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Le storytelling dans la publicité adressée aux enfants : comment est-il utilisé ? Cela est-il efficace ? Quelle différence avec les publicités classiques ?

La publicité́ possède à la fois un rôle informatif et commercial. Elle permet aux consommateurs de bénéficier d’une connaissance de marque, ou « brand awareness », plus importante. Elle est partout autour de nous quotidiennement : aux arrêts de bus, dans le métro, dans nos journaux, à la télévision, quand nous regardons une vidéo sur le web… Ainsi, diverses techniques sont utilisées par les annonceurs pour capter l’attention du spectateur, et se démarquer de la multitude de concurrents. Ces dernières années, nous avons vu une très nette augmentation de l’utilisation du storytelling dans la publicité ; c’est en effet une manière pour les marques de se rapprocher des consommateurs, de leur raconter une histoire, de tisser un vrai lien avec eux. Dans ce papier, j’ai choisi de m’intéresser spécifiquement au storytelling concernant la publicité adressée aux enfants, cible qui me semble très intéressante du fait de son influençabilité.

Tout d’abord, définissons le storytelling : Le storytelling est une méthode de communication fondée sur une structure narrative du discours qui s’apparente à celle des contes, des récits. (Wikipedia) Comme mentionné plus haut, le storytelling est de plus en plus utilisé par les marques, car il permet de vendre une histoire, un savoir-faire, plutôt que simplement un produit. Les enfants sont baignés dans les contes et les histoires dès tout petits ; il semble donc approprié et logique de garder ces codes du conte pour s’adresser à eux lorsqu’on souhaite leur vendre quelque chose — ou du moins, faire qu’ils vont demander le produit à leurs parents. Comme lorsque l’on cible les adultes, plusieurs techniques sont utilisées par les annonceurs pour enclencher le désir d’un produit chez un enfant : Lorsque les marques font du storytelling, elles font appel à l’imaginaire de l’enfant, dans une approche narrative. Les marques créent alors une aventure et un monde chimérique, impliquant les enfants, et bien sûr, le produit.

Les marques redoublent alors d’imagination pour créer leur univers autour d’un produit, mais on constate que les codes narratifs utilisés sont très souvent les mêmes. (Escalon, 2014) (On notera par ailleurs que la publicité concernant des produits alimentaires les utilisent particulièrement bien — je vais donc prendre ceux-ci comme exemples). Les voici :

• La création de personnages

En plus du monde imaginaire crée, les marques créent aussi leur propre personnage, qui sera connu de tous les enfants, et associé immédiatement à la marque ou au produit. Ces personnages, dotés d’une identité, d’un style et de traits particuliers, sont amusants et s’apparentent aux héros de dessins animés. On pensera par exemple au tigre Tiger des céréales Frosties de kellogg’s. La création de ces héros permet ainsi aux marques de s’immiscer dans le quotidien de l’enfant. Il est par ailleurs intéressant de noter que la loi interdit aux marques commercialisant des produits agro-alimentaires destinés aux enfants de faire appel à des célébrités/influenceurs pour représenter leur produit. Les marques contournent donc cette loi en créant leur propre mascotte, qui aura un effet quasiment similaire à celui d’une célébrité.

• La scénarisation d’une aventure

Les marques de céréales et de biscuits font souvent appel à des démarches narratives. On retrouve tous les éléments d’un schéma narratif classique dans leurs publicités: un héros (Pico de Chocapic, Coco de Coco pops , le Prince de Lu etc.), une quête (sauver les céréales/biscuits) et un ennemi à combattre. De plus, on peut noter l’utilisation de la 3D ou 4D dans certaines de ces publicités afin de faire rentrer complètement l’enfant dans ce monde imaginaire.

• Le « mystère de l’intérieur du réfrigérateur »

Les marques de produits frais jouent toujours autour du mystère de l’intérieur du réfrigérateur. Celui-ci est souvent au centre de l’action, comme s’il s’agissait d’un monde à part, à l’intérieur duquel les produits vivent leurs aventures. (Je pense notamment à la publicité pour les Petits Filous de Yoplait). Les marques connectent ainsi les enfants à leurs univers, puisque le réfrigérateur est aussi dans leur maison.

• L’apparition d’une mascotte dans le monde réel de l’enfant

Ici, les personnages de marque sont transposés dans le monde réel pour partager une aventure ou une discussion avec les enfants. Les adultes sont absents des scènes et seuls les enfants, comme s’ils avaient un don, la capacité de les voir. Ici, je pense par exemple à la mascotte Danonino de Danone.

