Design centré sur les animaux en milieu urbain connecté : notes du compendium #3

Design Friction
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7 min readOct 18, 2016

Ce troisième extrait est la dernière partie d’un triptyque préfaçant Animals of the Smart City. AOTSC est un projet de recherche exploratoire mené par le studio Design Friction, mêlant design fiction et design d’interaction, visant à interroger les perspectives futures de la faune dans les environnements urbains connectés.

Cet article a été publié initialement dans le n°3 de Sciences du Design, aux Presses Universitaires Françaises.

Extrait n°3 (Partie 2, « État de la faune dans la ville intelligente, cas remarquables », p.23, 25, 27, 38, 47, 51)

Exemples notables d’interactions entre faunes et urbanisme connecté

Au fil des exemples recensés dans cette partie, cet état de l’art s’attache à relever les cas remarquables d’interaction entre les faunes domestiques ou sauvages et l’environnement urbain connecté. Si ces exemples peuvent laisser penser que les villes intelligentes ont bel et bien intégré les animaux dans leur développement, il n’en est rien : il s’agit en effet d’exemples certes notables, mais qui ne constituent en rien une quelconque norme.

Chaque exemple a été notamment retenu en raison de son caractère d’innovation technologique, d’innovation économique ou d’innovation d’usage. L’étude s’est appuyée sur une grille de lecture développée avec le laboratoire Città Digitale de l’université Politecnico di Milano. L’analyse des faits et des initiatives identifiés s’articule dès lors autour des principes du design d’interaction urbaine et du design centré sur les animaux.

La conception d’animaux à partir de données

La présence incontestable des animaux dans la ville intelligente a donné lieu à la définition d’un néologisme qui leur est dédié, les « datanimals », autrement dit des données urbaines liées à l’activité de la faune. Un des usages emblématiques de l’utilisation de ces datanimals reste la controversée conception d’animaux génétiquement modifiés, créés sur mesure à partir des données urbaines. Cette forme de « data-engineering » vise à adapter au mieux les animaux aux caractéristiques de leur futur environnement de vie, en intérieur comme en extérieur. Les animaux domestiques ont été les premiers concernés, leurs propriétaires se montrant soucieux de leur donner toutes les chances de s’intégrer à leur quartier. Parmi les options de personnalisation proposées, confinant parfois à l’absurde, il peut être cité celle d’implanter des gènes luminescents afin que les animaux soient mieux identifiés par les véhicules autonomes qui abondent dans les rues. Une telle opération était censée éviter de malencontreuses collisions. Les données topographiques et les données de flux étaient de même capables d’influencer la définition des caractéristiques physiques de l’animal. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer une approche tenant de la pseudo-science ainsi que le manque d’études probantes quant à l’efficacité et la moralité de la démarche.

Ce nouveau marché a cependant donné naissance à de nouveaux courtiers spécialisés dans les datanimals collectant et revendant des données sur les habitudes et les préférences des animaux en ville. Le marché occupé par ces courtiers se trouve bien souvent à la limite de la légalité, mais s’est banalisé avec la massification du phénomène de revente de données.
Disposant de leur propre réseau de capteurs privés, se greffant sur les données publiques, ou en redigireant des flux de données personnelles, les coursiers en datanimals sont en mesure de croiser, de raffiner et enfin de revendre ces jeux de données devenus précieux pour des initiatives de marketing ciblé ou d’innovation urbaine. Les municipalités et leurs partenaires privés ont recours, parfois de manière déguisée, à ces données sur les animaux afin de compléter celles dont ils disposent déjà et servant de bases décisionnelles pour la planification urbaine.

La pratique du datamouflage

Pour de nombreux citoyens, les Smart Cities sont, depuis leur début, synonyme de surveillance et de suivi intrusif dans la vie privée de ses habitants. Afin d’échapper à la captation de leurs faits et gestes pour des raisons idéologiques ou d’éviter le paiement de taxes présentielles pour des raisons pragmatiques, s’est développée la technique du datamouflage ; autrement dit un camouflage par la génération de fausses données.

A l’image du camouflage militaire employé par les armées depuis plus d’un siècle, le datamouflage cherche à dissimuler la présence de personnes ou d’animaux aux yeux des capteurs de la ville intelligente.

Parmi les cas notables de datamouflage, il est possible de citer ces exemples de citoyens se faisant passer pour animaux grâce à des identifiants trafiqués en vue d’échapper à la captation de leur présence par la ville, mais aussi les cas de propriétaires déguisant l’identité de leurs animaux domestiques dans l’espoir d’échapper aux taxes imposées à la faune. Le datamouflage repose sur l’utilisation de dispositifs connectés envoyant des signaux qui falsifient la véritable nature de leur émetteur, humain ou animal. Ces motifs disruptifs d’identité et de comportement visent à tromper les capteurs de l’infrastructure connectée. Ce sont des sortes de contre-mesures numériques envoyant de faux retours biométriques, capables de déguiser un humain en animal et vice-versa.

