Solène Bellégo : donner vie aux formes, et animer toute la complexité des idées

Pathum Bila Deroussy
Design Link
Published in
5 min readMar 9, 2021

Un parcours arborescent avec un moteur à deux temps : curiosité et persévérance

Solène voulait faire tous les métiers du monde, de médecin légiste à ingénieur du son. Elle fait partie de celles et ceux qui ne sont pas venus au design uniquement parce qu’ils aimaient dessiner, mais plutôt parce qu’ils recherchaient un juste compromis entre leur intérêt pour les sciences et une certaine curiosité artistique. Elle découvre les écoles de design au hasard d’un forum, et embarque dans l’aventure : d’abord Estienne, puis un passage à l’ESAD d’Amiens, et enfin les Gobelins. Là-bas, elle expérimente la pédagogie “montagnes russes” emblématique déployée dans ces écoles. D’un côté on apprend à faire des BD, on s’éclate à faire des aplats de couleurs ou à simuler la texture de la rouille … et on découvre par ailleurs que l’on peut être assez doué sans le savoir ! De l’autre c’est parfois très abstrait et frustrant, on se prend des mauvais retours des enseignants, sans trop comprendre ce que l’on nous a demandé de faire. Plusieurs fois, on pense arrêter et se ré-orienter, Solène a même postulé sur un coup de tête au CIM car elle faisait aussi beaucoup de musique ! Et puis un beau jour on se rassure, on comprend qu’il ne s’agit pas forcément d’être un as du dessin figuratif mais simplement de savoir s’exprimer, et de trouver la technique avec laquelle on se sent avant tout à l’aise. Elle le dit elle-même : “j’ai compris mes études après les avoir faites”.

Douée en photo, en maquette volume, elle voit très bien l’espace dans sa tête, ce qui l’emmènera plutôt vers des cursus émergents à l’époque, de communication multimédia. Du produit “mais en mieux” selon elle, car on peut aller plus loin avec cette notion d’interactions rendues possibles par l’outil digital. A sa sortie des Gobelins, elle entame un long parcours au sein des grandes agences, d’abord dans la pub chez TBWA où elle apprend les bases de l’interface et des animations, puis chez Altima en design d’interaction. Elle repasse par la case formation à la recherche aux Arts & Métiers et chez PSA, puis intègre l’agence Attoma où elle passera de l’équipe UX, en travaillant sur de nombreuses interfaces industrielles, à l’équipe service design, où elle creusera davantage les réseaux d’acteurs et les cartographies d’écosystèmes. Toujours avec la soif d’apprendre de nouvelles choses et la curiosité pour les nouvelles opportunités, elle retrouve Thomas Nicot (croisé chez Altima) qui cherchait de nouveaux profils pour monter une nouvelle agence d’innovation, et embarque ainsi très tôt dans l’aventure Sphères. Elle y occupe aujourd’hui le poste de Lead Service Designer.

La maîtrise des outils et méthodes : pouvoir élaborer et transmettre ses idées sans contraintes

Des interfaces aux expériences, des expériences aux écosystèmes… le prisme d’action s’est agrandit au fur et à mesure de son parcours, elle travaille aujourd’hui sur des missions plus stratégiques où elle apprend énormément, et se pose milles questions pour décrypter des sujets d’actualités (par exemple travailler pour un laboratoire, et creuser le fonctionnement des hôpitaux en France). Avec son niveau de connaissance, elle joue avec les méthodes, les fait évoluer et les pousse à bout pour adresser la complexité des sujets qu’elle traite. La diversité des outils qu’elle maitrise et son expertise technique sont indispensables dans ces phases exploratoires souvent très abstraites pour les clients et donneurs d’ordre. Solène fait toujours des gribouillis partout quand elle réfléchi, puis ouvre Illustrator et prend le temps de trouver les formes justes pour schématiser et partager sa réflexion. Sa compétence secrète ? L’animation ! Elle peut faire une vidéo sous After Effect ou construire très rapidement une interface pour montrer ses idées, et représenter un service dans tout son dynamisme par exemple. Son passé dans le design d’interface lui donne un atout certain, et mêmes si les outils changent et évoluent à une vitesse folle, elle se tient à jour des derniers principes, monte en compétence sur les nouveautés si nécessaire, et continue d’apprendre pour ne pas perdre la main.

Pour Solène, c’est un élément indispensable dans la formation des designers, surtout s’ils évoluent dans le digital, dans l’intangible. Avoir un socle technique très diversifié est primordial pour éviter de se laisser emprisonner dans des réponses souvent identiques car issues des mêmes sources d’inspiration. Les bases qu’elle a pu avoir dans son parcours, en typographie, en photographie, en sérigraphie… font toute la différence selon elle, et permettent au designer de porter un regard particulier au-delà de la dimension technique, une certaine capacité à faire des liens entre les choses d’une manière singulière. Dans cet assemblage de regards et de compétences, Solène a parfois plus l’impression de faire le boulot d’un ingénieur, avec son usage rationnel de la forme dont le but serait de rendre toute les ficelles et branchements invisibles. Pour elle, il n’est pas nécessaire de rechercher l’effet “whaou” dans le design, il joue bien son rôle quand justement il ne se voit pas.

En évoluant, Solène a pris de plus en plus de responsabilités, et comme beaucoup de designers de son niveau d’expérience la question du management s’est posée. Avec humour, elle rêvait plutôt d’être le “vieux sage à longue barbe” qui co-construit avec d’autres experts, mais l’encadrement des plus juniors est un challenge qui l’intéresse. Passée par les agences de pub, plus jeune elle préférait qu’on lui fasse des feedbacks cash sans arrières pensées, et sans trop prendre de pincettes. C’est toujours intéressant de se rendre compte du style de management que l’on a une fois de “l’autre côté”, de voir avec qui son fonctionnement naturel ne marche pas, ou encore comment pousser l’autre à se dépasser, allier fermeté et bienveillance dans un savant équilibre…

Son implication dans le management d’une agence s’incarne également dans ses prises de positions discrètes mais sincères au quotidien, dans l’équité salariale notamment chez les femmes, ou plus globalement pour les droits des salariés. Sur un autre volet, elle découvre des textes géniaux de chercheuses en design qui gagneraient à être connues, mais qui ne sont pas en langue française et qu’elle aimerait faire traduire et diffuser. Permettre de jeter un œil nouveau sur ce qui est déjà là sous nos yeux, croiser toujours plus de regards différents sur un sujet. C’est ça aussi, le design.

--

--

Pathum Bila Deroussy
Design Link

J’écris sur la créativité, le design, l’innovation et la stratégie d’entreprise.