Un guide pour devenir (product) designer

Benoît Drouillat
Designers Interactifs
12 min readMay 24, 2020
Œdipe et le Sphinx, Gustave Moreau, 1865

Le design est aujourd’hui, pour l’immense majorité des acteurs des produits et services numériques (logiciels, applications web et mobiles, SaaS), un vecteur de différenciation sur le marché et d’orientation de la valeur vers les usagers. Pourtant, le design de produits numériques ne consiste pas (seulement) à agencer des fonctionnalités, à rendre les interfaces plus faciles d’usage ou à imaginer des expériences remarquables. Pour qu’émergent des produits, les interfaces doivent se différencier, non seulement par leur valeur d’usage mais aussi par leur identité singulière. Maîtrise des coûts, performance, évolutivité, sécurité et bien sûr qualité sont les ambitions les plus courantes assignées aux produits numériques. Dans notre culture européenne, le design, « consiste [aussi] à mettre du désir, de l’émotion, de l’utilité et du sens en toute chose » (Jean-Louis Frechin).

Après le design d’expérience utilisateur, le design d’interfaces graphiques ou encore le design de services, le design de produits numériques est-il une nouvelle spécialité ?

Les compétences

Le product design n’est pas la simple transposition des compétences du design d’expérience utilisateur dans une organisation produit. Il n’est pas non plus la somme de tout ce que font les autres spécialités. C’est une approche plus holistique, qui s’appuie moins sur les méthodes standardisées issues du marché américain que sur une capacité à appréhender une démarche de création complète.

Compétences dures

Le socle de savoir-faire du product designer est avant tout… celui propre à tout designer. Le spectre de compétences nécessaires est étendu car le product designer est un généraliste qui dépasse le clivage artificiel forme/fonction.

D’après le référentiel des métiers du design coordonné en 2013 par la Direction générale des entreprises (DGE) et auquel ont participé 8 structures de promotion du design (AFD, APCI, Cité du design, *designers interactifs*…), « les designers s’appuient sur un socle de capacités techniques, créatives et humaines qu’ils mettent au service de leurs clients ». Ce socle articulé en 3 volets comprend aussi bien l’analyse du besoin, la veille, les techniques du dessin, la scénarisation des usages, la conception de solutions et la formalisation.

  • Conjuguer la réflexion sur les usages, la formalisation des parcours utilisateurs, la mécanique de l’interface, et la définition de l’identité graphique des services, sur plusieurs plateformes (web, mobile, clients lourds)
  • Intervenir aussi bien sur des corrections, améliorations, évolutions que des créations from scratch (vision à la fois haut-niveau et bas-niveau)
  • Disposer d’une bonne connaissance du développement pour la synchronisation avec les développeurs et la recette (suivi qualité)
  • Maîtriser les techniques de prototypage avancées, notamment la création d’animations et de micro-interactions
  • Produire des interfaces avec le niveau de définition adapté (low-fi vs. pixel-perfect), en fonction des étapes de développement du produit
  • Accompagner les parties prenantes du projet en menant des activités de facilitation (gestion de la dynamique de groupe, ateliers, design sprint…)
  • Présenter les solutions envisagées lors de design reviews
  • Travailler de manière itérative, en cycles courts, tout en maintenant la cohérence d’ensemble
  • Développer une bonne connaissance des environnements et du développement pour effectuer la recette (suivi qualité)
  • Formaliser les guidelines nécessaires pour documenter le design des produits
  • Apporter une contribution à la stratégie / vision produit

Compétences douces

Les compétences douces sont à la mode. Le product designer n’est pas l’accumulation de « soft skills » qui pourraient être attribuées aussi bien à un product owner ou un product manager –« empathique », « collaboratif », « bon communiquant », « agile », « curieux » –. Les savoir-être sont plus des comportements qui s’acquièrent et peuvent être développés, distincts des traits de personnalité.

  • Mobiliser sa créativité, c’est-à-dire être capable d’imaginer des propositions originales à des problèmes complexes
  • Manifester un esprit critique et constructif (tout en avançant des contre-propositions argumentées)
  • Capacité à gérer son propre apprentissage, de façon proactive
  • Porter un esprit d’équipe et coopératif
  • Faire preuve de rigueur dans la formalisation des livrables

Compétences les plus recherchées actuellement

Dans la dernière enquête de *designers interactifs* consacrée à l’emploi des métiers du design numérique, les design managers ont distingué plusieurs compétences-clés faisant défaut actuellement dans leur équipe :

  • Les sciences humaines et sociales qui permettent de nourrir une recherche utilisateur de qualité ;
  • La connaissance des entreprises, qui est relevée comme un manque dans la formation des designers ;
  • La gestion de projet, car les activités de design doivent être coordonnées et pilotées tout au long du cycle de vie du produit.

