Design numérique : un référentiel évolutif des métiers

Le design numérique offre un sentiment de dispersion lorsqu’il s’agit de définir les rôles et les compétences d’une équipe. Si la perméabilité des pratiques est réelle, l’effet de brouillage est en fait davantage à l’œuvre sur la perception que sur les définitions des métiers.

Benoît Drouillat
Designers Interactifs
7 min readAug 8, 2018

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La Dame à la licorne

Un travail de définition nécessaire

La définition des contours mouvants des métiers du design numérique est un projet qui nécessite de multiples mises en perspective. Restituer avec fidélité les contextes et situations professionnelles est un art difficile. Beaucoup de designers expriment le besoin légitime de se définir et de se positionner sur le marché. Et c’est le rôle d’une association professionnelle d’élaborer de tels repères, fussent-ils évolutifs.
En France, trois initiatives complémentaires contribuent depuis une dizaine d’année à en déterminer le cadre :

  • les 5 éditions du Guide des métiers du design interactif (2007–2015), publiés par *designers interactifs* et Aquent. Au fil des années, elles ont fait l’objet d’une première réflexion collective au sein de la profession et synthétisent un vaste corpus documentaire ;
  • la collection Parcours de l’Onisep, qui rend accessibles les métiers du web et du design ;
  • le Référentiel des métiers du design de la Direction générale des entreprises (au sein du ministère de l’Économie et des Finances), qui date de 2013 et auquel nous avons contribué aux côtés des principaux acteurs du design français (l’APCI, de la Cité du design, du Lieu du design, etc.).

Le Syndicat National des jeux vidéos a également édité un remarquable référentiel en 2015. A notre grande surprise, aucune autre initiative remarquable n’a été portée ces dernières années à l’international par une association professionnelle pour définir les métiers du design numérique.

Il est important de resituer le design numérique parmi les autres champs d’intervention du design (produit, image, service, espace, textile…), d’autant que dans les faits, il n’est pas rare qu’un designer soit amené à œuvrer dans plusieurs champs. Si la profession du design est particulièrement dispersée en France, la vision de cet écosystème témoigne de la richesse des compétences mobilisées.

Une profession en trompe l’œil

Depuis leur émergence à la fin des années 1990, les applications du design ont connu une inflation de rôles spécialisés et de titres, souvent influencés par les pratiques anglo-saxonnes. Nous distinguons clairement le rôle du métier. Ces dénominations alimentent beaucoup de fantasmes injustifiés, car les données de nos enquêtes de terrain font mentir l’idée que les rôles seraient très diversifiés et éclatés. Les profils généralistes dominent le marché. Dans les compétences-clés que les professionnels déclarent, le design d’interface (53 %) et le design graphique (60 %) se situent avant l’UX (47 %). La tendance montre plutôt une certaine stabilité des compétences :

  • 78 % des entreprises comportent au moins un UX/UI designer
  • 48 % au moins un UI designer
  • 47 % au moins un lead UX
  • 32,5 % au moins un UX researcher
  • 27 % un head of design
  • 25 % un product designer
  • 19,5 % un UX manager

UX writer, UX architect, designers d’interaction et designers de services ne sont donc pas une réalité tangible dans les entreprises françaises. Pour être plus précis, ces rôles ne figurent même pas dans les intentions de recrutement, qui privilégient majoritairement, et ce depuis plusieurs années, des profils de designers généralistes. Ce que l’on constate en revanche très nettement, grâce à l’intégration croissante du design au sein des entreprises, c’est l’apparition de rôles distincts de management.

Les rôles actualisés du design numérique

Sans en dresser un inventaire exhaustif, voici en synthèse une actualisation (forcément à discuter) des principaux rôles du design numérique. La communication autour des compétences est, nous semble-t-il, le principal enjeu de la segmentation des rôles.

UI designer

Autrefois nommé designer d’interface, D.A. digital, il n’est pas cantonné à produire des formes, contrairement à une idée répandue. Il traduit l’identité du produit ou du service en éléments d’interface élégants et porteurs de sens. Il définit la structure, l’apparence et le comportement des écrans et des composants graphiques qui permettent de dialoguer avec des applications logicielles et des pages web. Il matérialise et fait vivre l’identité du produit.

UX/UI designer

Souvent décriée, cette appellation masque souvent un besoin généraliste, qui fait la majorité des recrutements. Alors qu’on insiste la plupart du temps sur les différentes entre l’UX et l’UI, ce rôle, lui, les confond. L’UX/UI designer travaille sur tous les aspects du produit ou du service, à la fois en amont et sur le produit fini. Ses activités comprennent la phase de recherche utilisateur, l’exploration des solutions, la formalisation.

