Poverty Porn: Comment rendre l’engagement impuissant

Michael Marsicano

Le 24 Juillet 2018, Sacha Baron Cohen était de retour avec la série Who Is America, un format court absurde, corrosif et engagé où comme dans Da Ali G Show, l’acteur organise des rencontres surréalistes avec des personnalités publiques, dans le but de les piéger. Dans le second épisode, on retrouve Corinne Olympios (héroïne du Bachelor) qui pour une présence médiatique accepte sans hésitation de soutenir les actions en Sierra Leone, pour combattre l’épidémie EBOLA. Une séance photo sur fond vert, la construction du storytelling de son action (sauvant par ailleurs 6.000 personnes), elle tourna même un message d’engagement d’une rare authenticité.

Outre le fait de dénoncer la superficialité pour exister, Sacha Baron Cohen pointe l’instrumentalisation de la pauvreté, le misery porn de plus en plus présent sur nos réseaux sociaux.

Cette marchandisation de la misère se retrouve dans les photos partagées, souvent par votre oncle, montrant un enfant hospitalisé, incitant au relai par un statut “partagez si ça vous brise le cœur”. Ou encore dans les expériences sociales qui pullulent sur youtube, un contenu d’une rare richesse où des supposés bienfaiteurs offrent une centaine d’euros à un SDF, instrumentalisant la misère tout en construisant un storytelling autour de leur personne et leur communauté.

Ce sujet est pourtant connu depuis la fin des années 1970 avec des réglementations (pas forcément appliquées) sur les ONG européennes qui ne peuvent utiliser des “images pathétiques” ou “des images qui aliment les préjugés” depuis un code européen actualisé en 2007. Pour Jim Schaffer, rédacteur chez Nonprofit Quarterly (magazine spécialisé dans les actions menées par des ONG) cette disposition est indispensable.

Le misery porn déforme les pauvres et leur refuse la dignité, il trompe à la fois ceux qui les aident et ceux qui sont aidés.

En effet, ces formats loin d’être pédagogiques, n’offrent que très peu d’informations et rendent la compréhension d’un sujet - pourtant essentiel et complexe - caduque.

La misère, un outil pour matcher

A cela s’ajoute la construction du storytelling de la personne exploitant la misère. Un tumblr agglomère à ce sujet l’ensemble des Humanitarians of Tinder, des personnes dévouées, des héros de l’humanitaire qui utilisent leurs derniers voyages pour compléter leur profil tinder. La misère comme gage d’un match. Celle-ci est clairement scénarisée, utilisée à des fins d’auto-promotion, pour composer un profil virtuel qui se veut cocher les bonnes cases.

Ici, “Gaetano ne peut être qu’une personne formidable à rencontrer, il est si proche des personnes en souffrance!!”.

En utilisant Tinder comme un média, en exploitant la condition des défavorisés afin de générer la sympathie nécessaire pour un swipe vers la droite, ces comptes Tinder sont des marchands de misère, des comptes symbole du poverty porn en développement sur nos réseaux sociaux.

Ed Sheeran et son action pour Comic Relief (maintenant supprimée de Youtube), Tom Hardy accusé de tourisme de la pauvreté après une action menée avec Disasters Emergencies Committee (elle aussi vivement dénoncée sur les réseaux sociaux) ou encore Patrice Evra qui n’a pas hésité à distribuer de la nourriture à des SDF pour ensuite diffuser cette mise en scène sur les réseaux sociaux, les exemples sont de plus en plus nombreux.

Pour convaincre, on ne peut pas s’adresser uniquement à l’émotion, l’intelligence doit elle aussi être ciblée.

Pour engager, il n’est plus possible d’arriver avec une vision ethnocentrée de problèmes nous dépassant, l’image d’un sauveur blanc qui au moment où il décide de parler d’un problème en devient la solution. Le court et bon article de l’Ougandais Teddy Ruge donne de très bonnes clefs de compréhension. Il n’est plus possible d’infantiliser les continents que l’on souhaite aider.

Réussir à sensibiliser des communautés sur des projets urgents mais déconnectés de leur existence est une véritable science. Cette année deux actions témoignent d’un renouveau de l’engagement humanitaire, utilisant les outils digitaux.

Mission Rohingya

Jérôme Jarre et une communauté de personnalités, ont récolté 3,7 millions d’euros pour soutenir, au Bangladesh, un million de musulmans ayant fui la Birmanie et ses massacres. En diffusant des contenus documentés et personnalisés de 10 à 20 min (sur Youtube) sur la situation de ce peuple indo-aryen, ils ont - sur la durée - touché l’ensemble des communautés des différents youtubers (1.3 milliards de personnes sensibilisées). Sans (trop) tomber dans le pathos, en prônant la volonté d’aider plutôt que la compréhension du problème, la Love Army souhaite montrer une réalité pour inciter à une action rapide (jouant sur la momentum, la nécessité). Le pari est réussi.

Zevent

Un rassemblement gaming-caritatif avec la présence des streamers (twitch) les plus populaires en France. Chacun diffuse en direct depuis sa page, les dons sur la période de l’événement sont reversés à Médecin sans Frontières. Sur deux jours, ils ont réussi à récolter plus d’un million d’euros, grâce à un Marathon Fifa ou Fortnite. En faisant passer l’engagement au second plan, en rendant le don ludique et l’engagement facile, cette approche totalement différente ne sensibilise plus, mais apporte des résultats financiers…

Saurabh Singh

Aujourd’hui, l’engagement se doit de rester une nécessité, pour ne pas devenir une valeur ou un faire valoir.

S’il est diffusé par un acteur du digital et de ces plateformes, il se doit d’engager à la compréhension la documentation et l’information, par soi.

Engageons nous, par une décision de notre intellect, pas de nos émotions!

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