L’architecture de l’information à l’heure des interfaces en mode SaaS

Benoît Drouillat
Designers Interactifs
4 min readDec 16, 2019
La Tour de Babel, Pieter Brueghel l’Ancien, vers 1563

L’architecture, une métaphore en référence à l’organisation spatiale des contenus et des fonctions

Au XXe siècle, les technologies de l’information et de la communication ont démultiplié les possibilités de production de données et d’information. La façon dont les contenus sont présentés et organisés, qu’il s’agisse d’espaces physiques (les bibliothèques) ou numériques (logiciels, sites Web, applications) est affectée par cette abondante volumétrie, qualifiée souvent de « surcharge informationnelle » (information overload). Cette situation a, depuis les fondations de l’informatique personnelle, engendré le besoin de répondre à « l’explosion des données » par une architecture abstraite permettant de modéliser la structure et le comportement de l’information. Les écosystèmes numériques d’aujourd’hui s’inscrivent toujours dans cette logique et s’enchevêtrent d’une façon encore plus étroite, plus dense, plus complexe.

La préoccupation de cette explosion des données s’est manifestée à plusieurs reprises dans l’histoire de l’informatique, chez IBM et au Xerox Palo Alto Research Center (PARC), au début des années 1970. 50 ans après la création du Xerox PARC, l’architecture de l’information est une approche et une expertise plus que jamais essentielle dans le design des interfaces numériques en mode SaaS.

Peter Morville et Louis Rosenfeld, développent une approche de conception d’interface inspirée des principes des sciences de l’information, de la communication et de la science documentaire. Ils filent la métaphore de l’architecture pour l’appliquer aux besoins spécifiques du design des interfaces. De la même façon que l’architecture est l’art de bâtir et veille à concevoir des agencements d’espace incluant de nombreuses dimensions (environnementales, sociales, culturelles…), l’architecture de l’information propose de mettre en scène spatialement l’organisation de l’information et la navigation du contenu dans les interfaces graphiques. L’architecture de l’information permet ainsi de poser « les fondations de l’interface ». Elle fonctionne comme les indicateurs physiques permettant de se déplacer dans l’espace (en écho à la signalétique).

L’architecture de l’information appliquée à la conception des interfaces est issue du besoin suscité par la complexité et le besoin d’orientation au sein des espaces d’information numériques. Il s’agit aussi de veiller à ce que les comportements de l’interface soient porteurs de sens et soutiennent le dialogue avec ses utilisateurs. Avec les environnements SaaS, cette complexité a augmenté et les enjeux se sont diversifiés : objectif de productivité, richesse fonctionnelle, capacités avancées de manipulation des données, intégration avec des applications tierces… L’architecture de l’information peut apporter des solutions élégantes et en accord avec les besoins des personnes. Peut-être l’avons-nous oublié au bénéfice d’une approche de surface qui s’intéresse davantage au ressenti des personnes qu’à leurs besoins profonds.

L’art et la science d’organiser l’information des interfaces

L’architecture de l’information et les « sciences de l’information et des bibliothèques » sont étroitement liées. Tout comme la classification bibliographique met en œuvre des outils d’organisation des ouvrages pour les regrouper sur les rayons par affinité de contenu, l’architecture de l’information crée des regroupements logiques, des niveaux de lecture, des systèmes d’étiquettes… Cette formalisation fait souvent défaut dans les interfaces SaaS, qui échafaudent features et parcours linéaires plus qu’elles ne répondent aux besoins d’organisation essentiels de l’interface. Un équilibre entre ces différentes activités de conception doit bien sûr être trouvé.

Pour Morville et Rosenfeld, il est illusoire de proposer une définition unique de l’architecture de l’information. Ils la décomposent ainsi :

1. La combinaison de l’organisation, de l’étiquetage et des principes de navigation dans un système d’information ;

2. Le design de la structure d’un espace d’information pour faciliter l’accomplissement de tâches et l’accès intuitif au contenu ;

3. L’art et la science de structurer et de classifier les sites Web et les intranets pour aider les personnes à trouver et à gérer l’information ;

4. Une discipline émergente et une communauté de pratique qui cherchent à appliquer les principes du design et de l’architecture au champ du numérique.

Cette définition reste toutefois encore largement opérante aujourd’hui pour répondre aux besoins de modularité extrême, d’évolutivité et de cohérence des interfaces en mode SaaS.

Une pratique réactualisable à l’infini

Loin d’être supplantée par l’UX, l’architecture de l’information est devenue en une vingtaine d’années une pratique professionnelle mature et particulièrement documentée. Elle a su accompagner les évolutions technologiques (par exemple, les systèmes de gestion de contenu) et les ruptures d’usages (l’avènement du Web social, du mobile et des objets connectés). La métaphore de l’architecture de l’information n’enferme pas la pensée si on en reconnaît les limites.

Aujourd’hui, alors que les traitements informationnels s’inscrivent aussi bien derrière les écrans que dans le monde physique, les enjeux de l’architecture de l’information s’élargissent pour structurer des espaces d’information multicanaux et cross-canaux et s’inscrivent aussi bien dans le cadre du design interfaces logicielles et SaaS des nouveaux objets numériques ou encore des scénographies d’espaces. Interfaces vocales, machine learning, réalité virtuelle… les terrains d’expérimentation ne manquent pas pour l’actualiser.

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Benoît Drouillat
Designers Interactifs

Head of Design Saint Gobain | President *designers interactifs*