Vers des établissements 100 % numériques

Trace de la journée des lycées 100% numériques à l’Atelier Canopé du Val-de-Marne

Franck Bodin
Digital Praxis
11 min readFeb 13, 2018

--

Le numérique : de la question des objets connectés à celle de la culture

Le numérique c’est de l’information rematérialisée

Le numérique c’est bien sûr des objets, connectés. C’est surtout un environement technologique où l’information, sous forme de donnée, tient la place centrale. La définition de wikipédia précise que le…

numérique [est] une information qui se présente sous forme de nombres associés à une indication de la grandeur à laquelle ils s’appliquent, permettant les calculs, les statistiques, la vérification des modèles mathématiques.

Le numérique est donc aussi une rematérialisation de l’information. Cette rematérialisation de la donnée se traduit par la production d’outils propres à communiquer ou à stckocker des quantitité parfois massives d’informations. Le numérique n’est jamais immatériel, c’est une “industrie lourde” comme le précise Marc Bidan dans le pages de “The Conversation”.

Climate Computing Facility, Goddard Space Flight Center, Greenbelt, Maryland. ep_jhu/Flickr, CC BY-NC

La question des objets et de technologies n’épuise pas le numérique. De la même manière qu’avec le livre qui est un environnement technologique de l’écrit, les environnements numériques produisent leur propre culture et sont objet de culture. On parle aujourd’hui de culture numérique ou de culture digitale, de littératies numériques, d’humanités numériques.

Sur quoi repose la culture numérique ?

La donnée, les informations, sont la matière du numérique. Aussi, le texte est au coeur de la culture numérique. Dans les environnements digitaux que fréquentent les élèves connectés, le texte est présent sous de multiples formes :

  • Code (langage / algorithmes / métadonnées)
  • Interfaces (navigation / mode d’interaction avec la machine)
  • Informations échangées ou reçues (recherches, lectures, pratiques sociales)
  • Des modes de production du textes renouvelés (mobilité / créolisation)
  • Un texte augmenté (profondeur / ubiquité)

Ce nouveau statut du texte donne naissance à une véritable culture dont l’accès requiert la maîtrise de compétences nouvelles et en constant renouvellement : les littératies numériques. Les fondements des littératies numériques sont explicités sur le site québécois habilomedia. Elles reposent sur quatres pilliers : accéder / comprendre / utiliser / créer. Ces compétences permettent à celui qui les possède d’innover, d’interagir socialement de manière constructive, d’échaffauder une pensée critique et créative au sein des environnements numériques.

La naissance de cette culture digitale, appuyée sur les littératies numériques, introduit une rupture avec la culture académique classique. Néanmoins elle constitue un mode d’accès agile à la connaissance dans un contexte de surabondance et de circulation permanente de l’information. Ce que traduisent ces infographies.

Toutefois cette culture numérique ne prend sa dimension de culture qu’à partir de l’instant où les environnements numériques, les pratiques qu’ils induisent, le rapport au savoir qu’ils génèrent sont aussi objet d’étude pour nos élèves. Enfin, les rapports de force économiques, sociaux, technologiques qui structurent les évolutions de cet environnement persvasif qu’est le numérique nécessitent que l’on s’y arrête.

Économie de l’attention, contrôle contre richesse des contenus et des relations

Les médias sociaux en ligne construisent leur modèle économique sur le concept de l’économie de l’attention. Le risque pour les adolescents est alors de devenir captifs d’une ou de quelques plateformes qui leur adressent des contenus en lien avec leurs centres d’intérêt ou en fonction des recommandations de leur communauté, au point de les enfermer. C’est ce qu’explique Benjamin Bayart, cofondateur de la Quadrature du net, au micro de France Culture.

Outre la nécessité de diversifier ses modes de navigations en utilisant la plus grande variété de plateformes possible, l’internaute vigilant est celui qui porte attention aux données qu’il communique aux acteurs de l’Internet. Comme le souligne Marc Bidan dans son article Relecture du post-scriptum de Gilles Deleuze pour temps numériques :

nos colliers électroniques sont nos téléphones portables, nos GPS, nos montres connectées, nos réseaux sociaux et ils alimentent nos usines à données.

Avec le développement des plateformes, le concept deleuzien d’une “société de contrôle” trouve un nouvel écho : celui des “sociétés numériques de contrôle”. Cette société s’appuie sur les “données que nous acceptons peu ou prou de rendre disponibles à la collecte” et par là même au traitement algorythmique. Avec les technologies numériques le contrôle s’opère de manière ubiquitaire et non-coercitive, sans limite de durée… Ces “contrôles (…) basés sur le couple identifiant/mot de passe”, permettent entre-autre l’analyse de de nos actions, l’ordre d’affichage des contenus sur nos time-lines… “La plupart du temps nous en connaissons le top départ, mais rarement le clap de fin”.

Au delà d’une dramatisation du risque, comment passer à une intégration positive du numérique pour former le citoyen de demain. Ou pour parler avec Bernard Stiegler, participer à la création d’une culture commune avec le numérique dans un acte de de transindividuation.