En analysant les offres d’emploi, on voit aussi clairement ressortir :

  • Mesurer et interpréter le comportement des utilisateurs via des outils d’analyse quantitatifs (ContentSquare, Hotjar, Google Analytics…) ;
  • Maîtriser de façon “conceptuelle et pratique” les design systems (extension “industrielle” de la compétence UI) ;
  • Assurer les phases de recettage et de suivi du développement front-office (ou mobile) des interfaces ;
  • Capacité rédactionnelle pour les messages, libellés et micro-contenus présentés dans les interfaces des produits (“UX Writing”)

Réalisations exemplaires de product design

Application mobile Alan

Alan, Algolia, Dropbox n’ont pas seulement “disrupté” leur marché mais ont su créer les conditions pour que le design soit non seulement un terrain d’expression et de différenciation des produits, mais un levier d’innovation remarquable.

Où et comment se former

Le Laptop, dans le 19e arrondissement de Paris

En product design, la question de la formation est plus complexe que pour l’UX/UI designer, car les blocs de compétences à acquérir ne sont pas tous couverts par l’offre de formation actuelle (en formation initiale et continue). C’est la raison pour laquelle on voit fleurir de nombreux formats d’apprentissage en dehors du cadre de l’enseignement en design. L’idéal est de disposer d’un socle solide réalisé dans une école en 5 ans et de compléter sa formation au fil de l’eau, en ajoutant régulièrement des blocs de compétence. A noter, 40 % des product designers sont issus d’un cursus école de design et 25 % d’une école du numérique.

Dans le cas d’une reconversion, une formation “en quelques semaines” n’est pas suffisante si l’on a pas d’expérience ou de formation initiale en design. Elle permettra d’acquérir une connaissance par la pratique certes, mais elle ne permet pas de se forger une culture et une expérience dans la durée. C’est pourtant cette expérience dans la durée que vont regarder les recruteurs, souvent acquise lors de stages longs ou en alternance.

Formations longues

Parmi les écoles de design les plus citées et reconnues : L’Ensci-Les Ateliers, Strate, École de design de Nantes Atlantique, Gobelins, ECV Digital, École Multimédia. Les 3 premières proposent des cursus longs en 5 ans et les suivantes proposent des bachelors (en 3 ans) et des mastères (en 2 ans, à ne pas confondre avec master). Le niveau Bac +5 est aujourd’hui le standard, plus de la moitié des professionnels en est dotée.

Formations courtes

Choisir une formation courte implique de construire un projet professionnel réfléchi. Les formations courtes comportent des atouts (elles s’inscrivent souvent dans un écosystème d’entreprises et un réseau, les intervenants sont très pertinents et le contenu pédagogique est en pointe et de grande qualité) et des limites (elles initient ou font monter en compétence mais ne remplacent pas une formation longue). En voici une liste indicative :

  • Le Laptop, qui propose des certificats de compétences complets, des modules à la carte et des masterclasses
  • Usabilis, avec 8 formations très sérieuses de 2 à 10 jours, sur une diversité de problématiques (UX, UI et même du coaching personnalisé)
  • Axance, agence historique, qui a élaboré une formation certifiante UX en 3 niveaux (2 journées de formation par niveau)
  • The Design Crew, et leur Bootcamp de 8 semaines pour devenir Product Designer, et ils vous accompagnent pour retrouver un emploi !
  • Iron Hack, un bootcamp axé sur l’UX/UI en 9 semaines (à temps plein) ou 24 semaines (à temps partiel)

MeetUps

Les MeetUps sont des espaces de rencontres prisés des designers :

Formations en ligne

La formation en ligne s’est considérablement enrichie, au regard de la crise sanitaire de 2020. Voir ma récente sélection des meilleures formations.

L’emploi

Enquête sur l’emploi et les salaires du design numérique en 2020

En raison de sa jeunesse et de sa porosité avec l’UX/UI, le marché de l’emploi en product design n’est pas facile à appréhender. Alors que 65 % de l’emploi en design numérique est situé en Île-de-France, le product design est encore plus centralisé (80 %). C’est un métier plus masculin (seulement 31 % de femmes l’exercent) et généralement synonyme d’une expérience confirmée (4 ans d’expérience au minimum). Pourquoi ? C’est un métier qui nécessite d’être rompu aux rigueurs et aux exigences de l’organisation produit…

Dans quel contexte exercer / domaines d’application

Le product design est exercé principalement dans des entreprises tech (start-up, éditeurs de logiciels), parfois au sein de grands groupes (avec une culture produit moindre toutefois) et plus rarement en prestation de service (cabinet de conseil ou agence). Syntec numérique publie chaque année un top 250 des éditeurs et créateurs de logiciels français.

