CRISPR-Cas 9 ou comment combattre la résistance aux antibiotiques

Maïa Pesic
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5 min readApr 14, 2021

La résistance aux antibiotiques est largement considérée comme une des problématiques majeures du 21ème siècle. Si la plupart des infections bactériennes restent traitables grâce à des antibiotiques classiques, beaucoup d’experts craignent la dissémination internationale de bactéries multi-résistantes. D’après un rapport du CDC (agence américaine), plus de 2,8 millions d’américains par an sont infectés par des bactéries résistantes aux antibiotiques. Trente-cinq mille en décèdent.

“Staphylococcus aureus (M.R.S.A.) — Methicillin/Meticillin Resistant — Oxacillin/Cefoxitin” by Nathan Reading is licensed under CC BY-NC-ND 2.0

Pour faire face à ces bactéries, il a fallu dépoussiérer d’anciennes molécules qui autrefois étaient jugées trop toxiques pour justifier leur utilisation. On observe aussi une recrudescence d’intérêt dans la phagothérapie. L’utilisation de cocktails de phages, virus tueurs de bactéries, remonte aux années 1920. Ces derniers ont cependant vite fait d’être éclipsés par la découverte de la pénicilline.

En parallèle de ces ré-explorations, se profilent des innovations qui auraient semblé inimaginables quelques décennies plus tôt. La plus frappante, car elle est terrifiante pour certains, mais grisante pour d’autres, reste la découverte et surtout l’exploitation du système CRISPR-Cas 9.

Comment ce qui se profilait comme une simple paire de ciseau moléculaire est devenu un espoir majeur dans la lutte contre la résistance aux antibiotiques ?

  • Bref historique de CRISPR-Cas 9 : de grands espoirs dès le départ
“Mutants in Microgravity” by NASA’s Marshall Space Flight Center is licensed under CC BY-NC 2.0

L’acronyme CRISPR (prononcé crispère) signifie Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats. Ces courtes séquences d’ADN répétées de nombreuses fois dans le génome de certaines bactéries, ont été décrites et nommées pour la première fois en 1993 par Francis Mojica. Cependant, il faudra attendre une quinzaine d’années pour comprendre leur rôle.

C’est en décembre 2008, qu’Erik Sonthermier et Luciano Marraffini démontrent que le système CRISPR-Cas9 joue un rôle central dans l’immunité adaptative des bactéries et plus précisément dans le cas d’une infection virale (pensons à nos fameux phages). Conscients du potentiel incroyable de leur découverte, ils déposent un brevet qui est rejeté. Si la vision est là, il est encore trop tôt pour parler concrètement d’application industrielle ou thérapeutique.

  • Parlons un peu technologie

Le locus CRISPR peut être décrit comme une carte vaccinale de la bactérie. On y retrouve des séquences d’ADN identiques à celles des virus qui ont déjà infecté la lignée. A partir de ces séquences, sont transcrits de petits ARN dit ARN guides.

Lorsqu’un virus infecte une cellule, il injecte son ADN dans le cytoplasme de celle-ci. Les ARN guides, eux aussi dans le cytoplasme, s’apparient alors avec l’ADN viral qui leur correspond. Cela entraîne le recrutement d’une protéine nucléase Cas (notre fameuse Cas 9, mais il en existe bien d’autres) qui va découper et donc détruire l’ADN viral. La bactérie est sortie d’affaire.

“EmmanuelleCharpentier” by Trondheim | Gjøvik | Ålesund is licensed under CC BY-SA 2.0

En 2012, Jennifer Doudna, Emmanuelle Charpentier, et peu après Feng Zhang, démontrent que le complexe CRISPR-Cas 9 peut être programmé, et dirigé contre n’importe quelle séquence d’ADN pour peu que nous écrivions l’ARN guide correspondant.

Entre alors en scène une idée géniale : et pourquoi pas ne pas s’attaquer au génome des bactéries multi-résistantes qui nous causent tant de soucis ?

  • Essai(s) clinique(s) et une start-up française qui fait du bruit

Bien sûr, ce n’est pas aussi simple. Il faut bien plus qu’une idée pour arriver au lit du patient. Il n’existe pour le moment aucun traitement sur le marché exploitant ce concept. Mais les premiers résultats in vitro sont là. Et plus important encore, les premiers essais cliniques ont lieu en ce moment même.

