MOSAIC, la série du futur

Mika Babus
Digital storytelling & nouvelles écritures
5 min readDec 18, 2018

“Au cas où vous trouvez certaines séquences et idées déroutantes, sachez que c’est votre faute, pas la nôtre. Vous devrez revoir l’image encore et encore, jusqu’à ce que vous aurez tout compris.”

Cette phrase prononcée par Steven Soderbergh dans le prologue de son film Schizopolis s’applique parfaitement à sa dernière série pour HBO, MOSAIC.

Au cœur de l’histoire se trouve Olivia Lake (Sharon Stone), l’auteur d’un livre populaire pour enfants qui vit seule dans une vaste propriété à Summit, une station de ski située dans l’Utah. Olivia a l’habitude de s’entourer d’hommes inappropriés. Elle rencontre d’abord un jeune artiste, Joel (Garrett Hedlund), qu’elle invite rapidement à vivre dans sa grange. Pendant ce temps, elle se rapproche d’Eric (Frederick Weller), un investisseur en capital-risque aux motifs cachés et au passé trouble. Au cours d’une fête, Olivia disparaît, laissant derrière elle une traînée de sang et d’eau de Javel. Eric va en prison, peut-être à tort. Quatre ans plus tard, lorsque de nouvelles preuves font surface, la soeur d’Eric, Petra (Jennifer Ferrin), lance sa propre enquête.

“Ce n’est pas une série, ni un film. C’est autre chose.”

Jusque-là, c’est un pitch classique d’une série policière ordinaire. Mais loin s’en faut pour Soderbergh et sa bande, qui ont eu l’ambition de créer une nouvelle forme de storytelling basée sur l’interactivité. Le constat du réalisateur américain est clair : depuis 2013, quand Netflix a décidé de sortir tous les épisodes de ses séries en un coup (pour favoriser le binge-watching dont nous sommes tous coupables), il n’y a pas eu de vraie révolution sur les petits et grands écrans. Mosaic est née de la frustration de son créateur avec Hollywood, qui n’a pas changé les codes du storytelling depuis des décennies.

Mosaic a été diffusée de deux façons. La classique, linéaire sur la chaîne HBO et en ordre chronologique. Mais c’est surtout la version diffusée sur un site et app interactives qui présente une vraie révolution en matière de storytelling, à tel point que regarder la série de manière conventionnelle sur HBO devient désormais désuet.

Les épisodes sont désormais divisés en 15 chapitres, avec la possibilité de naviguer à travers un diagramme, ce qui laisse le choix au spectateur de choisir sa propre version. Chaque chapitre porte le nom du personnage qui l’incarne, montrant sa propre perspective du déroulé des évènements.

Dans les premiers épisodes, les scènes initiales présentent les personnages. C’est ensuite à chaque spectateur de décider de regarder ce qui va suivre, par exemple du point de vue de Joel ou d’Eric. En cours de route, des «moments de choix» demandent de choisir une perspective pour regarder les scènes suivantes. Certains détails sont révélés à travers des découvertes qui apparaissent en pop up au fur et à mesure du déroulé de l’épisode — ce sont des éléments supplémentaires de type flashbacks, unes de journaux, mails, rapports de police, etc. — leur but étant de compléter l’expérience. C’est également possible de revenir en arrière et de regarder l’histoire à partir des perspectives qui auraient pu être manquées la première fois.

À travers cette architecture les spectateurs ont le choix de voir l’histoire à leur propre façon ; c’est à la fois possible de se précipiter sur une version particulière des événements, tout comme de voir la big picture. C’est une véritable mosaïque, un puzzle à résoudre. Pourtant même à la fin l’image n’est pas complète, le dénouement n’étant pas forcément celui attendu. C’est pourquoi Mosaic se prête très bien à la relecture et peut se revoir de différentes façons.

Son concept n’est pas tout à fait original — Soderbergh lui-même note que “le récit par branches narratives existe depuis longtemps”, mais il trouve un moyen de séduire à la fois les amateurs de narration interactive et les gens qui veulent juste voir du contenu de qualité.

Aux premiers abords, on pourrait penser que la technologie utilisée pour raconter la série risque de prendre le pas et délaisser l’histoire. Mais c’est tout le contraire. Par exemple, l’un des thèmes abordés est l’identité. Il est enrichi par le format subjectif de l’application, qui permet d’examiner certains personnages sous deux, trois, voire quatre perspectives.

Ed Solomon (co-scénariste) à côté de son storyboard. Écrire une histoire sous 15 axes différents demande beaucoup d’effort… et de post-its

Mosaic démontre l’ambition sans fin et le génie considérable de Soderbergh. Le titre résume la méthode de narration fracturée de Soderbergh, rassemblant des fragments de différentes choses dans un tout plus vaste. Pour créer une telle expérience, le réalisateur a dû donner des instructions bien spécifiques à ses acteurs. “Le cliché selon lequel chaque acteur pense que le film tourne autour de lui, dans ce cas, s’est vraiment avéré”, dit-il. Une fois que l’histoire générale a été tracée, Ed Solomon a commencé à écrire scénario sur scénario, de sorte que chaque acteur ait sa propre version de l’histoire qui tourne autour de lui.

De la même manière, le processus créatif est inversé ; le spectateur ne voit plus l’histoire de manière passive, mais il prend une réelle place de réalisateur. Pour Soderbergh, le montage est la partie la plus passionnante d’un projet, car elle permet de voir les évènements sous différentes perspectives à chaque fois, en changeant la chronologie ou encore en juxtaposant certaines scènes avec d’autres. C’est ce processus que le réalisateur nous rend palpable : à son image, le spectateur peut jouer sur toutes les scènes et Mosaic devient un montage live de l’histoire. Le but de la série enfin était que les utilisateurs apportent leurs hypothèses préexistantes à l’histoire, en choisissant leur chemin, ce qui fournirait une interprétation différente de l’histoire. C’est un test de Rorschach qui encourage les téléspectateurs à imposer leur propre sens.

À la fin, Mosaic est plus intéressant en tant qu’examen de la manière dont nous assemblons les histoires que comme une histoire en soi. Pour Soderbergh, l’expérience interactive est aussi un exercice d’introspection pour le spectateur, l’occasion de réfléchir à ses propres lacunes et manques. “Je serai curieux de voir, quand les gens iront au bout de l’expérience, si le sens qu’ils ont d’eux-mêmes et du monde est bousculé” avoue-t-il dans une interview pour The Verge.

Bien que les séries policières soient un genre qui se prête bien à ce type de format, c’est possible d’imaginer plus d’histoires racontées de cette manière et Soderbergh lui-même travaille sur deux nouvelles idées, alors que Netflix expérimente le storytelling interactif dans ses programmes dédiés aux enfants. Dans tous les cas, Mosaic ouvre le champ des possibles et change la façon dont nous verrons et ferons les séries à l’avenir.

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