Qu’est-ce que l’expérience d’un produit ou d’un service ?

Benoît Drouillat
Designers Interactifs
4 min readApr 29, 2018

L’étude de la relation entre les utilisateurs et la technologie a connu une grande diversité d’appellations : facteurs humains, ergonomie, interactions homme-machine, design d’interaction, architecture de l’information… L’expérience utilisateur est devenue en une vingtaine d’années l’une des plus répandues d’entre elles. Mais, aujourd’hui, si tout est devenu matière à expérience, comment définir ce phénomène ? Qu’est-ce que l’expérience d’un produit ou d’un service ?

Lorsque Donald Norman, Jim Miller et Austin Henderson décrivent en 1995 l’organisation interne d’Apple autour du développement des produits, ils introduisent la notion d’expérience utilisateur (user experience, UX) en l’appliquant à l’human interface (l’interface homme-machine). Dans l’article “What You See, Some of What’s in the Future, And How We Go About Doing It: HI at Apple Computer”, l’expérience utilisateur est présentée comme une nouvelle démarche pour la conception des produits. Elle permet notamment de formaliser les pré-requis pour que R&D, logiciel et hardware développent une collaboration fructueuse. Elle n’est pas éloignée des préoccupations du product design d’aujourd’hui, dans son objectif de qualité et d’efficacité du travail entre les équipes. Adossée à la conception centrée sur l’utilisateur, l’UX est, avant d’être le résultat de l’intervention du design, un process. Sans méthode de travail, une expérience a peu de chances d’être mémorable.

Plus tard, avec ses Elements of user experience, Jesse James Garrett contribue à donner une lecture structuraliste de l’expérience avec ses 5 plans (la surface, l’ossature, la structure et le périmètre fonctionnel). Dans cet exercice, il s’agit surtout pour Garrett de clarifier et d’articuler les différentes activités de design qui contribuent à créer une expérience. Indispensable dans une profession récente.

Les éléments de l’expérience utilisateur (2000)

Pour Peter Morville, une expérience utilisateur comporte 7 facettes, autant de qualités : utile, facile d’usage, désirable, repérable, accessible, crédible et créatrice de valeur pour l’entreprise. Le diagramme en nid d’abeille a pour objectif de souligner que la facilité d’usage n’est qu’un des aspects de l’expérience d’un produit. Il aide à définir les priorités par une approche modulaire de l’UX.

Le nid d’abeille de l’expérience utilisateur (2004)

Mais ce formalisme ne résume pas à lui tout seul l’UX, il n’en explique encore moins la diffusion et le succès qu’on lui connaît. Il existe ainsi de nombreux modèles théoriques qui concourent à la définir, par exemple ceux d’Hassenzhal et de Mahlke.

Modèle d’Hassenzhal

Dans le modèle d’Hassenzhal, l’expérience couvre aussi bien les dimensions utilitaires (les objectifs de l’utilisateur en termes d’usage) que le plaisir de l’interaction. Répondre aux besoins fonctionnels et à la facilité d’usage est ici comme chez Morville insuffisant. Subjectivité, perceptions, émotions et contexte permettent de mieux qualifier la nature d’une expérience. Plus précisément, la dimension « pragmatique » de l’expérience a trait à la manipulation du produit à travers son utilité, sa facilité d’usage et la façon dont il répond aux objectifs en termes de tâches. La dimension « hédonique », qui se réfère au plaisir de l’interaction, contribue à stimuler la connaissance et les compétences de l’utilisateur, à communiquer leur identité et à évoquer des souvenirs.

Dans l’expérience utilisateur, perceptions, émotions et comportements font l’objet de toutes les attentions. Ici, la perception est à entendre dans un sens beaucoup plus large que sensorielle : elle concerne la façon dont l’utilisateur intègre et comprend la valeur d’usage du produit, son utilité, appréhende la facilité d’apprentissage, est sensible à l’effet de beauté formelle qui se dégage de l’interface. A travers les comportements de l’utilisateur, on peut mesurer autant le volume que les freins à l’usage du produit ou du service. Sa compréhension ou son incompréhension du fonctionnement de l’interface induira par exemple la réussite ou l’abandon de tâches, des temps passés plus ou moins longs, l’adoption ou le rejet de fonctionnalités, une meilleure productivité ou des appels au support.

Pour comprendre et influencer les composantes de l’expérience, les designers sont amenés à en créer des modélisations (personas, analyse des tâches, cartographies de l’expérience, parcours utilisateurs…) dont les données sont collectées directement auprès des utilisateurs, sur le terrain même de l’usage. Ces informations (et leur interprétation) sont difficiles à extraire et à reconstituer dans leur contexte et dans leur dimension temporelle. Pour reprendre Stéphane Vial, dans Court trait du design, le designer a pour objectif de transformer des usages bruts sans qualité en “expériences-à-vivre”. Cette notion d’expérience à vivre rappelle que

Là où il y a du design, l’usager en ressent immédiatement l’effet, parce que son expérience s’en trouve instantanément transformée et améliorée. […] Ce qu’il modifie, c’est la qualité de l’expérience vécue de l’usage. […] (p 36)

A final, on comprend mieux la vocation englobante de l’UX, puisque l’expérience d’un produit ou d’un service inclut des préoccupations très diverses, au centre desquelles, c’est la perspective de l’utilisateur qui prime.

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Benoît Drouillat
Designers Interactifs

Head of Design Saint Gobain | President *designers interactifs*