Quelle horreur, je grandis : pourquoi les films d’horreur savent si bien parler d’adolescence

Azilys
Digital storytelling & nouvelles écritures
7 min readDec 17, 2018
Carrie au Bal du Diable (Brian de Palma, 1976)

“La forme, c’est le fond qui remonte à la surface”, disait Victor Hugo. Il y a des histoires pour lesquelles la forme et le fond s’accordent en effet particulièrement bien. Ainsi, si l’on peut affirmer sans trop douter que la romance est la forme la plus à même d’explorer le thème du couple et des histoires d’amour, on peut penser que pour parler d’adolescence, la forme reine n’est autre que … le film d’horreur. Les exemples ne manquent pas : Halloween, Scream, L’exorciste, Carrie au bal du diable, Massacre à la tronçonneuse, It Follows, Grave font partie des nombreux films d’horreur ou de genre à explorer cette thématique. Pas étonnant que l’horreur ait une affection particulière pour le thème de l’adolescence, puisque la période peut s’apparenter sous bien des aspects à un film d’épouvante : corps mutants à la puberté, angoisses, avenir plein d’incertitudes, découvertes effrayantes de l’amour et de la sexualité, l’adolescence est le moment de la mutation des corps et des esprits, apeurés par tous ces changements et ces incertitudes. A travers un certain nombre d’exemples, nous essayerons ici de voir comment les films d’horreur n’ont cessé de cartographier et d’exploiter les peurs adolescentes, à travers les personnages comme chez les spectateurs.

L’adolescence dans les films d’horreur

Le premier biais par lequel les films d’horreur ont exploré ces thématiques adolescentes, c’est celui de leur construction narrative. En effet, on peut voir, à travers les récits, les personnages ou la forme des films que la narration a su se plier parfaitement à une description symbolique, métaphorique des angoisses pubertaires.

En termes de forme, on peut penser par exemple au slasher, sous-genre du film d’horreur, dans lequel un tueur masqué portant une arme emblématique poursuit des adolescents pour les assassiner, les découper, les disposer dans des mises en scène morbides. Halloween, la nuit des masques (John Carpenter, 1978) est à ce titre un cas d’école. Le slasher renvoie à la question du corps, extrêmement présente dans les films d’horreur de façon générale et qui fait écho au changement que constitue l’adolescence. Un corps mutilé, effrayé, éprouvé, qui doit affronter par un certain nombre d’épreuves pour pouvoir grandir, évoluer et retrouver une forme de stabilité. Ces épreuves, qui peuvent passer par des scènes de torture physique psychologique, sont autant de conditions à remplir dans les films d’horreur pour pouvoir surmonter cette étape et de fait, symboliquement, marquer le passage à l’âge adulte.

On peut également ajouter que ce qui fait peur, la source du mal (le tueur, le monstre, la chose, etc.) est souvent liée à la question des interdits et de la transgression. On le voit à travers différents exemples. Ainsi, dans It Follows (David Robert Mitchell, 2014), la chose qui suit le personnage principal est l’incarnation de la maladie sexuellement transmissible que l’adolescente vient d’attraper. L’acte sexuel est le déclencheur, ce qui fait basculer l’intrigue dans le genre de l’horreur. C’est également le cas dans Halloween, film dans lequel le serial killer masqué est spécialiste dans l’art d’assassiner des adolescents se préparant à un rapport sexuel ou en sortant tout juste. L’intrigue prend place durant la nuit d’Halloween. Les parents sont partis, les enfants sont seuls à la maison, doivent se garder eux-mêmes, les plus grands chargés de surveiller les petits. C’est l’occasion rêvée pour eux de transgresser les règles (les amies de l’héroïne se font ainsi une joie, durant toute la journée, de planifier leur soirée baby-sitting au cours de laquelle elles vont se dépêcher de mettre les enfants au lit pour inviter des garçons). Le tueur intervient alors comme un censeur, un bon gardien de la morale chrétienne.

Enfin, le caractère ingrat de l’adolescence, période trouble où le regard des autres peut constituer une pression insupportable, est le sujet de certains films comme Carrie au Bal du Diable (Brian de Palma, 1976). La jeune adolescente est le souffre-douleur de ses camarades, qui l’humilient à travers divers stratagèmes. A la maison, elle subit les foudres d’une mère, extrémiste religieuse, qui n’accepte pas que sa fille grandisse. Lors de la scène d’ouverture, dans les douches collectives du gymnase du lycée, Carrie découvre l’apparition de ses premières règles et se fait jeter tampons et serviettes hygiéniques par les autres filles qui rient de son corps et la regardent avec insistance. L’adolescente apparaît comme extrêmement fragile, timide, mal à l’aise, pudique et isolée. C’est lorsqu’elle va commencer à découvrir qu’elle est dotée de super-pouvoirs qu’elle va commencer à se venger. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est que l’adolescente est à la fois la victime et le monstre, la source de la peur. Tout le début du film nous aura permis de nous attacher à elle et ainsi de ressentir une empathie vis-à-vis d’elle, même dans les moments les plus effrayants.

