“Il était une fois” ou la formule négligée du cinéma

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E.T ; Steven Spielberg

En préambule de cet article, il me semble ici nécessaire de préciser que le contenu de ce papier ne cherche en rien à imposer une matrice d’interprétation cinématographique plutôt qu’une autre. Cet article ne cherche pas à justifier ou même légitimer quelque grille de visionnement au détriment d’une autre. S’agissant ici de débattre de comment apprécier un film, l’appréciation étant intimement subjective, je ne m’aventurerais certainement pas dans une tentative de réécriture des tables de la loi cinématographique. Cela serait produire effet exact que je cherche à dénoncer. Cet article est donc entièrement le résultat d’un cheminement intellectuel et personnel sur la perception et l’appréciation d’un film.

Retrouver le plaisir du conte

Pour autant que chacun ait eu cette chance, qui ne se rappelle pas avec plaisir ces moments de son enfance où, emmitouflé dans sa couette, son père ou sa mère lui racontait une histoire… Le fameux Il était une fois. Ce si petit assemblage de mots qui annonçait l’entrée dans une histoire merveilleuse, parfois drôle et parfois triste, parfois excitante et parfois terrifiante, mais qui toujours berçait le sommeil qui s’ensuivait, faisant de l’enfant le héros de sa propre histoire.

Personnellement c’est le regard que je cherche quand je regarde un film, je veux retrouver la sensation du il était une fois… C’est une boucle bouclée, que ce soit en un seul ou plusieurs épisodes, une histoire qui nous emmène dans des lieux inattendus avec des personnages incroyables. Mais les lieux inattendus ou les personnages incroyables ne sont pas exclusivement présents dans la science-fiction, l’heroic fantasy le cinéma d’horreur ou les films de super-héros. Certes ces genres s’y prêtent très bien mais une gentille serveuse prénommée Amélie dans le Montmartre que l’on connait est tout autant sujette à l’admiration.

En fait, retrouver la sensation du Il était une fois, c’est de ne pas avoir à réfléchir sur le film après son visionnage pour l’apprécier. Ne pas avoir à y repenser en se disant que ceci pourrait vouloir dire cela et que dans ce cas le film est bon. Non. La sensation du Il était une fois, c’est revenir à un cinéma purement émotionnel où la lecture simple et unique doit permettre d’apprécier ou non l’œuvre. Mais attention, cela n’empêche pas un film d’avoir plusieurs niveaux de lectures. Il faut simplement que chaque spectateur puisse la comprendre selon son propre niveau de lecture. Ça veut bien sûr dire que chacun est libre d’aimer ou non le film en question, d’accrocher à l’histoire ou non, aux personnages ou non. Seulement il ne faut pas décréter au nom d’une forme de morale ou de responsabilité sociale qu’un film ou un cinéaste doit aborder tel ou tel sujet de telle ou telle manière.

Il était une fois en Amérique ; Sergio Leone

Pour moi, certains cinéastes incarnent parfaitement ce cinéma. Sergio Leone ou Steven Spielberg en sont des maîtres. En France ce sont pour moi des Luc Besson ou des Jean-Pierre Jeunet. On peut aussi citer Wes Anderson ou Michel Gondry. Tous ces cinéastes dans la plupart de leurs films vous donnent ce choix d’apprécier le film pour ce qu’il est, ou plus si l’envie vous en prend. On peut voir Il était une fois en Amérique comme la fable merveilleuse d’une amitié que la vie va briser ou comme une fresque sociale sur le rêve américain. Il n’y a pas de bonne interprétation mais il ne faut pas retourner l’intrigue cent fois dans sa tête pour essayer de comprendre le film.

Ne pas avoir de message ne signifie pas parler de rien

Joel et Ethan Coen ; Inside Llewyn Davis

Il est important de garder en tête ici que quand je dis qu’un film n’a pas de message cela ne signifie pas qu’il ne parle de rien. S’il n’a pas de message explicite, il peut quand même en avoir un implicite mais surtout il traite d’un thème. Le film Youth de Paolo Sorrentino parle de l’appréhension face à la vieillesse. L’Odyssée de Jérôme Salle parle de la relation père-fils, Inside Llewyn Davis nous raconte l’histoire d’un poète avant-gardiste en décalage avec son époque. Tous ces films n’ont pas forcément de message social, politique ou je ne sais quoi mais traitent de thèmes universels.

