UX Writer : le poids des mots, le choc des protos

Benoît Drouillat
Designers Interactifs
6 min readApr 1, 2018

De l’idéal classique au design des interfaces

L’idéal classique de l’écriture, que Nicolas Boileau décrit dans ces célèbres vers de L’Art poétique :

Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

se traduit par la même préoccupation d’universalité dans les interfaces d’aujourd’hui. Le choix des mots y est un puissant vecteur de compréhension, de guidage et de mémorisation dans les interactions proposées par tous les types d’interfaces, qu’elles soit textuelles, graphiques ou vocales.

De la même façon qu’une interface se doit d’être centrée utilisateur, son “discours” est adapté à ses audiences, tout en évitant le vocabulaire technique, la terminologie marketing ou le jargon fonctionnel (Nielsen). Au final, le choix des mots conditionne non seulement la facilité d’usage, mais aussi le niveau d’engagement de l’utilisateur, sa perception globale de l’expérience, sa satisfaction envers le service et son appréciation de la marque.

Les mots au service de la conception

L‘évolution du terme UX Writer dans Google Trends

L’UX Writer n’est pas un rôle nouveau dans la chaîne des compétences du design. L’ergonomie des interfaces (de Nielsen) et l’architecture de l’information (de Rosenfeld et Morville) se sont intéressées très tôt à l’effet produit par le choix des mots justes dans les labels, la navigation, systèmes de recherche. Dans les logiciels, les applications SaaS, les sites web transactionnels (ex. : e-commerce, banque…) et toutes les interfaces orientées sur des tâches, cette compétence est mobilisée pour aider les utilisateurs à accomplir leurs tâches et découvrir les fonctionnalités proposées. Ses enjeux ne sont pas différents de ceux auxquels l’UX cherche à répondre :

  • Une facilité d’apprentissage de l’interface du produit ou du service
  • Des parcours utilisateurs dépourvus de points de friction
  • Des fonctionnalités utiles et faciles d’usage
  • Des codes graphiques cohérents dans l’interface
  • Des comportements homogènes dans l’interface

Amazon, Google, Dropbox, Apple et beaucoup d’autres ont intégré les savoir-faire de l’UX Writer. Si cette spécialisation n’atteint pas le niveau de demande rencontré pour d’autres types de rôle UX, on trouve à titre d’exemple près d’une centaine d’offres d’emploi correspondantes sur LinkedIn en avril 2018. L’idée ici n’est pas d’anticiper une tendance, mais plutôt d’établir comment ce besoin se précise, en particulier dans le contexte et la démarche de “product management”. Toutefois, l’UX Writer ne doit pas être confondu avec un concepteur-rédacteur (qui formalise les messages-clés) ou une autre fonction indispensable pour les produits complexes, le rédacteur technique (technical writer, qui rédige la documentation technique et les guides utilisateurs).

Ainsi, une écriture centrée utilisateur se concentre sur les bénéfices du produit ou du service, pas ses fonctionnalités. Elle emploie des mots familiers aux utilisateurs et non une terminologie experte. Elle favorise le dialogue dans l’interface, sans oublier de restituer de l’émotion.

Les principales missions d’un UX Writer

  • Formaliser les éléments du discours d’une interface : micro-contenus, labels, messages d’erreurs…
  • Unifier la voix de l’entreprise (tone of voice) dans tous ses points de contact
  • Mettre en scène des concepts et des fonctionnalités complexes dans une narration autour du produit ou du service (product narrative)
  • S’appuyer sur des données d’analyse d’audience pour mesurer l’impact du contenu sur l’usage et proposer des optimisations
  • Créer et maintenir un guide de style

Concrètement, un UX Writer intervient sur un très grand nombre d’éléments d’interface :

Contenus d’aide et onboarding

Onboarding de l’application desktop d’Evernote

Messages d’erreurs

Dans certains cas, le message d’erreur se réduit à un simple comportement

Messages de confirmation

Le message de confirmation de MailChimp

E-mails transactionnels

E-mail d’alerte de connexion de Dropbox

Notications

Labels (ou étiquettes en français) pour des menus, des boutons (calls to action), des métadonnées, des champs de formulaire

L’interface d’inscription de Slack

Micro-contenus

L’application mobile d’Atom Bank

Etats vides (empty states)

Assistants personnels (Cortana, Alexa, Google Home, Siri…)

Siri

Quelques principes d’écriture appliqués aux interfaces

(inspirés en partie par Bastien et Scapin)

Compatibilité : les messages sont adaptés aux caractéristiques et aux objectifs des utilisateurs.

Sur le site de Zeplin, des accès différenciés par cible

Lisibilité : la mise en forme des messages est suffisamment constratée, espacée, interlignée, etc.

Page d’inscription à Airbnb

Incitation : les messages facilitent le passage à l’action des utilisateurs, en termes de navigation, de saisie de données ou de choix entre différentes options (guidage).

Page de présentation d’Amazon Prime

Signifiance : les codes et dénominations adoptés ont du sens pour l’utilisateur et sont cohérents dans toute l’interface. Une dénomination inappropriée peut conduire à des erreurs.

Les codes adoptés dans Slack pour signifier le statut de l’utilisateur

Concision : la mémoire à court terme est limitée. Plus courts sont les messages du système et les saisies demandées aux utilisateurs, plus limités sont les risques d’erreurs. Les phrases et les paragraphes sont courts.

Message de confirmation de l’application Dropbox

Structure : le contenu est structuré de telle façon qu’il facilite la compréhension immédiate de l’utilisateur. On privilégie par exemple les listes à puces.

Une page présentant Apple Music

Hiérarchie : le contenu est facile à balayer du regard. La titraille (titres, sous-titre) guide et relance la lecture. L’information importante est mise en valeur (gras, couleur, format).

Densité : pour réduire le volume d’information présenté à l’utilisateur, on utilise le principe de la révélation progressive, qui séquence en plusieurs fois l’affichage des contenus.

Emotion : on adopte une tonalité qui cherche à susciter des réactions positives chez l’utilisateur, pour le faire adhérer au produit ou au service.

L’écran d’authentification de ReadMe

Sources & bibliographie

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Benoît Drouillat
Designers Interactifs

Head of Design Saint Gobain | President *designers interactifs*