“Blessed be the fruit” : The Handmaid’s Tale et ses préoccupations écologiques.

Lou DELBARRE
Digital storytelling & nouvelles écritures
10 min readDec 11, 2019

--

La série Hulu The Handmaid’s Tale, sortie en 2017, est déjà renouvelée pour une quatrième saison prévue pour 2020. Elle est l’adaptation du roman du même nom, écrit par Margaret Atwood en 1985. Au cas où vous auriez manqué le phénomène, The Handmaid’s Tale nous plonge dans une Amérique dystopique où le puritanisme est roi. À la suite d’une baisse dramatique de la fécondité, les Etats-Unis se sont rebellés et réorganisés en une société qui dépossède les femmes de tous leurs droits. Les “handmaids” sont des servantes qui n’ont pour vocation que la reproduction. Elles sont ainsi régulièrement violées pour être fécondées.

La série s’est rapidement hissée en symbole de la lutte contre l’inégalité entre les femmes et les hommes. Il n’est plus rare d’apercevoir des femmes arborer la cape rouge des servantes lors de manifestations comme ce fut le cas en 2017 au Texas pour protester contre une loi relative à la procréation ou encore en Argentine pour militer en faveur du droit à l’avortement. Ce qui est plus rarement décrypté en revanche, c’est l’engagement de l’œuvre dans les problématiques écologiques. The Handmaid’s Tale est pourtant une série imprégnée de fortes préoccupations écologiques, qui vont de pair avec son militantisme féministe.

“Give me children, or else I die.”

Le point de départ de la série, à savoir une chute de la fécondité, met en exergue un des plus gros paradoxes liés à l’urgence climatique. D’une part, les Nations Unies estiment que d’ici 2050, nous serons presque 10 milliards d’êtres humains sur terre. S’en suivent de nombreux débats sur notre capacité à répondre aux besoins d’un si grand nombre de personnes. Nourrir l’humanité est ainsi un des premiers défis de la transition écologique. En revanche, on annonce d’autre part que l’ensemble des êtres humains est en danger, et que le réchauffement climatique sera à l’origine de nombreux décès. Ainsi, même en décidant de fermer les yeux sur les théories de l’effondrement et autres idées collapsologistes alarmistes, il est difficile d’ignorer le futur funeste qui se profile si le réchauffement climatique n’est pas endigué. Le Global Humanitarian Forum, groupe de réflexion de Kofi Annan, estime à 300 000 morts par an le nombre de victimes liées au réchauffement climatique qui affecte déjà 300 millions de personnes dans le monde. Dans cette étude, on découvre aussi que chiffre pourrait monter à 500 000 morts par an en 2030. Parallèlement, la Banque mondiale prévoit que le réchauffement climatique poussera, d’ici 2050, 143 millions de personnes à migrer.

Par les temps qui courent, les discours malthusiens vont bon train. Il est inenvisageable pour certain·es de se reproduire dans un monde qui est voué à l’autodestruction. C’est sous ce prisme que la brillante série Utopia de Denis Kelly pour Channel 4 s’attaquait à la question écologique. The Handmaid’s Tale quant à elle prend le problème dans l’autre sens : et si nous ne parvenions plus à nous reproduire ? Et si la race humaine était menacée d’extinction ? Si ces questions semblent a priori loin de nos préoccupations actuelles, la baisse de la fertilité devient pourtant un réel problème dans nos sociétés occidentales. Selon une étude publiée dans la revue Human Reproduction, la qualité du sperme des occidentaux a chuté de moitié ces quarante dernières années. Les perturbateurs endocriniens en seraient la principale cause. Ces substances chimiques que l’on trouve dans les pesticides dérèglent en effet le système hormonal.

Dans le système totalitaire qui régit The Handmaid’s Tale, les femmes sont considérées comme la cause de ce drame : leurs actes de débauche et de perversion, permis par les acquis féministes tels que l’avortement et la contraception, auraient fini par mettre Dieu en colère. C’est pour cela que le tout puissant aurait puni l’humanité en baissant drastiquement le taux de natalité, refusant de voir grandir des enfants dans ce monde de pêcheurs. En réalité, on apprend dès le premier épisode intitulé Offred que l’infertilité est liée à un tout autre phénomène : la pollution. Ce sont bien les aliments pleins de pesticides et les déchets radioactifs qui auraient donc causé ce déclin.

“I want everything back, the way it was. But there is no point to it, this wanting.”