C’est la start-up américaine Locus Bioscience, en collaboration avec Janssen Pharmaceuticals qui est à l’origine de ce premier essai. Elle utilise le système CRISPR-Cas 3 : plus agressif que CRISPR-Cas 9 et capable de cibler des séquences d’ADN plus longues. Leur produit crPhage™ est un cousin amélioré de la phagothérapie. Les phages utilisés sont capables de cibler les bactéries du corps humain et d’y injecter CRISPR-Cas 3. Les bactéries dont le génome correspond seront alors éliminées spécifiquement.

© Locus Biosciences

Un antibiotique intelligent, qui permettrait de détruire les bactéries multi-résistantes, mais aussi de s’affranchir des effets indésirables digestifs classiques des antibiotiques.

L’objectif de ce premier essai clinique est de prouver l’efficacité de crPhage™ dans les infections urinaires récurrentes à E. coli. La phase Ib réalisée sur dix patients s’est conclue sur une note positive en février 2021 et Locus Bioscience prépare la phase II, prévoyant une mise sur le marché du traitement en 2027–2028.

“Phage” by TheSimple1 is licensed under CC BY-NC-ND 2.0

Il est difficile de parler d’antibiotiques de nouvelle génération sans parler d’Eligo Bioscience. Cette start-up française, basée à Paris, est née de la collaboration de deux chercheurs de l’institut pasteur Xavier Duportet et David Bikard, Timothy Lu du MIT, ainsi que Luciano Marraffini. Ce même Marraffini qui avait demandé un brevet en 2008 et avait fait face à un refus !

Eligo Bioscience s’est associée en janvier 2021 à la Big Pharma GSK pour développer la technologie EligoBiotics®, dans le traitement topique de l’acnée vulgaire. EligoBiotics® fonctionne selon le même principe que crPhage™, mais utilise CRISPR Cas9. Ce partenariat est l’occasion pour Eligo Bioscience de faire ses preuves avec les premiers essais cliniques prévus pour en 2021.

Loin de s’arrêter à une bactérie, Eligo Bioscience se positionne comme expert du microbiote humain dans son entièreté. Une seule cible, cet organe invisible, qui semblerait jouer un rôle central dans de nombreuses pathologies.

  • Un long chemin à parcourir

Il semble évident que cette technologie, si mise au service de la santé humaine, possède un potentiel incroyable. Le champ d’application des systèmes CRISPR-Cas ne se limite pas aux infections bactériennes, et les applications en thérapie génique coulent de source.

Mais il est important de nuancer ce tableau : rappelons-nous que peu de traitements, même s’ils ont atteint les essais cliniques, arrivent sur le marché.

Le problème de la forme pharmaceutique idéale reste à résoudre : Locus Bioscience par exemple, injecte son produit en intra vésical, ce qui n’est pas viable à terme.

Et bien sûr à cela s’ajoute la crainte d’effets off-target, effets non désirés et imprévus, notamment l’apparition de mutations délétères loin du site visé.

Les questions éthiques qui accompagnent un tel outil d’édition du génome ne sont pas à prendre à la légère. La peur de l’utilisation de CRISPR-Cas9 dans le cadre du transhumanisme n’est pas infondée. Mais quand les perspectives semblent si prometteuses pour de nombreuses maladies génétiques, cancers, Alzheimer, maladie de Crohn, drépanocytose… Il est difficile de ne pas espérer le succès de CRISPR-Cas9, et rapidement.

  • Pour aller plus loin :

1. Hope Henderson. CRISPR Clinical Trials: A 2021 Update , Innovative Genomics Institute (IGI), disponible sur: https://innovativegenomics.org/news/crispr-clinical-trials-2021/

=> Pour en apprendre plus sur les essais cliniques en cours

2. Top CRISPR Startup Companies Changing the Future of Biotech and Medicine : https://www.synthego.com/blog/crispr-startup-companies

=> Liste des startups à suivre

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Maïa Pesic
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Etudiante en pharmacie à l’Université Paris-Saclay — Passionnée par les biotechnologies et leurs applications dans le monde d’aujourd’hui et de demain