Si le principe de contre-mesure (aussi connu sous l’appellation de contre-donnée) permettant de camoufler sa vraie identité est aujourd’hui le plus répandu, il est à noter que la pratique du datamouflage connait quelques variantes atypiques.
Un collectif de designers russes a ainsi commercialisé une série de prothèses à affubler à son animal de compagnie afin d’en déformer l’apparence. Ainsi, en complément d’un dispositif de contre-donnée, cette technique permet également d’échapper à la vidéo-reconnaissance, leurs formes n’étant plus reconnues par les caméras. Les données produites par les capteurs ne reconnaissant ces formes sont alors incohérentes et inexploitables.

Officiellement commercialisées comme une gamme d’accessoires de mode, ces prothèses sont aujourd’hui considérées comme légales et s’inspirent d’autres initiatives de designers activistes telles que le CV Dazzle au début des années 2010. Baptisées “Laïka”, ces prothèses veulent contribuer, selon leurs
créateurs, au lancement des premiers chiens libérés de ce nouvel espace urbain sous surveillance.

Les animaux, compagnons des hackers (Hackers à quatre pattes)

Les animaux se sont montrés également des alliés de choix pour les hackers de la ville intelligente. Certains chiens ou chats domestiques se sont vus équipés d’implants ou de capteurs de proximité, basés sur des technologies NFC, leur permettant de collecter les informations des personnes auxquelles ces animaux viennent se frotter. Ainsi, ces cybercriminels à quatre pattes sont capables de « sniffer » les informations des cartes bancaires ou des smartphones sans éveiller le moindre soupçon, et ce en échange de quelques caresses.

Cette pratique s’inspire notamment des travaux menés par plusieurs consortiums de promoteurs des villes intelligentes, travaux entamés suite aux décrets de diverses municipalités souhaitant abroger la captation des données dans l’espace public. Alors que la tendance globale annonçait un accroissement toujours plus important de la masse de données disponibles, devenant le premier combustible des villes intelligentes, plusieurs gouvernements locaux ont imposé une raréfaction de la donnée en désactivant et interdisant les capteurs présents dans l’espace public. Une décision se trouvant avant tout motivée par des inquiétudes pressantes vis-à-vis des questions de confidentialité et de vie privée affectant leurs administrés. Plusieurs entreprises ont saisi cette occasion afin de proposer aux habitants d’apposer des capteurs privés sur leurs animaux domestiques. Le service propose alors de collecter, de manière mobile grâce aux déplacements de l’animal, des données sur l’activité urbaine moyennant le rachat de ces données. Il s’agit là d’un moyen détourné de contrer cette raréfaction subie des données par les opérateurs urbains privés, profitant d’une faille législative reposant sur le fait que les collecteurs de données ne soient pas humains.

Des oiseaux et des drones

Avec le développement de la livraison par drone en ville, plusieurs géants des plateformes de vente en ligne, telle qu’Amazon, ont eu à intégrer une clause “collision avec des volatiles” dans les assurances de leurs colis. En effet, la migration de certaines espèces d’oiseaux est venue perturber le bon déroulé de centaines de livraisons sur ces dernières années.

D’autre part, savoir autant de marchandise dans les airs n’a pas non plus manqué d’attiser la convoitise de certains. Excitant les réseaux sociaux, un groupe de braqueurs de haut vol a entrepris de faire appel à l’art ancestral de la fauconnerie afin d’intercepter des drones-coursiers transportant des documents ou des colis au-dessus de la ville. Les oiseaux de proie sont entraînés à mettre à terre les robots volants ou à venir dérober leurs paquets, à la volée. Cette méthode a fait ses preuves, les colis dérobés se trouvant moins abîmés que dans les autres cas de braquage. Certains de ces oiseaux, capturés par les autorités, bénéficiaient d’ailleurs de prothèses spécifiques à l’attaque et au détournement des drones. Une tactique qui aurait été inspirée par plusieurs cas observés d’oiseaux sauvages ayant attaqué des drones amateurs.

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Une des réponses apportées par les designers de drones aura été de proposer des modèles à l’allure visuellement plus effrayante en vue repousser les oiseaux, fonctionnant tels des épouvantails aériens. Couplé avec des répulsions sonores, ces nouveaux produits restent encore relativement rares sur le marché. La nature ayant prouvé ses capacités d’adaptation, il est permis d’imaginer que les oiseaux s’habitueront à ces drones effrayants et que les malfaiteurs auront trouvé d’autres parades pour assurer leur braquage.

[…]

L’utilisation de drones déguisés en oiseaux par des entreprises de sécurité pour la surveillance urbaine a également été source de plusieurs scandales. Avec des drones maquillés en volatile, cette technique leur aurait permis de ne pas avoir à déclarer leurs robots et de ne pas éveiller les soupçons dans leur mission de surveillance des sites publics. En réponse, plusieurs mouvements de citoyens inquiets se sont mobilisés et ont rédigé des guides aidant à différencier un oiseau d’un drone déguisé. On note à cette occasion un regain d’intérêt pour l’ornithologie, en vue d’identifier les drones commerciaux qui espionnent et collectent des données, qui prend tout son sens dans un contexte de paranoïa urbaine ambiante. Se demander « Est-ce un oiseau ou un drone ? » semble presque être devenu un jeu pour certains.

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