Sous couvert de préceptes religieux ancestraux, le régime totalitaire de Gilead met en place tout un tas de mesures pour s’attaquer au problème de l’infertilité. La mesure phare est donc l’utilisation de servantes pour la reproduction. Mais Gilead s’adresse aussi à la source du problème : la pollution liée à nos modes de vie et de consommation. Ainsi, Offred, le personnage principal, nous guide dès le début de la série dans la cuisine de son foyer. Les “marthas” sont des femmes qui sont assignées au rôle de domestique. Offred explique que Gilead a imposé à tous et toutes un retour aux méthodes ancestrales : les marthas cuisinent tout à partir de produits bruts et biologiques et font leur pain maison chaque matin. De même, les quantités de viande consommées ont été drastiquement réduites. C’est une alimentation saine et respectueuse de l’environnement qui est proposée.

Dans The Handmaid’s Tale, la nourriture et la cuisine sont présentées comme sacrées. On les découvre avec des plans subjectifs. Des gros plans sont faits sur les ingrédients, magnifiés par des éclats lumineux. A Gilead, plus d’écrans ni de téléphones portables, on se chauffe au feu de bois et on porte un uniforme. Les servantes arborent des robes pourpres, les femmes de commandants des robes bleues. Ce retour aux méthodes d’antan et à un mode de vie minimaliste semble faire ses preuves en matière de politique environnementale. L’épisode 6 de la première saison A woman’s place révèle dans plusieurs passages comment Gilead est devenu un état exemplaire en matière d’écologie. Le commandant Fred Waterford explique à une délégation mexicaine que Gilead a effectué une transition vers l’agriculture biologique avant que sa femme Serena ne mentionne la réduction de 78% des émissions de CO2 en trois ans seulement.

Il intéressant d’observer que dans The Handmaid’s Tale, les activités hautement nocives pour l’environnement appartiennent à un ailleurs. Dans le livre comme dans la série, on a vent des prisonnier·es de guerre et des traître·sses au régime qui sont envoyé·es dans “les colonies”, des énormes décharges où on traite les déchets radioactifs. Ce n’est qu’en saison 2 de la série, qui va au-delà du livre dans sa narration, que l’on visualise les colonies et leurs atrocités. Avant cela, tout n’est que ouï-dire et inquiétude, un peu comme la menace climatique qui nous guette.

Dans la série, le Canada est mis en parallèle des Etats-Unis pour représenter l’ancien monde. C’est avant tout un pays libre, dans lequel la liberté sexuelle de chacun·e est préservée. Mais c’est aussi un pays capitaliste, où l’hyperconsommation règne toujours. Les dirigeants de Gilead considèrent les canadien·nes comme des mécréant·es. Comment le Canada peut-il incarner une résistance crédible dans un monde dont il participe à la destruction ? Sur ce point, The Handmaid’s Tale confirme son statut de satire politique. Le Canada est-il un véritable eldorado ou un mirage ? Dans la réalité, depuis l’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir en 2015, le Canada s’est imposé sur la scène internationale comme un leader de la justice sociale et de l’écologie. Cependant, on reproche au pays de jeter de la poudre aux yeux. Contrairement aux idées reçues, le Canada est par exemple un grand émetteur de gaz à effet de serre, avec un taux d’émission de CO2 par habitant quatre fois supérieur à celui de la France.

“We were a society dying of too much choice.”

A Gilead, ce sont les servantes qui sont chargées d’aller faire les courses. Le supermarché est un lieu central dans la série. Dans la continuité de l’esthétique de la cuisine, le décor du supermarché est ultra léché. On y découvre des produits bruts, dépourvus de marketing. Les fruits et légumes sont pulpeux, volumineux et biscornus. Les servantes s’y rendent avec leurs filets réutilisables car les emballages plastiques sont proscrits. On comprend que seuls les produits de saisons sont disponibles, voire qu’il y aurait même des pénuries de certaines denrées : dans le premier épisode, des oranges sont exceptionnellement proposées et toutes les servantes se ruent dessus. Toutes sauf Offred, dont on entend les pensées: “I don’t need oranges, I need to scream, I need to grab the nearest machine gun”.

Offred voit plus loin, elle ne tombe pas dans le piège et ne pense qu’à s’échapper. Si les servantes se déplacent en duo et sont supervisées par des agents de sécurité armés, cela ne les empêche pas de s’échanger des biens et des informations, entre deux allées du supermarché. Au fil des saisons, la résistance s’organise à Gilead. En suivant le parcours individuel d’Offred, on découvre des réseaux rebelles et notamment l’existence de “Mayday”, qui a pour but d’aider à s’échapper, de communiquer avec l’extérieur du pays, de mener des opérations de sabotage et même d’organiser des actions violentes. C’est donc au beau milieu de cette utopie écologiste que se forme la résistance de Gilead.