UX designer

Le designer d’expérience utilisateur s’attache à rendre l’expérience du produit ou du service aussi efficiente, agréable et satisfaisante que possible. Pour cela, l’UX designer mobilise un large éventail de méthodologies et d’outils pour modéliser les attentes et les comportements des utilisateurs, ainsi que les solutions de design qu’il peut apporter.

UX researcher

L’UX researcher est chargé de mener les activités qui permettent de développer le socle de connaissance des utilisateurs du produit ou du service : les besoins, les attentes, les objectifs et les comportements. Entretiens, enquêtes, ateliers et tests utilisateurs sont quelques uns des moyens par lesquels il fait émerger ces précieux insights.

UX writer

Son rôle est de trouver l’expression la plus juste et la plus cohérente pour l’ensemble des messages qui jalonnent l’expérience envisagée. Il formalise les éléments de discours dans une interface : micro-contenus, labels, messages d’erreurs… Unifier la voix de l’entreprise (tone of voice) dans tous ses points de contact est aussi l’un de ses enjeux. L’UX writer met en scène des concepts et des fonctionnalités complexes dans une narration autour du produit ou du service (product narrative).

UX Architect

Son rôle est d’interroger et d’établir la vision et la stratégie du projet, en s’appuyant sur l’analyse des besoins clients et des parcours et des attentes des utilisateurs. Il contribue à l’alignement et à la bonne collaboration des équipes du projet autour de cette vision. L’UX architect garantit que les activités de design sont conduites en adéquation avec le cycle de vie du produit. Il suit la qualité de l’exécution du projet. Son rôle combine la recherche, la conception et la validation des livrables, en s’assurant qu’ils reflètent les besoins des utilisateurs.

Product designer

Le product designer intervient de façon globale, sans être nécessairement spécialiste de toutes les activités de design mobilisées dans le cycle de vie du produit. Le design produit correspond à un périmètre d’intervention élargi qui s’étend de la génération des idées à leur implémentation finale. Il s’attache autant à la dimension matérielle que logicielle des produits ; il est fondamentalement multi-plateforme (mobile, web, desktop). Il ne se contente pas de mettre en scène des fonctionnalités, il s’assure qu’elles soient porteuses de sens pour les utilisateurs. Le product designer déploie un savoir-faire qui aboutit à des propositions d’interactions et de formes convaincantes et élégantes. Son travail est rythmé par les cycles de lancements produits propres à l’industrie du logiciel.

Lead UX designer

Le lead UX designer est le pilote du projet et le manager opérationnel d’une équipe de designers. Il contribue à organiser le travail des équipes, choisit les méthodes et définit les principes d’expérience. “Lead” ne reflète pas seulement le niveau de d’expérience du designer, mais son niveau de responsabilité au sein de l’équipe.

Head of UX / Head of design / Design director

Il inspire, définit et porte la vision design de l’entreprise, soutient l’équipe dans sa mise en œuvre. Il veille à la qualité du design et à la cohérence globale des produits ; il diffuse les bonnes pratiques. Il pilote la connaissance des attentes clients et diffuse une culture du design auprès des différents métiers. Il répond aux défis posés par l’usage des produits. C’est un manager d’équipe(s) ; il aide ses collaborateurs à grandir. Il supervise les ressources. Il navigue dans les méandres de l’organisation pour donner à l’équipe design son positionnement et sa visibilité. Il mène un travail de sensibilisation auprès des différentes équipes.

Designer d’interactions

Le designer d’interactions conçoit des produits et des services numériques
qui peuvent prendre diverses formes : objets connectés, environnements
numériques, applications logicielles.
Il traduit les objectifs de ses clients et les besoins des utilisateurs en scénarios d’usage détaillant la façon dont le produit agit et réagit, en tirant le meilleur parti des apports de la technologie.

Designer de services

En portant un regard sur tout l’écosystème du service, le designer scénarise le parcours de l’utilisateur dans le temps et chorégraphie les différents points de contact, ainsi que le jeu des processus de co-production du service entre utilisateur et fournisseur. Le service doit être conçu tant dans sa dimension frontale avec l’usager que dans celle réservée au fournisseur de service.

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Benoît Drouillat
Designers Interactifs

Head of Design Saint Gobain | President *designers interactifs*