• Les dessins animés

Parfois, la publicité va être « déguisée » sous forme de dessin animé, permettant ainsi à l’enfant d’oublier complètement qu’il s’agit d’une publicité, et permettant à la marque de conserver une fois de plus des schémas narratifs. Cela va ainsi permettre à l’enfant, qui regardait sans doute un dessin animé avant que la page de publicité ne commence, de rester « concentré » sur la télévision et donc de retenir au mieux la publicité.

• La représentation d’une famille idéale par des animaux

Les marques alimentaires pour enfants développent une tendance à calquer des comportements humains — vie quotidienne d’une famille — au monde des animaux, en créant l’image d’une famille fantasmée, « idéale ».

• Les chansons de marque

L’univers de la marque est renforcé par la création d’une chanson que l’enfant pourra retenir au fur et à mesure des diffusions puis chanter à son tour. On retrouve par exemple la publicité pour les Miel Pops de Kellogg’s dans laquelle des abeilles entament une chorégraphie et une chanson entêtante que tous les enfants reprendront en chœur dans la cour de récréation.

Par ailleurs, nous pouvons constater que les publicités destinées aux enfants font appel à une quantité beaucoup plus importante de bruitages, de chansons, de couleurs que les publicités destinées aux adultes.

Nous avons donc vu à travers ces exemples que les codes classiques du storytelling s’appliquaient particulièrement bien aux publicités destinées aux enfants, et avaient l’avantage d’être particulièrement parlantes pour eux.

Le scientifique Piaget a démontré que ce qui « met en danger » et « fragilise » les enfants face à la publicité est qu’ils n’ont pas encore la maturité nécessaire pour adopter une attitude critique envers elle, et sont incapables de faire preuve d’esprit critique et/ou de développer une contre-argumentation. (Masserot et Brée, 2010) Le storytelling renforce encore plus cet effet, car en associant la publicité à un conte, une histoire, il engendre un pouvoir de persuasion plus important que la publicité traditionnelle sur l’enfant.

En effet, la publicité affecte le comportement des enfants de quatre façons différentes, selon Lioutas et al (2015). Ainsi, premièrement la publicité génère des attentes, des émotions, ce qui augmente la motivation d’achat. Ensuite, l’achat de produits dont la publicité a été visionnée est accompagnée de sentiments positifs, tels que le bonheur et la satisfaction. De plus, le caractère divertissant de la publicité (qui l’est d’autant plus pour les enfants) crée une atmosphère agréable, ce qui prédispose positivement l’évaluation du produit dont la promotion est faite. Et bien sûr, les enfants ne possèdent pas toujours la capacité de reconnaitre la nature persuasive de la publicité. La publicité génère donc des attentes qui, selon Ariely and Norton (2009), dirigent le comportement du consommateur, parfois plus que la consommation physique elle-même. Cela représente donc un danger potentiel pour l’enfant spectateur, qui va être encouragé par la publicité à consommer des produits dont il n’aurait pas fait la demande par lui-même, ou n’en aurait pas eu la connaissance. Aujourd’hui, ce phénomène s’accroit encore plus, de par la publicité en digital, et les nombreuses marques qui n’hésitent pas à faire appel aux idoles des enfants (des influenceurs, donc) afin de faire de la publicité.

Cela nous amène ainsi à la question de la régulation de la publicité destinée aux enfants, et de l’utilisation du storytelling dans celles-ci. Il va sans dire qu’elle a un impact sur les désirs de l’enfant, ses habitudes de consommation, et influence les achats de la famille. Plusieurs pays dans le monde ont d’ores et déjà pris la décision de limiter ces problématiques en interdisant aux annonceurs de faire de la publicité ciblant des enfants de moins de 13 ans. Ce n’est pas encore le cas en France. En tout cas, le storytelling dans la publicité destinée aux enfants à de beaux jours devant lui. Cette méthode est efficace, permet de créer du lien avec l’enfant, et est relativement simple à mettre en place, là où cela peut être plus compliqué lorsque l’on s’adresse à des adultes possédant des capacités critiques.

Bibliographie :

· Ariely, & Norton. (2009). How concepts affect consumption . Harvard Business Review . `

· Escalon. (2014). Publicité alimentaire à destination des enfants et des adolescents . Institut National de prévention et d’éducation pour la santé, Inpes.`

· Lioutas, E., & Tzimitra-Kalogianni, I. (2015). ‘I saw Santa drinking soda!’ Advertising and children’s food preferences.

· Masserot, & Brée. (2010 ). Publicité et obésité enfantine. L’impact des annonces publicitaires télévisées sur les choix alimentaires des enfants. Revue Management et Avenir .

· Ramos, & Navas. (2015). Influence of Spanish TV commercials on child obesity.

· Wikipedia, Storytelling: https://fr.wikipedia.org/wiki/Storytelling_%28technique%29

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