Comment les designers peuvent aborder les analytics

7 principes pour trouver des patterns, extraire des insights et communiquer des données exploitables

Benoît Drouillat
Designers Interactifs
6 min readMar 1, 2021

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Priestess of Delphi, John Collier (1891)

Note : cet article est inspiré par la conférence donnée par Kathryn Withenton, Analytics & User Experience, à laquelle j’ai assisté en ligne.

Une idée communément admise dans la perspective de la recherche utilisateur : les analytics peuvent être considérés comme une source de données supplémentaire, complémentaire. Les analytics se heurtent à deux écueils : l’infobésité (information overload) et l’interprétation.

Difficile à appréhender, les analytics ont fait longtemps figure de pratique divinatoire. Comme dans la Grèce antique, ils suivent un rite codifié, permettent de rechercher les signes ténus des volontés supérieures puis de s’en remettre à l’oracle pour prendre de bonnes décisions.

Technique d’exégèse par excellence, les analytics ont souvent été assimilés aux arcanes des outils de recueil automatisé de données, comme le plus célèbre et dominateur d’entre eux, Google Analytics, oracle moderne. Ils s’apparentent alors à un processus descriptif dont l’objet est de restituer des métriques, exprimées dans des rapports plus ou moins exploitables, plus ou moins porteurs de sens. Générer des rapports n’égale pas engager une démarche d’analytics.

Mis en perspective, avec le product management et le design, ils peuvent devenir un objet de compréhension, de décision et d’optimisation de grande valeur. Cette approche a pour ambition de mesurer et de quantifier à grande échelle l’efficience du design. Elle a pour bénéfices concrets :

  1. Eviter les décisions produit fondées de simples opinions (on apporte des preuves quantifiables qui déterminent quelle solution de design fonctionne)
  2. Aider à prioriser des axes d’amélioration (on définit des priorités de design en fonction des données ; quel sera l’impact d’une amélioration à court ou long terme ?)

Les analytics appliqués au design permettent notamment de

  • comprendre les comportements des utilisateurs dans l’interface ;
  • mesurer l’efficacité des changements qui sont apportés dans la conception ;
  • déterminer quelle proportion d’utilisateurs est affectée par les difficultés d’usage identifiées lors des tests utilisateurs ;
  • déterminer les axes d’amélioration sur un parcours donné ou une solution de conception donnée.

Pour reprendre Michael Beasley, qui a écrit un livre toujours d’actualité, Practical Web Analytics for User Experience (Morgan Kaufmann: 2013) :

Les analytics issus des produits révèlent comment de grands groupes d’utilisateurs évoluent au sein de leur interface, en prolongeant les aspects quantifiables des méthodes UX, de petits échantillons à l’écosystème complet des utilisateurs d’un produit. Concrètement, les analytics permettent de mieux quantifier la part des utilisateurs qui présentent un comportement observé lors d’un autre type de recherche utilisateur.

Définition(s)

Pour Kathryn Withenton,

C’est un processus de recueil, d’interprétation et de communication des patterns dans les données, enregistrés automatiquement à partir des interactions réelles des utilisateurs avec l’interface d’un produit ou d’un service.

Michael Beasley en propose la définition suivante :

Les analytics web sont une technique pour apprendre comment les utilisateurs interagissent avec des sites web et des applications mobiles, en enregistrant automatiquement les différents aspects de leur comportement et les combinant et les transformant ensuite en des données qui peuvent être analysées.

Principes pour recueillir, interpréter et communiquer les analytics UX

Dans son excellente conférence Analytics & User Experience, Kathryn Withenton (Nielsen Norman Group), à la suite de Beasley, énonce plusieurs principes pour en faire un bon usage. Nous les résumons ici.

Principe #1 : connecter les données au monde réel

Les analytics décrivent à la fois des emplacements (combien de fois tel écran a été visité), des actions (avec quels éléments de l’interface les utilisateurs ont-il interagi), des parcours (comment les différents écrans et actions sont reliés) et des personnes (comment les différents types d’utilisateurs se comportent). Les données prennent tout leur sens lorsqu’elles font l’objet d’une mise en récit, avec un cadre temporel, l’emplacement des données, reliées aux personnes réelles (les utilisateurs), la description des causes et des effets (ce qui s’est passé avant, pendant ou après la collecte des données), le nœud de l’intrigue ou le conflit qui nécessite de mener une action. Ce récit est complété de recommandations : pousser l’investigation, implémenter une proposition de solution…

Principe #2 : regrouper les données pour détecter des patterns (ou motifs)

Détecter des motifs récurrents revient à connecter « manuellement » des points de données bruts, à les regrouper et à les comparer. On parle reconnaissance de motifs dans les applications de l’apprentissage automatique et des statistiques.

