Les refontes d’interface au défi de la résistance des utilisateurs
L’accompagnement du changement est un thème très étudié en management et en sociologie. L’adoption des technologies nouvelles, qu’elles soumettent les usagers à des changements majeurs ou mineurs se heurte fréquemment au phénomène complexe de résistance au changement. L’adoption d’un nouveau design et/ou de nouveaux usages comporte des écueils similaires aux évolutions technologiques, souvent redoutés par les entreprises qui exploitent des produits et des services numériques. Elles sont souvent désarmées face à cette injonction à réinventer perpétuellement les modèles à travers l’innovation disruptive. Cette question représente pourtant un surprenant angle mort dans la prise en compte des facteurs humains.
Une disruption semeuse de chaos et de désenchantement
A lire les commentaires suscités par le lancement de l’application SNCF Connect, la résistance revêt la forme d’un « kaleidoscope complexe de facteurs interdépendants ». Bien avant que SNCF Connect ne défraie la chronique au début de 2022, d’autres refontes d’interface ont suscité le rejet et la controverse. C’est le cas de celle de Snapchat en 2017, qui a eu d’importants effets négatifs (-50 % d’engagement avec les contenus et -73 % de perception positive) et une pétition en ligne signée par 1,2 millions d’utilisateurs pour le retrait du nouveau design. Début 2019, Facebook commence à déployer le redesign de son interface, d’abord sur mobile puis sur desktop. Ce nouveau design est qualifiée de « cauchemar », une part importante d’utilisateurs est « déroutée » et menace de supprimer son compte. Même scénario lors de la refonte de Twitter en juillet 2019, des articles demandent au réseau social de restaurer l’ancien design. En 2020, LinkedIn change son interface et c’est également une levée de boucliers. En ce qui concerne les applications métiers et les logiciels B2B, les exemples d’échecs sont innombrables.
Pour une approche graduelle et accompagnante
Aujourd’hui, peu d’acteurs tech se posent pourtant la question de la pertinence du changement incrémental, le redesign ne pouvant être envisagé que sur un mode radical, à marche forcée vers la « révolution numérique ». L’écueil consiste à placer sur le même plan ruptures technologiques et usages, quitte à créer un écart infranchissable avec les utilisateurs. Comme si améliorer (l’expérience utilisateur) se confondait nécessairement avec bouleverser (les habitudes, les repères). Le philosophe Bernard Stiegler a merveilleusement diagnostiqué cela dans l’ouvrage Dans la disruption (2017).
Il est ainsi admis que les refontes d’interface qui introduisent un niveau de changement important impliquent :
- un accroissement de l’effort cognitif et une surcharge de la mémoire à court terme pour les utilisateurs ;
- une perte des habitudes de navigation et des repères ;
- un sentiment de perte de contrôle ;
- une insatisfaction due au stress émotionnel ;
- un effort d’apprentissage supplémentaire ;
- au final, une diminution notable de la facilité d’usage.
Designer un accompagnement au changement
Pour répondre à ces difficultés, Alexandra Hutanu suggère 3 stratégies :
- adopter des changements plus petits et incrémentaux
- donner aux utilisateurs un sentiment de contrôle (par exemple en proposant un basculement optionnel vers la nouvelle interface)
- intégrer la participation active des utilisateurs dans le processus de changement (et pas seulement dans la conception, sachant que cela est insuffisant)
Anticiper et prendre en compte la résistance des utilisateurs est un aspect critique de la phase d’implémentation d’un projet de design. Au regard du coût élevé que représente un radical redesign, l’amélioration continue est préférable pour aboutir à des produits de haute qualité. Réfléchissons au redesign incrémental et à ses conditions de succès pour préserver nos utilisateurs des abîmes de l’accélération technologique et de l’innovation destructrice.
Si vous êtes intéressé(e) pour réfléchir à ce sujet avec l’équipe design de Botify, nous recrutons des product designers :
Pour approfondir ce sujet passionnant :
Radical Redesign or Incremental Change?
https://www.nngroup.com/articles/radical-incremental-redesign/
Fresh vs. Familiar: How Aggressively to Redesign
https://www.nngroup.com/articles/fresh-vs-familiar-aggressive-redesign/
Do Users Hate Redesign? A Literature Review on User Resistance to Interface Changes
http://economice.ulbsibiu.ro/revista.economica/archive/73105hutanu.pdf
User resistance in IT: A literature review
