresser aux débats suscités par la mise en évidence de l’existence des animaux dans la ville intelligente. Cette attention transparait à travers une étude de l’argumentaire porté par des publics aussi divers que les élus locaux, les agents des municipalités ainsi que les détenteurs d’animaux illégaux et autres braconniers urbains.

Ainsi, de nouvelles disciplines nous convient à observer ces situations sous l’angle des usages détournés de la ville et des relations interespèces. Des postures actuelles du design, telles que le design spéculatif ou le design centré sur les animaux, sont notamment à même d’aider à identifier puis représenter ces problématiques complexes en lieu et place d’y répondre de manière précipitée. Cette pratique du design répond à des impératifs d’anticipation des transformations à venir, mais aussi de critique des trajectoires qui s’offrent à nous lorsque nous parlons de faune et de ville intelligente. Si le designer peut paraître ici un acteur inattendu, il travaille toutefois de concert avec des disciplines plus communes comme la zoologie et l’urbanisme.

L’utilisation du design comme méthodologie de recherche soutenant cette enquête vient également appuyer la part de critique adressée aux limites du rapport que la ville intelligente entretient avec ses animaux. Que se passe-t-il si, dans les situations relevées, les animaux sont remplacés par des humains ? Quelles questions éthiques apparaissent alors ? Ce procédé de substitution est venu mettre en lumière le caractère d’émancipation, mais aussi de contrôle diffus, de plusieurs attributs caractéristiques de la ville intelligente ; à l’image des données produites et consommées aussi bien par les animaux que par les humains.

Cet extrait est la première partie d’un triptyque préfaçant Animals of the Smart City. AOTSC est un projet de recherche exploratoire mené par le studio Design Friction, mêlant design fiction et design d’interaction, visant à interroger les perspectives futures de la faune dans les environnements urbains connectés.

Cet article a été publié initialement dans le n°3 de Sciences du Design, aux Presses Universitaires Françaises.

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