La transindividuation, c’est la transformation des je par le nous et du nous par le je, qui est d’emblée et d’un même mouvement la trans-formation du milieu symbolique à l’intérieur duquel seulement les je peuvent se rencontrer comme un nous.

Travailler pour les autres, c’est agir en citoyen numérique

Les enjeux éducatifs autour des disruptions numériques sont analysés en profondeur par le philosophe Bernard Stiegler. Il appelle à une disruption positive articulée autour de la participation au domaine des communs.

Un commun peut être définit comme :

un système ouvert avec, au centre, une ou plusieurs ressources partagées, gérées collectivement par une communauté ; celle-ci établit des règles et une gouvernance dans le but de préserver et pérenniser cette ressource tout en ayant le droit de l’utiliser. Ces ressources peuvent être naturelles […] matérielles […]… immatérielles : une connaissance, un logiciel.

Wikipedia peut-être considéré comme exemple de commun numérique bien connu.

À l’image d’Hervé Le Crosnier ou du collectif SavoirsCom1, les communs immatériels peuvent être désignés par les termes de communs de la connaissance. S’agissant du domaine éducatif on pourrait même parler de communs de l’éducation.

Participer à la production de communs de la connaissance est un véritable enjeu. S’il peut être difficile de mettre une classe au travail autour de la rédaction d’un article de Wikipédia. Il reste de possible de travailler de manière plus simple, mais tout aussi riche à l’encyclopédie collaborative. La solution consiste par exemple à participer à l’enrichissement de Wikimedia Commons. Ce travail peut-être effectué par des élèves très jeunes, dès l’école élémentaire.

Cologne Hauptbahnhof as seen from the central platform of the main hall par Martin Falbisoner photo du jour du 03/12/2016

Participer à un travail autour des communs permet:

  • en premier lieu, de donner un sens à son action au sein des milieux numériques.
  • Dans un deuxième temps en appliquer positiviment les rêgles et participer à une oeuvre intellectuelle qui dépasse le seul individu.
  • C’est donc participer à un processus d’individuation. C’est à dire qu’en construisant avec les autres une oeuvre collective, il devient possible de développer et de se réaliser soi-même. Telle est l’analyse que livre Bernard Stiegler à travers sa lecture de Gilbert Simondon.

Quels sont les usages des élèves avec le numérique ?

S’il est possible de faire société avec le numérique, il est néanmoins nécessaire de savoit d’où l’on part, de photographier des pratiques adolescentes, avant de formuler quelconque projet pédagogique.

Pour comprendre ce qu’est Internet il faut voir ce qu’y déroule : l’infographie The Internet in Real Time nous montre en temps réel ce qui ce déroule en ligne

Dans cet internet socialisé, les pratiques adolescentes sont elles aussi analysées. Ipsos nous apprend que

  • un adolescent sur huit possède un smartphone connecté.
  • un adolscent passe en moyenne 15h semaine à utiliser son terminal mobile
  • Ces même élèves sont hypersocialisés et fréquentent massivement les réseaux sociaux numériques

par extension les pratiques “analogiques” des élèves sont identiques à leurs pratiques en ligne. Il n’y a donc pas de distinction entre la vie connectée et l’expérience sociale classique, elles se superposent, se complètent l’une l’autre.

Néanmoins ces chiffres sont doivent être analysés au regard de ce que nous dit la recherche sur les natifs digitaux, à savoir que…

Le “digital native” n’existe pas

Pour Laurence Allard, le digital native n’existe pas. Ce concept est pour partie virtuel, voir mythologique (au sens ou l’entend R. Barthes). Si le digital native n’existe pas, c’est aussi parce que la fracture numérique est intra-générationelle. Aujourd’hui les adolescents “se différencient de moins en moins par la possession et la fréquence d’utilisation d’un ordinateur ; en revanche, ils continuent de se différencier de façon significative par leurs usages de celui-ci

Michel Serres le dit également : Petite poussette doit avoir la tête bien faite car elle accède potentiellement à l’ensemble du savoir. Ce savoir accessible en permanence interroge la posture de l’enseignant. Un positionnement nouveau est à adopter. Michel Serres précise que l’enseignant doit :

  • accorder une présomption de compétence à ses élèves.
  • favoriser l’importance d’une “tête bien faite” qui puisse donner du sens aux informations.
  • privilégier une position active devant les nouveaux médias pour comprendre, critiquer, ordonner…

Des adolescents acteurs de leurs apprentissages, à l’esprit critique développé, investis dans des processus l’intelligence collective sont autant d’entrées formalisées à travers la notion de compétences du 21eme siècle.

Travailler à l’école les compéténces du 21eme siècle à travers les environnements numériques

En France le chercheur François Taddei, directeur du CRI (Centre de Recherche Interdisciplinaire, à Paris) travaille sur ces nouvelles compétences. Il précise :

Il faut donc développer d’autres compétences et plus seulement se remémorer, lire, écrire quand les machines le font mieux que nous. Il faut travailler sur le sens, l’empathie, des compétences que le système éducatif ne développe pas alors que l’esprit critique est plus que jamais utile.