Le supermarché est un lieu hautement symbolique. Il est l’incarnation même du consumérisme à outrance. Pour endiguer le réchauffement climatique, la résistance doit peut-être elle aussi s’organiser au supermarché. Il serait possible de faire la révolution avec son caddie. C’est ainsi que l’on s’organise pour boycotter les marques, consommer moins, consommer mieux et favoriser le durable. En France, la déconsommation est une tendance qui s’installe peu à peu même si pour l’instant, on est très loin de la révolution. Les grandes surfaces font toujours plus de chiffres mais sont contraintes par les consommateurs de privilégier le local et le biologique et de très nombreuses marques enclenchent de vastes opérations de greenwashing pour répondre à la demande.

“Nolite te bastardes carborundorum, don’t let the bastards grind you down.”

L’écologie est bien une préoccupation centrale dans The Handmaid’s Tale puisqu’elle est profondément liée aux problématiques de genre. Vous l’aurez compris, il existe des similitudes et des causes communes aux comportements de domination et d’oppression des femmes et de la Nature. C’est aussi le constat établi par le mouvement philosophique et éthique de l’écoféminisme, apparu en Inde dans les années 1970. D’après Médiaterre, ce sont en effet les femmes qui sont en première ligne des victimes du réchauffement climatique. Elles sont plus nombreuses à succomber en cas de catastrophe naturelle, leurs exploitations agricoles sont plus précaires donc plus dépendantes des ressources naturelles et ce sont aussi les premières touchées par la famine. Dans les pays occidentaux, les femmes sont toujours largement plus présentes que les hommes dans la sphère domestique. En réalisant la majorité des tâches ménagères, elles sont garantes de la consommation de leur foyer. De fait, ce sont les femmes qui subissent de plein fouet les injonctions écologistes. En 2015, le Pew Research Center a démontré que les femmes sont plus préoccupées et se sentent plus directement concernées par le réchauffement climatique. Telle une martha, la femme du 21ème siècle se remet à faire son pain maison et à laver des couches, tout en assumant un travail à temps plein. C’est à se demander si écologie et féminisme sont même compatibles.

The Handmaid’s Tale semble nous confirmer cette incompatibilité : pour que la Nature soit sauve, il faudrait réguler le comportement des femmes et les figer dans leur rôle de domestique ou de mère. Néanmoins, The Handmaid’s Tale offre quelques pistes de réflexions écoféministes. Les servantes se saluent avec l’allocution « blessed be the fruit ». Le fruit, c’est celui de leurs entrailles, leur utérus. Cette expression puisée dans la Bible est sensée favoriser la fertilité de chacune. Ce que l’on retient surtout, c’est que Nature et femmes ne font qu’un. Les servantes sont les garantes du fruit, de la vie, et ne sont plus les pécheresses qui croquaient dans la pomme. Pour préserver la Nature, il faut préserver les femmes. Malgré son insubordination, Offred n’est jamais exécutée par le régime, car son corps est protégé.

Margaret Atwood a par ailleurs puisé son inspiration dans le roman Herland de Charlotte Perkins Gilman. Ecrit en 1915, Herland est une des utopies féministes les plus réussies jamais écrites. Trois explorateurs découvrent lors d’une expédition dans une région reculée du monde une société paisible, régie par des femmes qui se reproduisent seules depuis des millénaires. Cette société, écologiste avant l’heure, est fondée sur une conception rationnelle et chaleureuse de la maternité et de l’éducation. Concrètement, l’écoféminisme milite pour une réhabilitation de la place des femmes dans la société : cela passe par la réappropriation de leur corps, de leur travail et bien sûr par la préservation de la Nature. En ce sens, The Handmaid’s Tale appartient clairement à la mouvance.

Ainsi, The Handmaid’s Tale est une fiction profondément engagée et ce à plusieurs niveaux. Il ne s’agit pas seulement d’un plaidoyer contre les violences faites aux femmes, mais plus largement d’une critique du système patriarcal capitaliste dans lequel nous vivons. The Handmaid’s Tale rétablit le lien entre préservation de la Nature et droits des femmes. L’œuvre s’attaque frontalement au sujet de l’environnement et aux conséquences dramatiques de l’activité humaine sur nos écosystèmes. Ce qui fait très peur, c’est que le régime totalitaire de Gilead a mieux compris ces enjeux que nos propres gouvernements. En se dressant comme miroir de notre société, The Handmaid’s Tale amène à se demander si nos démocraties hyperconsuméristes ne sont pas tout aussi cruelles.

--

--