Les applications de l’informatique quantique dans la R&D pharmaceutique.

Feyriel Bouaraba
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5 min readMar 16, 2021

Alors que les premiers secteurs à bénéficier de l’informatique quantique seront probablement la finance et la logistique, il est tout de même intéressant de comprendre dès maintenant les révolutions que le quantique pourrait amener en santé. En effet, parmi les nombreuses industries dans lesquelles l’informatique quantique devrait avoir un impact considérable, l’industrie pharmaceutique est l’une des plus prometteuses : accélération des processus de R&D, amélioration de la qualité et réduction des coûts, modifiant potentiellement l’ensemble concurrentiel et la dynamique de la découverte de médicaments.

Technologie encore très émergente, le cabinet McKinsey annonçait en mars 2020, dans son rapport sur l’informatique quantique, que cette technologie représenterait un marché global de 1000 milliards de dollars de valeur potentielle en 2035, avec des applications de cette technologie visibles dans les 5 prochaines années. Les grands géants du numérique comme IBM, Google, Intel ou encore Microsoft ne tardent plus à se positionner sur ce marché.

I — Comprendre le fonctionnement des ordinateurs quantiques.

Pour comprendre leur mécanisme, il ne faut pas chercher à calquer nos connaissances communes des ordinateurs classiques. Ici, on oublie les traditionnels bits, d’une valeur binaire de 0 ou 1, on parle de quantum bits ou qubits :

  • La superposition d’états : une propriété clé. Un registre quantique existe dans toutes ses configurations possibles de 0 et de 1 en même temps, contrairement à un système classique. Cette propriété permet la réalisation de calculs très rapides.
  • L’enchevêtrement : un registre quantique ne peut pas être décomposé en une partie plus fondamentale. Deux éléments distincts d’un système sont enchevêtrés, une partie ne peut pas être décrite sans prendre en considération l’autre partie, et ce même lorsqu’ils sont séparés d’une longue distance.

Cette nouvelle technique de calcul informatique, qui s’appuie donc sur des propriétés physiques de la matière à l’échelle nanoscopique (électrons, atomes, photons), permet de mieux comprendre la structure et les interactions qui se produisent au niveau atomique. Ces ordinateurs promettent de résoudre des problèmes qui jusqu’à lors étaient hors des portées calculatoires des ordinateurs classiques.

IBM

II — Le rôle de l’informatique quantique dans la R&D.

On apprend très tôt pendant les études de pharmacie qu’un nouveau médicament prend généralement 10 à 15 ans pour passer de la découverte au lancement. Aux USA, pour les tests cliniques de thérapies cancéreuses, 45% échouent en phase III. Ces échecs aux nombreux essais cliniques de manière générale représentent des coûts, qui capitalisés dépassent les milliards de dollars. Pour ces raisons, les sociétés pharmaceutiques se reposent sur quelques médicaments mis sur le marché pour récupérer ces milliards de dollars que l’industrie dépense chaque année en R&D. Mais d’après Olivier Ezratty, diplômé de l’Ecole Centrale Paris, consultant en nouvelles technologies et auteur de “Comprendre l’informatique Quantique”, en accès libre sur son site internet, “les ordinateurs quantiques permettent de diviser par 1 million le coût énergétique des calculs. En accélérant certains types de calculs, on arrive à simuler les interactions entre les atomes dans les molécules, et arriver à terme à inventer de nouveaux médicaments”

Bien sûr, les outils informatiques dont nous disposons actuellement sont déjà des éléments clés de la découverte et du développement de médicaments. Mais beaucoup de ces algorithmes ne s’adaptent pas bien aux structures moléculaires complexes, les chercheurs sont alors souvent limités à des structures moléculaires relativement simples. Et alors que la modélisation de la pénicilline sur un ordinateur classique nécessiterait 1086 bits, elle pourrait d’après une estimation d’IBM ne prendre que 286 qubits sur un ordinateur quantique.

Améliorer le criblage, l’identification des cibles et le reciblage thérapeutique.

Construire un outil permettant de tester des molécules sur une cible pendant le criblage est un processus de laboratoire lent et nécessitant beaucoup de main-d’œuvre. En améliorant le criblage in silico, l’informatique quantique pourrait éviter la nécessité de procéder à des essais in vitro coûteux et longs et ainsi aboutir plus rapidement à la découverte de médicaments. De plus, l’utilisation d’ordinateurs quantiques pourrait accélérer les phases de développement clinique en facilitant les explorations moléculaires des maladies multifactorielles complexes. Par ailleurs, le quantique permettra aussi d’accélérer les opérations de re ciblage thérapeutique de traitements existants pour espérer traiter certaines des maladies aujourd’hui encore incurables et modéliser plus rapidement des molécules, des plus simples aux plus compliquées comme pour la recherche de vaccins.

Les collaborations entre l’industrie pharmaceutique et les entreprises spécialisées.

D-WAVE

Les entreprises pharmaceutiques devraient pouvoir tirer un avantage significatif de cette technologie. En juin 2017, Biogen, entreprise de biotechnologies américaine s’associait avec la société de logiciels quantiques canadienne 1QBit et Accenture pour la création de nouvelles molécules. Cette collaboration visait justement le reciblage de molécules thérapeutiques, ici pour traiter les maladies neurodégénératives ou inflammatoires. En juin 2019, Merck s’associait avec la startup allemande HQS Quantum Simulations pour le développement d’algorithmes quantiques de simulation chimique. On peut citer également le laboratoire Amgen, qui est partenaire depuis 2020 de la startup QSimulate.

Les entreprises spécialisées sont de plus en plus nombreuses (ApexQubit, HQS Quantum Simulations, MentenAI, ProteinQure et Qulab) et en s’associant avec les laboratoires pharmaceutiques, elles pourraient être en mesure de mettre au point des solutions optimisées plus tôt qu’on ne le pense (en incluant les spécialistes de l’intelligence artificielle et du machine learning dans les collaborations). D’après le Boston Consulting Group, il est également possible que les acteurs technologiques se lancent dans la découverte de médicaments, en concurrence avec les entreprises pharmaceutiques. Dans un scénario extrême, les sociétés pharmaceutiques risquent d’être reléguées à se concentrer principalement sur le développement clinique, les affaires médicales et les ventes.

En France, la députée Paula Forteza a présenté un rapport en janvier 2020 sur la stratégie française sur l’informatique quantique, avec une proposition d’investissement d’1,4 milliards d’euros sur cinq ans dans ce domaine, l’ambition étant de créer des parcours de formation avec une spécialisation quantique à la fois sur Paris, Saclay et Grenoble. Aujourd’hui, la France se positionne comme un leader du quantique en Europe avec 18% des startups et 17% des fonds d’investissements en 2019, et prépare déjà notre société aux futures applications du quantique.

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Feyriel Bouaraba
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Etudiante en 4ème année de Pharmacie à Paris-Saclay — Passionnée par l’innovation technologique en santé.