Les Musées se la racontent

Depuis un petit bout de temps déjà, les musées “se la racontent” : l’univers muséal et patrimonial utilise la forme du storytelling pour proposer des contenus et des expériences séduisantes afin de conquérir de nouveaux publics. Mises en récit de leur propre histoire ou de l’histoire des œuvres qu’ils exposent ? Les deux !
En effet, aujourd’hui, les musées racontent des histoires à travers des expositions qu’ils ne cessent de romancer, de construire autour de parcours-visiteur divers et variés. Mais ils écrivent également leur propre histoire
en témoignent les multiples plateformes et dispositifs de médiation qui fleurissent tous les jours.

Avoir une histoire, pour mieux se légitimer :

Les musées et institutions patrimoniales ne se contentent pas aujourd’hui d’exposer des œuvres, c’est bien plus que cela. Ils tirent désormais parti de leur propre histoire et capitalisent leurs souvenirs pour mieux raconter ceux des autres. La Fondation Cartier a récemment fêté ses 30 ans, prétexte pour revenir sur son rôle de défricheur de mouvements artistiques contemporains et pour retracer son histoire qui s’inscrit dans l’Histoire avec un grand “H”.

Le CENTQUATRE-PARIS également — anciennes pompes funèbres de Paris datant de 1870, reconverties en institution culturelle depuis 2008 — fête ses 10 ans cette année ; événement qui donne lieu à une rétrospective de sa propre histoire à travers différentes manifestations et dispositifs physiques et digitaux (nouveau site web, nouvelle identité graphique, nouvelles installations, etc.). Autant d’occasions pour les institutions culturelles de légitimer leur place au sein de l’échiquier culturel et artistique mondial.

Avoir une histoire pour être en droit d’en raconter d’autres.

Le CENTQUATRE-PARIS par exemple, propose des visites dites “déguidées”, visites qui s’éloignent du schéma classique des visites guidées muséales traditionnelles : un acteur-comédien guide un groupe de visiteurs à travers les différents espaces, les différentes halles, et raconte différentes histoires qui s’y sont passées — des vrais comme des fausses. En somme, il légendarise le lieu, le mythifie.

Waste Landscape — Le CENTQUATRE-PARIS, halle Aubervilliers (2011)

En effet, il y a dans les institutions culturelles, une “légendarisation” nécessaire — en témoignent les nouveaux musées que l’on voit surgir et qui rivalisent d’architectures grandioses comme la Fondation Louis Vuitton à Paris ou le Louvre d’Abou Dabi — pour atteindre ce qu’il y a de plus complexe dans l’Art: l’universalisme de l’Histoire de l’Art couplé à la singularité de chacune des œuvres que chaque institution expose.

D’où la force d’une oeuvre d’art en elle-même, qui existe tant par sa particularité d’être universelle que par sa capacité de toucher individuellement.

Cette mythification des musées, cette mise en scène de leurs histoires à travers leurs identités visuelles et physiques, à travers leurs cartels, leurs manifestes et leurs brochures, nous pousse à nous poser la question suivante : qui de mieux qu’un lieu mythique pour raconter des histoires mythiques ? Et qui de mieux qu’un atelier d’artiste lui-même, pour exposer la vie des artistes ? Personne, en témoigne le Musée de Montmartre par exemple, ancien atelier d’Auguste Renoir qui travaille justement dans sa médiation le storytelling de sa propre histoire mêlée à celle de Renoir.

Raconter une histoire, pour mieux séduire :

Docere, placere, movere: “instruire”, “plaire”, “émouvoir” ou comment inciter les publics à venir au musée est aujourd’hui devenu un art, il faut savoir “convaincre” comme le dit Aristote dans sa Poétique. Il faut considérer non pas le public comme un groupe d’individus, mais comme un groupe d’auditeurs tenu en haleine, prêt à écouter une histoire.

