Télémédecine & Covid : enjeux et impacts réciproques

Mario Chalhoub
Digicare
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6 min readMay 12, 2020

La télémédecine a joué un rôle prépondérant lors de la crise sanitaire actuelle. D’après l’Assurance Maladie, près d’un million de téléconsultations sont réalisées chaque semaine en France, contre 10 000 avant la pandémie. Elle est par ailleurs remboursée à 100% depuis le 18 mars pour éviter les déplacements pour raisons médicales non urgentes.

Pour approfondir les impacts réciproques entre l’utilisation de la télémédecine et la crise sanitaire, nous avons interrogé deux grands acteurs du secteur : LIVI pour la prise en charge des patients en ville et Doctolib du côté hospitalier.

Différents types d’entreprises sont positionnés sur le marché de la télémédecine. Certaines, comme LIVI, sont des offreurs de soins, et fonctionnent comme un centre de santé : des médecins sont salariés par l’entreprise et télé-consultent les patients utilisant le service LIVI. D’autres opèrent en tant que prestataire technologique, en permettant aux médecins d’utiliser un service sécurisé et optimisé pour télé-consulter leurs propres patients.

En médecine de ville

Chez LIVI, le confinement a entraîné une multiplication par 6 de l’activité. Pour compenser l’augmentation du nombre de patients, recruter des médecins n’a pas été difficile car beaucoup de cabinets médicaux ont fermé, par crainte de contamination et du fait de la baisse d’activité.

Selon Dr Cauterman, directeur médical de LIVI, trois raisons principales ont motivé les médecins généralistes libéraux à franchir le pas de la télémédecine :

  • Une envie forte de contribuer à l’effort national et de lutter contre l’épidémie.
  • Les recommandations en termes de prise en charge des patients Covid positifs ayant rapidement évolué, il y avait un besoin de rejoindre une équipe de médecins structurée et organisée pour échanger sur des cas cliniques de patients et sécuriser l’exercice de leur profession.
  • Des raisons économiques, leurs revenus ayant baissé car le nombre de patients en cabinet s’est réduit.

Le suivi des cas Covid

Une grande partie de ces téléconsultations (environ 75%) avaient un motif non lié au covid, les patients souhaitant éviter de surcharger les urgences ou les centres 15.

Concernant la prise en charge des cas Covid suspects ou avérés, une augmentation de la gravité des cas a été constatée dès la fin mars, avec par exemple des cas de dyspnée sévère (gêne respiratoire). Pour faciliter la prise en charge de ces patients, LIVI a développé des partenariats avec des services d’ambulances permettant ainsi leur évacuation vers les urgences.

Par ailleurs, pour assurer le suivi des patients suspects Covid, LIVI a mis en place un questionnaire d’auto-suivi via leur application mobile : chaque jour, le patient transmet des informations telles que son état général ou l’apparition de nouveaux symptômes. A la suite de cela, un algorithme de tri détermine si le patient doit être adressé aux urgences, doit réaliser une téléconsultation (dans 10% des cas) ou si rien ne doit être fait car l’état du patient est stable.

Ce système a permis à plus de 24 300 patients à domicile d’être suivis quotidiennement et ainsi un désengorgement certain des services d’urgences.

Ces services d’urgences ont justement utilisé la télémédecine pour assurer une meilleure organisation des soins : les régulateurs du SAMU de plusieurs départements franciliens pouvaient proposer en un clic une téléconsultation aux patients pour lesquels cela était pertinent.

La téléconsultation dans les hôpitaux

Du côté des établissements de santé, la téléconsultation a également été un enjeu majeur pour la prise en charge des patients. Habituellement, les consultations à l’hôpital servent à deux choses : prendre l’avis d’un spécialiste (dans l’optique par exemple d’une hospitalisation) ou réaliser un suivi de patients ayant été hospitalisés. Cette activité de consultation conventionnelle a chuté d’environ 65% à l’annonce du confinement.

Très rapidement, les équipes de Doctolib ont appelé leurs hôpitaux déjà clients pour leur proposer les différents services qu’ils pouvaient mettre à disposition. En quelques jours, ils ont adapté leur produit aux besoins des hôpitaux alors qu’il était initialement destiné à la médecine de ville. Pour cela, l’idée était de co-construire leur service de téléconsultation de manière itérative en prenant en compte les retours des établissements de santé.