Cette trajectoire du passage de la victime à la source de l’horreur est également empruntée dans Grave (Julia Ducournau, 2016), dans lequel une étudiante végétarienne en première année d’école de vétérinaire, après avoir connu de nombreux bizutages, se découvre un goût pour la chair humaine. Elle va dès lors, elle aussi, être la source de l’effroi, et répondre aux agressions des autres par des actes provoquant la peur. La question du corps, une fois encore, est omniprésente : l’attirance à la fois sensuelle et morbide de l’héroïne pour la chair humaine décrit bien les mutations que son corps d’adolescente connaît lui-même, et qui sont amplifiées par des éruptions cutanées sur la surface de sa peau qui la démangent de plus en plus tout au long du film.

Grave (Julia Ducournau, 2016)

En conclusion, chaque film explore une facette différente du thème de l’adolescence qui en contient tellement, par différents biais, différentes histoires, plus ou moins ancrées dans la réalité. Les angoisses sont alors matérialisées par la création d’une entité extérieure au héros (un monstre, un tueur, une chose) ou intérieure (super-pouvoirs, découverte d’une anomalie).

Les adolescents devant les films d’horreur

Contrairement à d’autres genres, le visionnage d’un film d’horreur est moins passif, demande un certain engagement émotionnel de la part du spectateur qui se retrouve très impliqué dans l’histoire. De fait, on peut dire que l’impact des thématiques liées à l’adolescence dépasse le contenu du film, le déborde pour se retrouver aussi dans le cérémoniel du visionnage du film. Explications.

Pour certains chercheurs, d’abord, le visionnage de films d’horreurs constitue un rite de passage : les films d’horreur sont aux adolescents ce que les contes de fées sont aux enfants. Glenn Sparks, professeur de communication à l’Université de Purdue, y voit un véritable rite initiatique à l’instar de ceux pratiqués depuis des millénaires dans différentes communautés pour marquer le passage à l’âge adulte à travers différentes épreuves et qui sont moins présents dans notre société moderne. Ainsi les adolescents ont-ils peur lorsqu’ils regardent un film d’horreur, mais disent ensuite au reste du groupe avoir apprécié, comme pour prouver leur courage, le fait qu’ils ne sont plus des enfants. Cela est aussi lié à une impression de transgresser les codes, en regardant par exemple des films interdits aux moins de 18 ans, ou simplement en devenant spectateurs d’une violence que les normes sociales nous amènent à rejeter (ce qui est toujours valable à l’âge adulte, d’ailleurs).

D’autres raisons, mentionnées par les chercheurs, nous poussent également à regarder des films d’horreur et sont valables aux autres âges de la vie :

- L’adrénaline, puisque dans le cerveau, les synapses de la peur sont très proches de celles du plaisir. On regarde bien sûr des films d’horreur pour avoir peur, et cela parce que les cadres dans lesquels on regarde ces films garantissent une protection suffisante pour pouvoir supporter l’angoisse.

- L’effet cathartique : avoir devant les yeux la fragilité de l’existence nous provoque la joie d’être encore en vie, comme l’affirme Luc Boltanski dans La Souffrance à distance. Regarder un film d’horreur permet de matérialiser sous une forme extrême des choses qui nous effraient dans la vie, leur donner une forme physique, et par l’action des personnages, les éradiquer, les surmonter, les supporter. Cela est ainsi particulièrement prégnant pour le public adolescent, comme nous avons pu le voir au-dessus.

- Le défoulement : certains films d’horreur sont drôles de par leur exagération, de par leur côté trop gore, et nous permettent de relâcher une violence que l’on contient en nous.

It Follows (David Robert Mitchell, 2014)

Pour résumer, le film d’horreur sait parler à merveille de l’adolescence. A travers la narration du film d’horreur, souvent focalisée sur le corps des personnages, puisque ceux-ci sont directement menacés. A travers, aussi, des genres comme le slasher, c’est-à-dire une forme qui fait remonter le fond à la surface. A travers l’intrigue, enfin, les peurs diverses qui émergent durant cette période de la vie se trouvant matérialisées et combattues activement par les personnages qui, s’ils survivent, ont traversé un parcours initiatique en bravant leurs peurs et en survivant à un certain nombre d’épreuves physiques ou psychologiques. Mais ce rite initiatique peut également s’observer dans la salle, du côté des adolescents spectateurs, traversant eux-mêmes une forme d’épreuve en bravant leur peur de voir un film et en expiant ainsi, par procuration, des angoisses bien réelles.

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