Tel un Père castor, dont l’art de raconter les histoires fascine ses petits-enfants au point qu’ils en demandent et redemandent indéfiniment, il faut que le musée arrive à ce que le public demande et redemande de l’Art.

C’est pourquoi, depuis longtemps, les musées arrivent à travailler non seulement leur propre storytelling mais également le storytelling de chacune de leurs expositions. Ainsi, le premier audioguide MP3, celui qui vous susurre à l’oreille l’histoire des œuvres d’art, a vu le jour il y a deçà 30 ans, en 1997 — il existait même avant des audioguides à cassettes. Aujourd’hui, les audioguides sont de plus en plus sophistiqués, intégrant GPS et paramètres de plus en plus intrusifs tels que la direction du regard, les chemins que l’on prend, etc.

Chaque exposition est désormais unique, des outils spéciaux sont créés pour chacune d’entre elles (sites internet, playlists, dispositifs numériques, 3D, réalité virtuelle et augmentée etc.) afin de créer un univers cohérent et singulier. Chaque histoire de chaque exposition, est racontée à travers un maillage de supports physiques et digitaux qui enrichit l’expérience du visiteur et agrémente l’histoire qu’on lui sert, sorte de storytelling transmedia que l’on suit en marchant magnétiquement de la salle A à la salle B, comme l’on passerait d’un Chapitre 1 au Chapitre 2. Grâce à la technique du QRCode par exemple, les smartphones et les tablettes permettent à partir d’une oeuvre, d’accéder à plus de contenus et de les lier entre eux et à d’autres œuvres : textes, photos, vidéos, musique, etc.

Les musées n’ont pas fini de se réinventer.

Par exemple, le Musée de la Grande Guerre a lancé en avril 2013, un dispositif inouï pour raconter l’histoire d’un poilu de la Première Guerre Mondiale: un journal de bord numérique afin de partager de manière innovante ce qu’il a vécu. Pour ce faire, un profil Facebook a été créé : « Pour la première fois, un musée, en reprenant tous les moyens narratifs propres à ce réseau, va offrir aux Français la possibilité de vivre au jour le jour le quotidien d’un Poilu. C’est surtout une manière originale pour les jeunes générations de découvrir cette période de l’Histoire, à travers un outil qui leur est familier » avait expliqué Michel Rouger, directeur du Musée de la Grande Guerre. Romancer une exposition, semble être aujourd’hui un des meilleurs moyens pour séduire le public, jeune comme adulte, car on le sait tous: tout le monde aime les histoires.

Jouer avec l‘Histoire, pour mieux l’exposer :

En somme, l’idée est donc de jouer avec les codes du storytelling pour mieux raconter l’Histoire — à travers l’Art. On peut prendre l’exemple de la géniale campagne de pub du Musée d’Orsay en 2015 qui a détourné les codes des histoires et mythes traditionnels afin de changer son image un peu vieillotte et d’affirmer haut et fort que les histoires d’aujourd’hui sont les mêmes qu’hier, et que tout n’est qu’une question de point de vue.

La liberté guidant le peuple de Delacroix est aussi bien l’Histoire de la France révolutionnaire du XIXe siècle que celle de la France contestataire du XXIe siècle que l’on vit aujourd’hui à travers les revendication des gilets jaunes ; et les Hercule et les Achille d’hier n’ont rien à envier aux Spiderman et Batman de nos jours.

Ainsi, l’objectif final de cette “storytellingation” des lieux de culture est une ré-appropriation du patrimoine par les publics — particulièrement les jeunes publics — et un réinvestissement des récits entourant le patrimoine matériel et immatériel mondial pour les valoriser et les faire vivre au-delà des discours purement académiques produits autour des collections.

Une nouvelle forme de médiation peut alors se mettre en place, romançant l’expérience muséale afin de faire vivre une expérience enrichissante et émouvante aux visiteurs et qu’à la manière d’un Philippe Dufour qui écrit dans Le Roman est un songe que le “roman donne à penser”, que l’on puisse se dire que “le musée donne à penser”.

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