Le bilan est impressionnant :

  • 70 hôpitaux de tout type (CH, CHU, ESPIC ou des hôpitaux spécialisés en maternité ou en psychiatrie) équipés gratuitement partout en France
  • 2 000 praticiens utilisateurs de la solution
  • 50 000 téléconsultations réalisées, principalement dans le cadre de suivi de patients.

Dès la semaine du 30 mars, le pic d’activité était atteint avec près de 6 000 téléconsultations par semaine. L’intérêt était particulièrement fort dans des indications telles que la gynécologie, la psychiatrie ou la neurologie. Quelques spécialités chirurgicales telles que l’urologie ont également été concernées.

C’est évidemment le Covid qui a eu un impact sur la place et l’usage de la télémédecine. Les bénéfices en termes de prise en charge du patient et de qualité des soins sont en effet très clairs : le patient n’a plus besoin de se déplacer pour une consultation de suivi qui ne dure en général qu’une vingtaine de minutes. Pour des patients âgés notamment, cela pouvait être assez complexe en termes de logistique et ils perdaient généralement beaucoup de temps comparé à la durée finale de la consultation. .

La téléconsultation inclut un échange de documents sécurisé permettant au patient d’envoyer ses résultats d’analyse pour interprétation et au médecin de partager une ordonnance. On évite aussi au patient le passage au bureau des entrées. Ces téléconsultations ont également permis d’assurer la continuité des soins en ville comme à l’hôpital tout en diminuant la propagation du Covid.

Tous ces éléments poussent les praticiens hospitaliers, même ceux qui étaient initialement réfractaires, à envisager la téléconsultation post-crise, pour environ 10 à 15% de leur activité. Au delà même du Covid, ce type d’outil peut également permettre de maîtriser la propagation d’infections au sein de l’hôpital. La crise actuelle a ainsi clairement accéléré l’adoption de la télémédecine par les hôpitaux et Doctolib travaille actuellement avec ses hôpitaux clients sur une reprise maîtrisée de leur activité en y intégrant notamment la télémédecine.

L’un des médecins de l’Hôpital Fondation Rothschild, partenaire de Doctolib, témoigne :

« Je faisais probablement partie des médecins les plus sceptiques vis-à-vis de ce type d’entretien vidéo avec le malade. Je prends en charge des patients atteints de maladies rares qui font souvent de longs trajets et doivent parfois prendre des jours de congé pour venir en consultation. Cette expérience, à marche forcée, m’a démontré que quand on connaît déjà le patient et que l’on a tout son dossier, ce type de RV par vidéo est très approprié. La téléconsultation n’est certes pas la seule solution, mais c’est devenu pour moi une solution parmi d’autres, cette expérience va changer ma pratique »

Le NPS (Net Promoter Score), qui permet d’évaluer la satisfaction des utilisateurs d’une solution, a fortement augmenté du côté des praticiens et professionnels de santé, entraînant ainsi une bonne adoption de ces nouveaux outils. Côté patients, le NPS était déjà élevé et on retrouve une répartition plutôt égale entre les tranches d’âges utilisant les services de télémédecine.

Par ailleurs, la téléconsultation n’a pas été le seul moyen d’aider les hôpitaux. Doctolib a en effet équipé une quinzaine de SAMU d’un outil d’adressage. Cela permet aux régulateurs d’adresser des patients ne nécessitant pas une prise en charge par le SAMU à des hôpitaux ou des cabinets de ville en prenant directement rendez-vous à leur place. Cela a permis d’améliorer la prise en charge des patients en répondant mieux à leurs besoins et de fluidifier les appels au SAMU.

Post-covid, la téléconsultation, dont l’usage a été accéléré par la crise actuelle, devrait ainsi avoir une meilleure place dans le système de santé. Malgré cela, la France reste relativement en retard par rapport à d’autres pays comme les Etats-Unis où la téléconsultation représente déjà 50% de l’activité totale en médecine.

Merci au Dr Cauterman, médecin généraliste et Directeur médical de LIVI et à Maric Philibert, Directeur Déploiement établissements de santé chez Doctolib, pour avoir répondu à nos questions.

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Rédigé par Mario Chalhoub, co-fondateur de Digicare

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Mario Chalhoub
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Co-founder of Digicare — President of YES & Start in Saclay — Pharm.D & Ecole Polytechnique student