Principe #3 : trianguler ou l’art de croiser plusieurs sources de données

Michael Beasley encourage « l’art de la triangulation », c’est-à-dire l’emploi de plusieurs méthodes pour collecter des données relatives à un même phénomène. Par exemple, on croisera les données quantitatives des analytics avec qualitatives celles de la recherche utilisateur : analytics + enquêtes + test utilisateur.

Principe #4 : questionner l’objet de la démarche avant la mesure des données

« À quelle question voulons-nous répondre ?» doit venir avant « que montrent les données ? ». Ces questions stratégiques peuvent être :

  • Centrées sur un projet / un produit : Comment allons-nous savoir si ce projet rencontre le succès ? Qu’avons-nous gagné en réalisant ce projet ? Est-ce que ce projet a des conséquences négatives ?
  • Dans une approche de monitoring continu : est-ce que nous améliorons le produit comparé à la performance précédente ? Est-ce qu’il y a des problèmes à résoudre ? Sur quoi devrions-nous nous concentrer pour réaliser des améliorations plus significatives ?

Principe #5 : ne suivre que les données exploitables et qui peuvent conduire à des actions

La démarche suit le même questionnement que précédemment.

Exemple :

  • L’adoption du produit est-elle bonne ?
  • Quelles sont les fonctionnalités les plus utilisées actuellement ?
  • quelles nouvelles fonctionnalités devraient être développées ?
  • Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les utilisateurs ?
  • Etc.

Il est important d’identifier, au-delà des événements/actions à suivre :

  • Pourquoi ? Que souhaite-t-on apprendre ?
  • En quoi cette donnée sera exploitable / actionnable ?
  • Quand l’action a commencé à être suivie
  • L’emplacement où l’action prend place dans l’interface (catégorie)
  • Décrire en quoi consiste cette action

Pour une page donnée, on se pose la question de quelles actions devraient être suivies

Exemples :

  • Filtrer ou trier une liste d’éléments
  • Télécharger un fichier
  • Soumettre un formulaire
  • Etc.

Principe #6 : segmenter les données pour éliminer le bruit

Les utilisateurs ont des caractéristiques diverses, des objectifs variés, des types de comportements distincts. La segmentation consiste à filtrer les données afin d’exclure celles qui ne sont pas pertinentes au regard de la question posée. Par exemple, on peut segmenter les données selon leur provenance (URLs, campagnes, réseaux sociaux), qu’ils utilisent tel ou tel device, selon qu’ils sont nouveaux ou utilisateurs réguliers, etc. La segmentation révèle des enseignements sur les utilisateurs et les parcours qu’ils empruntent en regroupant les données, éliminant ainsi le bruit. Les comportements peuvent différer énormément en fonction des segments.

Exemples de segments :

  • Source de traffic (URLS, campagnes, mots-clés, types de réseaux sociaux)
  • Matériel : device, taille de l’écran, navigateur
  • Activité réalisé : landing page, pages vues, événements réalisés, conversions
  • Historique de l’utilisateur : nouvel utilisateur ou utilisateur régulier, nombre de visites, nombre de jours écoulés depuis la dernière visite
  • Caractériques de la session : nombre de pages visitées, temps de visite

Les segments peuvent valider les personas. On peut créer des segments fondés. sur des caractéristiques uniques qu’on les personas : le device utilisé, les pages visitées, les features utilisées, etc.

Principe #7 : communiquer des enseignements, pas seulement des mesures

Le reporting est un autre art difficile à classer aux côtés de l’interprétation des données. C’est un passage obligé qui consiste à définir quelles métriques sont les plus importantes à partager — c’est-à-dire lesquelles peuvent mener à des actions et des prises de décision. Ces métriques quantifient le succès du produit.

Choisir des métriques est selon Beasley un « acte de storytelling ». En d’autres termes, il s’agit de mettre en contexte les données et d’expliquer le sens de ce qui est représenté. Cette mise en scène doit être la plus minimaliste possible ; elle doit être plus straight to the point qu’un tableau de bord. La concision doit guider ce reporting : on choisit un nombre réduit de métriques signifiantes et « actionnable ». Cette approche s’apparente à du design d’information. Le design d’information consiste à “analyser, à structurer et à mettre en forme des messages et des valeurs complexes pour en communiquer le sens avec clarté”.

Avec la mise en scène des données, les parties prenantes sont plus à même d’appréhender les progrès réalisés, de prendre des décisions éclairées.

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Benoît Drouillat
Designers Interactifs

Head of Design Saint Gobain | President *designers interactifs*