Franck Bodin
Digital Praxis
Published in
6 min readFeb 8, 2016

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Le web aujourd’hui, place des médias sociaux dans la culture des adolescents

De la “mare nostrum” de l’Internet des informations, aux nouveaux continents numériques : vers une navigation vigilante

Si aux origines Internet pouvait être comparé à un océan d’information, force est de constater que “la toile” s’est transformée. Au fil d’une histoire très courte des territoires du web se sont crées, semblables à des continents. Chacun proposant sa propre topographie, sa singularité.

Le continent des plateformes sociales (Facebook, Twitter…) s’est séparé des espaces formés par les acteurs de l’informatique traditionnelle, jusqu’à occuper une surface équivalente. Les territoires occupés par les réseaux sociaux numériques continuent de s’étendre. Ils se sédimentent par leur capacité à produire des masses de données toujours plus importantes. C’est ce que donne à voir ce site mesurant l’activité d’Internet en temps réel :

La diffusion des terminaux mobiles (smartphones tablettes) favorise la croissance du web applicatif et social. En effet, les magasins d’applications sont en croissance continue et génèrent toujours plus d’appétits économiques. Le 27 août 2015, un milliard d’internautes dans le monde se sont connectés au principal réseau social en ligne : Facebook.

Selon une étude publiée par l’agence We are social la France compte aujourd’hui 55 millions d’internautes. 32 millions d’entre eux sont actifs sur les réseaux sociaux numériques. Les usagers des plateformes sociales se connectent, pour la plus-part, à partir de leurs terminaux mobiles. Ils sont 25 millions à le faire.

Pour comprendre comment se structure Internet aujourd’hui ces chiffres peuvent être complétés par ceux de l’Internet des objets, ce nouveau continent du web qui émerge. Ridha Loukil, dans l’Usine Digitale, indique que selon IC Insights, les nouvelles connexions Internet devraient doubler d’ici 2020. Ces dernières devraient être dominées à 80% par des connexions non-humaines dans les bureaux, l’industrie, les voitures, les maisons ou les capteurs. En 2000, la proportion était inverse avec 85% des 488 millions de connexions en service utilisées par des humains pour communiquer, télécharger du contenu, recevoir des flux de données ou chercher en ligne de l’information.

Des ados qui occupent le web social

Les médias sociaux servent de relais à l’information et constituent une clé d’entrée essentielle vers les contenus en ligne. Une enquête menée par des étudiants et publiée par Ludovia Magazine indique que :

Une enquête publiée par les Cahiers Pédagogiques confirme l’hypothèse que les adolescents sont non seulement des internautes, mais surtout des mobinautes.

  • 72,1 % des collégiens de quatrième interrogés déclarent posséder un smartphone.
  • 94,2 % d’entre eux se sont connectés la semaine précédant l’enquête.
  • Ces collégiens se connectent principalement chez eux (66,8 %) ou dans leur chambre (53,6 %).

Au regard de cette population d’élèves connectés qui tient désormais le monde au creux de sa main, le philosophe Michel Serres indique que le mode d’accès au savoir évolue et interroge la posture de l’enseignant. Un positionnement nouveau est à adopter.

  • L’enseignant doit accorder une présomption de compétence à ses élèves.
  • Favoriser l’importance d’une “tête bien faite” qui puisse donner du sens aux informations.
  • Privilégier une position active devant les nouveaux médias pour comprendre, critiquer, ordonner…

Économie de l’attention, contrôle contre richesse des contenus et des relations

Mais les médias sociaux en ligne construisent leur modèle économique sur le concept de l’économie de l’attention. Le risque pour les adolescents est alors de devenir captifs d’une ou de quelques plateformes qui leur adressent des contenus en lien avec leurs centres d’intérêt ou en fonction des recommandations de leur communauté, au point de les enfermer. C’est ce qu’explique Benjamin Bayart, cofondateur de la Quadrature du net, au micro de France Culture.

Propos par ailleurs résumé dans ce Tweet :

Outre la nécessité de diversifier ses modes de navigations en utilisant la plus grande variété de plateformes possible, l’internaute vigilant est celui qui porte attention aux données qu’il communique aux acteurs de l’Internet. Comme le souligne Marc Bidan dans son article Relecture du post-scriptum de Gilles Deleuze pour temps numériques :

nos colliers électroniques sont nos téléphones portables, nos GPS, nos montres connectées, nos réseaux sociaux et ils alimentent nos usines à données.

Avec le développement des plateformes, le concept deleuzien d’une “société de contrôle” trouve un nouvel écho : celui des “sociétés numériques de contrôle”. Cette société s’appuie sur les “données que nous acceptons peu ou prou de rendre disponibles à la collecte” et par là même au traitement algorythmique. Avec les technologies numériques le contrôle s’opère de manière ubiquitaire et non-coercitive, sans limite de durée… Ces “contrôles (…) basés sur le couple identifiant/mot de passe”, permettent entre-autre l’analyse de de nos actions, l’ordre d’affichage des contenus sur nos time-lines… “La plupart du temps nous en connaissons le top départ, mais rarement le clap de fin”.

Gilles Deleuze, painted portrait _DDC3363 par Thierry Ehrmann

Développer une culture et présence numérique active

En communiquant des données passivement lors d’épisodes de connexion, chaque individu devient un document : un sujet identifié, défini par les informations qu’il produit et les données qui lui sont associées. Cette identité numérique, plus ou moins choisie ou maîtrisée, peut interférer avec nos sociabilités physiques, avec les atouts et les dangers que cela représente. L’enjeu consiste donc à en conserver la maîtrise en acceptant que le contexte global où elle se constitue nous échappe pour partie. Pour y parvenir, Olivier Ertzscheid propose quelques principes simples. Tout dʼabord :protéger son nom, en réservant sa place sur les plateformes sociales dʼInternet. Ensuite, définir son périmètre de confidentialité sur ces médias, en ouvrant plus ou moins ses profils à la vue de cercles choisis. Enfin, opérer une vigilance régulière autour de ses comptes et de son nom. Cette pratique de veille peut être automatisée grâce à des outils comme Google alertes.

Louise Merzeau (médiologue, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication, maître de conférences à lʼUniversité Paris Ouest Nanterre à La Défense) insiste sur la question des traces que nous déposons en ligne, de manière intentionnelle ou non. Selon elle, ces traces constituent moins notre identité que les signes de notre présence numérique. Cette présence est à construire et il est nécessaire de la prendre en main. Louise Merzeau précise que renseigner, entretenir son profil est un savoir-faire à enseigner. Comme peuvent lʼêtre les compétences liées à lʼorganisation dʼune mémoire numérique pensée sur le modèle de la collection ou de la curation. Selon elle, cet effort de mémoire réhabilite la place de lʼoubli. Tout étant dorénavant mémorisé par défaut, choisir de ne conserver quʼune partie des éléments de ses navigations est un acte volontaire qui permet à chacun de se ré-approprier les traces quʼil génère et de développer sa présence numérique.

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