A travers une analyse des différents points identifiés par les travaux qui recensent ces compétences, l’OCDE dresse une liste de 8 compétences principales. Elles se déclinent de la manière suivante :

Les compétences mentionnées dans tous les référentiels :

  • collaboration,
  • communication,
  • compétences liées aux technologies de l’information et des communications,
  • habiletés sociales et culturelles, citoyenneté.

Les compétences identifiées dans la majorité des référentiels :

  • créativité,
  • pensée critique,
  • résolution de problèmes,
  • capacité de développer des produits de qualité et productivité.

Une fois ces compétences repérées, se pose la question de la manière de les développer en classe, dans le cadre des programmes, avec le numérique. Le site de l’agence des usages de Réseau Canopé propose quelques pistes :

Exemple d’une approche critique du savoir en lycée

Le travail pédagogique par l’analyse de controverses est une piste examinée dans l’académie de Creteil. Ce type de travail mené en interdisciplinarité depuis longtemps par les professeurs documentalistes est aujourd’hui mis à l’épreuve dans le domaine scientifique au collège et au lycée. A l’heure de la viralité numérique des rumeurs, il s’agit d’une modalité de travail propre à développer chez les élèves des compétences efficientes et indispensables.

Qu’est-ce que le numérique dans la classe

Le numérique, un environnement

La médiologue Louise Merzeau précise dans une interview accordée au site docpourdocs qu’en contexte pédagogique, “le numérique ne peut être envisagé dans un rapport d’extériorité au système de connaissance, de mémoire et de transmission qu’il est censé perpétuer”. Selon elle le numérique “désigne désormais un milieu beaucoup plus qu’un outil”… “Il faudrait le penser comme le contexte qui réorganise l’ensemble des connaissances”.

Apprendre, enseigner, créer avec le numérique suppose donc d’agir en immersion au sein même de ce milieu. Ce bain est d’autant plus nécessaire que le numérique requière un apprentissage récurrent.

Au Québec une école innovante, le dispositif IClasse, réalise cette immersion des dispositifs d’apprentissages en milieu numérique.

De la ressource vers les pédagogies actives

L’exemple de la Iclasse le démontre le travail pédagogique avec le numérique repose sur des pédagogies actives. En ce sens le numérique n’est pas un facteur nouveau. Il réintroduit des méthodes anciennes, comme le précise Vincent Faillet, professeur de SVT en Lycée, promoteur de la classe mutuelle :

Le terme « mutuel » est un petit hommage à la méthode d’enseignement mutuel qui a connu son apogée en France au début du 19ème siècle avant de disparaitre au profit de la méthode simultanée, toujours en vigueur actuellemen

Ces pédagogies reposent à la fois sur :

  • l’exploitation actives des ressources numériques constituées et mises au service du travail de la classe. Des portails comme éduthèque peuvent alors être convoqués, notamment via l’ENT (ou Réseau Social Educatif). Mais ce recourt à la ressource numérique, comme la vidéo, n’est efficace que dans un scénario pédagogique qui laisse une place active à l’élève et à l’enseignant.
  • les productions numériques des élèves réalisées en classe. Ces travaux, comme ceux réalisés par les élèves de Jean-Michel Le Bault sur le blog i-voix peuvent alimenter le champs de communs. C’est ce permet notamment la participation au Wikiconcours.

Pour intégrer le numérique aux pratiques de classe, plusieurs référenciels existent. Le plus connu d’entre eux est certainement le modèle SAMR de Ruben Puendatura :

L’académie de Créteil a développé un outil d’autodiagnostic d’apropriation du numérique à l’échelle de l’EPLE : les palliers de maturité numérique. Cet outil distingue 3 niveau d’appropriation :

  • Les conditions minimales pour amorcer les usages du numérique
  • Les conditions de réussite pour l’appropriation du numérique par les équipes éducatives et pédagogiques ;
  • Les conditions de maturité pour la pleine intégration du numérique dans les pratiques éducatives et pédagogiques de toute la communauté éducative.

La réflexion cristollienne insiste sur le fait que la montée en puissance de l’EPLE en terme d’appropraiation du numérique repose sur une conception du pilotage qui elle-même intègre la démarche numérique.

L’intégration du numérique en établissement repose enfin sur une réflexion pédagogique autour des formes scolaires. Le rapport publié par Catherine Becheti-Bizot intitulé “Repenser la forme scolaire à l’heure du numérique” donne des pistes claires.

Forme scolaire et numérique

Si la question de la forme de scolaire interroge le dispositif dans sa globalité. Elle questionne notamment la posture de l’enseignant. Elle réaffirme par ailleurs la place centrale de la médiation pédagogique à l’ère du numérique.

Source : Slideshare. Numérique et éducation, état des lieux, enjeux et perpectives par Elie Allouche http://fr.slideshare.net/elieallouche/numerique-education-eallouchejan14

Par voie de conséquence cette nouvelle place de l’enseignant invite à réfléchir à l’organisation de spatiale du dispositif classe et à son aménagement. La géographie de la classe peut en effet être appréhendée comme un vecteur esentiel, de l’attention.

--

--