Une intellectualisation qui dénature les films jusque dans leur conception

Depuis quelques années, il y a une certaine tendance à pousser les films à être ce qu’ils ne sont pas. On attend de certains films une forme précise de storytelling. On requiert même et on contraint parfois les auteurs à créer leurs œuvres en y intégrant des éléments spécifiques pour répondre aux tendances de société. C’est cette mode de vouloir modifier des franchises sous prétexte de les « moderniser ».

Gary Ross ; Ocean’s 8

Un exemple frappant est la franchise des Ocean’s. Les trois films sur la bande de braqueurs à George Clooney ont été de gros succès. Et bien parce que le climat actuel permet une libération attendue et mérité des femmes au cinéma on a choisi de rebooter la franchise avec une équipe 100% féminine. Je pense que c’est une erreur. Si l’on veut voir une bande de braqueuse alors ne prenons pas des braqueurs masculins connus mais créons de toute pièce une bande de braqueuse féminine qui reposeront sur leur propre succès. Si l’on veut voir un espion noir ne transformons pas James Bond mais créons un nouveau personnage qui saura mobiliser les foules. L’échec retentissant de Ocean’s 8 est la preuve de l’inefficacité de cette méthode. Ce qui marche c’est de créer une histoire et de la mettre en image avec la volonté d’émerveiller en respectant la volonté de l’auteur. S’il a voulu que son personnage principal soit un homme ou une femme, qu’il soit blanc ou noir, caucasien ou asiatique, jeune ou vieux, il faut l’accepter comme tel et non démonter le film sous prétexte que ce thème devrait être traiter de telle ou telle manière.

Est-ce plus une question de fond ou d’appréciation personnelle ?

Finalement, retournant sans cesse ce constat dans ma tête je me pose finalement la question de savoir si cette volonté de voir les films se faire apprécier pour ce qu’ils sont dépend au final du fond scénaristique ou de l’interprétation personnel que chacun en fait. Est-ce que ça dépend plus du film lui-même que du spectateur ? Est-ce que ce n’est pas un état d’esprit que certains ont et d’autres pas et que c’est très bien comme ça ?

Robert Zemeckis ; Forrest Gump

Parce qu’au final, ce que moi je peux appeler le thème ou la morale de l’histoire, d’autres l’appellent le message. Quand moi je vais percevoir Forrest Gump comme un film racontant les milles vies extraordinaire d’un monsieur tout le monde, d’autres y verront un film sur l’Amérique impérialiste ou voudraient y voir un film dénonçant les tourments politico-sociaux des Etats-Unis de la seconde moitié du vingtième siècle.

Personnellement je considère le film Garden State de Zach Braff comme l’histoire d’un enfant trop vite devenu adulte et qui cherche un sens à sa vie. Beaucoup y ont vus une métaphore de la jeunesse américaine perdue et sans repères. Je ne sais pas ce que Zach Braff a voulu raconter mais je sais que si j’attendais une chronique sur la jeunesse américaine j’aurais été déçu du film là ou j’ai trouvé terriblement attachante l’histoire de cet enfant devenu adulte trop vite. Pareil pour son second film Le Rôle de Ma Vie. Là où certains sont déçus car ils en attendent une critique sociale sur les difficultés de la working class américaine, j’y ai vu l’histoire bouleversante d’un père de famille qui parvient à tenir sa famille unie en acceptant de revoir le monde avec ses yeux d’enfants (d’où le rêve du personnage incarné par Zach Braff qui se voit en superhéros, image récurrente dans le film).

Au final, c’est peut-être ça la réponse à mes interrogations. Et si aujourd’hui on faisait trop prévaloir le contexte sur les personnages ? Le factuel sur l’émotionnel ? Le réel sur l’imaginaire ?

Je crois que la voilà la réponse à mes interrogations.

Il était une fois une usine à rêve

Si de par sa faculté unique à toucher les foules le cinéma a évidemment un rôle social à jouer, il ne faut pas l’y cantonner. Je crois qu’aujourd’hui on a tendance à trop cérébraliser les films. On cherche trop à leur trouver un sens qu’ils n’ont peut-être jamais voulu aborder.

Il faut essayer d’apprécier un film pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’on voudrait qu’il soit. Regardons un peu plus le cinéma avec des yeux d’enfants, ramenons son interprétation à de l’émotionnel et retrouvons de la légèreté dans un secteur si justement qualifié d’usine à rêve.

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