L’évolution de la demande

On constate qu’il existe une demande émergente sur le marché, puisqu’en mai 2020, environ 200 offres d’emploi sont actives sur LinkedIn (contre 450 pour “UX designer”, à titre de comparaison). Un métier peut être considéré comme émergent si son appellation répond à un critère de nouveauté et si cette appellation est reprise dans un nombre significatif d’offres d’emploi, tout en affichant une croissance d’au moins 30 %. Ces dernières années, l’UX designer était en forte demande mais ce niveau de demande ne va probablement pas se maintenir.

Le métier de product designer, comme l’ensemble des métiers du design numérique s’est montré plutôt résilient à la crise pour le moment. Néanmoins, on perçoit une baisse du nombre d’offres d’emploi de l’ordre de 30 à 40 % en mai 2020. Sur le marché américain, les métiers du design seraient les moins exposés aux licenciements massifs. Nous ne savons pas si cela est transposable en Europe. Ce que nous savons en revanche c’est que contrairement au marché des développeurs et des commerciaux, le design n’est pas un métier pénurique.

Salaire auquel vous pouvez prétendre

La construction des rémunérations (fixes et variables) reste très contextuelle en fonction du secteur d’activité, du type de structure (startup, grand groupe, agence) et de la situation géographique (Paris / région). Construire une grille de rémunération cohérente est souvent complexe pour les entreprises. La rémunération prend en compte l’expérience, la contribution du collaborateur, son impact, son périmètre d’action, mais aussi l’environnement de travail, le contexte économique. C’est pourquoi la valeur théorique sur le marché est toute relative, elle doit être lue avec distance et analyse.

Lors de sa dernière enquête sur l’emploi et les salaires du design numérique en France, *designers interactifs* a formalisé des fourchettes et grilles de rémunération. Ces indicateurs reflètent un déclaratif (celui des participants à l’enquête) et une valeur théorique sur le marché (estimée avec l’aide de recruteurs d’Aquent)

Quelques conseils de carrière

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Œdipe et le Sphinx, 1864

Patience & persévérance

De nombreux product designers multiplient les expériences courtes (au maximum 18 mois). Cela peut poser question sur leur capacité d’engagement voire leur compétence, même si cela peut aussi être synonyme d’une ambition et d’une envie de progresser très positives. La progression salariale est souvent un point de cristallisation important. Comme le dit Matali Crasset, « le fait de devenir designer, c’est un long processus », et les designers managers sont souvent confrontés à l’impatience d’une jeune génération désireuse de reconnaissance qui a du mal à se projeter dans la continuité. Un proverbe persan dit que la patience est un arbre dont la racine est amère, et dont les fruits sont très doux.

Question de maturité

Pour intégrer une start-up, un grand groupe, un éditeur, nous recommandons d’être attentif aux signes qui témoignent du degré de maturité de l’entreprise sur le design. Dispose-t-elle des paramètres qui permettent de faire la place nécessaire au design et aux designers ? Mi-2018, nous avions publié les résultats d’une enquête sur la maturité du design numérique dans les entreprises françaises. Le score de maturité que nous avions mesuré était de 81 / 200 en moyenne. Cette maturité est un facteur non négligeable dans la réussite de vos missions et votre épanouissement à moyen terme.

Exemples de portfolios de product designers

Questions à poser en entretien (relatives au design)

  • Comment l’équipe design est-elle intégrée dans l’entreprise ? Comment s’articule-t-elle avec le product management ?
  • Comment le design contribue-t-il au succès de l’entreprise / du produit ?
  • Quels sont les défis les plus importants aujourd’hui en termes de design ?
  • Quel est le niveau de maturité de l’entreprise en termes de design ?
  • Quelle est la vision / la stratégie produit ?
  • Quels sont les rituels de l’équipe design ? (réunions, design reviews, etc.)
  • A quel moment le design intervient-il dans un projet ?
  • Quelles sont les priorités actuelles de l’équipe ?
  • Quelles sont les forces et les axes de progression de l’équipe design ?
  • Qu’est-ce qui fait le succès d’un product designer dans votre équipe ?
  • Comment le design est-il évalué ?
  • Quels sont les projets sur lesquels je suis susceptible d’intervenir si ma candidature est retenue ?
  • Pourquoi avez-vous choisi de travailler ici ?

Ressources

Principaux outils à connaître

Extrait de : 2019 Design Tools Survey
  • Outils de prototypage / UI : Sketch, Figma, Adobe XD
  • Outils de versionning / design system : Abstract, Figma, Adobe XD, InVision DSM
  • Outil de documentation (guidelines) : Zeroheight
  • Outil de facilitation à distance : Miro
  • Outils pour réaliser des tests : Lookback, Maze, User Zoom

Livres indispensables

Veille / sources d’information

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Benoît Drouillat
Designers Interactifs

Head of Design Saint Gobain | President *designers interactifs*