Design systémique

Sylvie Daumal
Designers Interactifs
3 min readMar 30, 2021
La Chute des anges rebelles, Pieter Brueghel l’Ancien, 1562

Est-ce la bonne chose à faire ? Telle est la première question du design, souvent exprimée en anglais : “Are we doing the right thing?”. Cette question qui guide tout projet de design impose aujourd’hui de se doter d’un nouveau cadre de pensée et de nouveaux outils.

Perspective 2050, nouvel impératif

Depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015, la France s’est engagée, devant le monde, à réduire son empreinte carbone pour atteindre la neutralité en 2050. Dans cette trajectoire, elle doit parvenir à une baisse de 40 % en 2030, c’est-à-dire dans à peine plus de huit ans. L’effort est colossal, gigantesque…

Concrètement, cela implique que tout projet d’entreprise ou d’organisation doit se situer dans cette perspective et permettre rapidement une réduction de presque moitié de l’empreinte carbone. Le numérique n’échappe pas à cet impératif. Il représente d’ores et déjà 4 % des émissions de GES, soit autant que le transport aérien de passagers, et les projections envisagent son doublement dans un avenir proche.

Faut-il le rappeler ? Le numérique n’est PAS dématérialisé. Extraction de minerais rares nécessaires à la fabrication des appareils et des data centers, destruction des écosystèmes, déforestation, consommation électrique carbonée et pollution par des déchets non recyclés ne sont que quelques-unes de ses nombreuses externalités négatives…

Nécessaire sobriété numérique

Parce qu’ils sont en charge de la conception et de la réalisation des dispositifs, les designers interactifs sont en première ligne pour favoriser la sobriété numérique. S’il existe déjà de bonnes pratiques d’éco-conception pour favoriser la frugalité des créations, elles ne sont pas opérantes pour réduire drastiquement les usages actuels et futurs, car elles se concentrent surtout sur la réponse à apporter à Are we doing it right?

Une seule solution : changer le système en profondeur. L’évidence s’impose. Elle nous a amenés, chez The Fifties, agence spécialiste bas carbone, à recourir au design systémique, car il permet d’aborder le sujet dans sa complexité et d’intervenir sur les mécanismes sous-jacents. D’émergence récente, l’approche combine la méthodologie du design et la pensée systémique.

Systèmes complexes

La pensée systémique, formalisée par Donella Meadows dans Thinking in Systems, est un cadre de réflexion qui s’est d’abord attaché à décrire et modéliser les systèmes, pour résoudre des problèmes complexes tels que la pollution, les problèmes de santé publique ou la gestion de la qualité en entreprise…

Dans cette approche, un système complexe, non prévisible, se caractérise par :
– le réseau et les nombreux liens entre les parties
– les délais de réponse (à court terme, moyen ou long voire très long terme)
– des boucles de rétroaction négative (régulatrice) ou positive (amplificatrice)
– des propriétés d’émergence (propriétés globales émergeant des interactions locales)
– un effet de seuil (au-delà duquel les choses se mettent à évoluer de manière totalement différente)
– l’effet papillon (petit effet aux très grandes conséquences).

Par ailleurs, la dialogique est le premier principe des systèmes complexes, c’est-à-dire la relation à la fois complémentaire et antagoniste entre deux dimensions, les systèmes complexes étant toujours une chose et son contraire.

« Le paradoxe est présent dans la complexité, c’est ce qui est difficile à faire entrer dans nos esprits. »
Edgar Morin

Qu’est-ce que le design systémique ?

Le design systémique embrasse l’ensemble de ces caractéristiques : la cartographie du système, qui est l’une des premières étapes après la phase de recherche, va formaliser les boucles de rétroaction positive et négative.

La phase d’idéation envisage les points de levier en fonction de leur impact pour les combiner dans la feuille de route d’intervention. Les points de levier étant difficiles d’appropriation, nous les avons transposés dans un jeu des cartes pour servir de source d’inspiration en atelier. D’autres outils, comme les cartes de paradoxe créées par Namahn, font écho à la dialogique pour l’intégrer de façon native aux pistes de solution… Les boîtes à outils, comme celle de Symbiosis in Development, couvrent l’ensemble des dimensions : les écosystèmes, la biodiversité, mais aussi la culture, la santé et la justice sociale.

Ainsi, le design systémique permet d’élargir la vision des designers pour gagner une compréhension plus large des problématiques et y apporter une réponse adéquate. Il marque un changement profond pour passer d’une vision exclusivement centrée sur l’humain à une pensée plus large. C’est un outil puissant dont les designers interactifs doivent s’emparer pour répondre aux enjeux du XXIe siècle.

Sylvie Daumal
Designer systémique bas carbone, The Fifties

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