De 1 à 33 designers en 3 ans

Mickaël David
Doctolib
Published in
16 min readOct 20, 2021

Une histoire de passion, de patience et de résilience.

Premier contact

Quand Doctolib me contacte pour la première fois au coeur de l’été 2017, je connaissais la start-up de nom, la nature du service proposé, mais je n’avais aucune idée, ni de sa taille, ni de son ambition, et j’étais surtout loin de me douter dans quelle folle aventure j’allais me lancer.

Lors des premiers entretiens, on m’explique la situation de l’équipe Design : il y a tout à faire, et cela me plait 👍. Il reste un profil de product designer, mais il n’y a plus de manager depuis 6 mois. Je passe plusieurs entretiens, un cas pratique, les échanges sont intéressants et constructifs. Je passe beaucoup de temps avec le CPO fraichement nommé, qui sera mon potentiel supérieur hiérarchique. Il n’a pas une grande expérience sur le sujet Design, notre collaboration reposera donc en grande partie sur la confiance, qu’il faudra construire de zéro, projet après projet. Un dernier entretien avec le CEO fondateur finit de me convaincre, le projet est d’ores et déjà solide, pérenne, la traction est forte, l’équipe semble bienveillante et les perspectives d’évolutions importantes.

Le rendez-vous est donc donné le 8 janvier 2018, dans les locaux rutilants du 8ème arrondissement de Paris, où je rejoins 15 autres personnes tout juste recrutées : Développeurs, Insight sales, Product manager, Customer success manager … Une promotion très hétéroclite, à l’image des différents corps de métiers de l’entreprise. Nous sommes tout de suite mis dans le grand bain de la “DoctoAcademy” 👨🏻‍🎓: pendant une semaine, nous assistons à un ensemble de petites conférences, la plupart du temps présentées par les cadres de l’entreprise eux-mêmes, qui viennent nous expliquer le monde de la santé, les enjeux de Doctolib, ainsi que toute une collection d’outils et de conseils pour un travail collaboratif efficace 🛠.

Nous sommes tout de suite mis dans le grand bain de la “DoctoAcademy” : pendant une semaine, nous assistons à un ensemble de petites conférences […]

Le ton est donné : un premier contact concret avec l’entreprise, qui nous insuffle instantanément cette idée que nous ne sommes pas rentrés dans une aventure “classique”. Tout a l’air structuré, pensé, optimisé. Il n’y a plus qu’à accrocher sa ceinture, monter dans ce train lancé à pleine vitesse et donner le meilleur de soi-même.

Partie I — Quelle place pour le Design ?

Q1 2018 — Observation

1 Product Designer

Le premier trimestre sera celui de l’observation 🕵🏻‍♂️, mon objectif étant de mettre en place une Roadmap de l’équipe sur 3 ans. Pour cela, je me concentre sur trois piliers : les collaborateurs, les process et l’équipe Design elle-même.

Les collaborateurs
Mes premières rencontres au sein de l’entreprise m’ont rapidement démontré que le casting était soigné et que la grande majorité des profils qui m’entouraient était de vrais passionnés impliqués. Pas de divas, pas d’envolées lyriques, pas de caprices. Des faits, de la data, de la prise de décision (même difficile), de l’action. Tous les sujets sont abordés, et ceci dans les moindres détails, rien n’est mis sous le tapis, on regarde en face nos forces, nos faiblesses, et on avance. J’ai tout de suite ressenti lors des premiers échanges, et ceci quelle que soit l’équipe, cette énergie unique, cette volonté de faire les choses en bonne intelligence, le tout au service de la plus belle des missions : faciliter l’accès aux soins médicaux.

Beaucoup rêvent aujourd’hui de rejoindre une jeune entreprise aussi moderne, loin du marasme des grosses organisations vieillissantes. Le revers de la médaille est que ce type d’environnement est très énergivore : il faut sans cesse être à 120% 🏃‍♂️ pour pouvoir s’inscrire dans le rythme de l’entreprise, ce qui n’est pas forcément adapté pour tous les profils.

Les process
Alors même que j’avais déjà quelques années d’expérience derrière moi, je me suis très vite rendu compte que cette nouvelle étape allait être différente : tout va très vite chez Doctolib. Tout.
Une décision est prise le lundi, l’équipe est constituée le mardi, et ce qui paraissait difficilement réalisable en quelques mois est finalement mis en production en seulement quelques semaines.

Pour que ce soit possible, il est nécessaire que les process soient rodés, ou du moins suffisamment agiles pour pouvoir s’adapter à la situation, et surtout, à l’évolution rapide de la taille de l’entreprise. Je découvre que des équipes sont créées spécialement pour se concentrer sur cet enjeu de “scale” 📈, ce qui indique un haut degré d’exigence et d’ambition. Une source d’inspiration pour l’équipe Design, où nous aurons de cesse de nous adapter pour répondre aux enjeux d’hypercroissance.

L’équipe Design
Lorsque je prends mon poste, il reste un profil de product designer dans l’équipe. Nous apprenons à travailler ensemble, et au cours des premières semaines, je découvre au fil de nos discussions une histoire du Design quelque peu contrariée au sein de l’entreprise : manque de considération, incompréhension de la vraie nature de la discipline, pas ou peu d’intégration dans les l’équipes produit. De plus, l’équipe marketing est à l’époque très petite, il n’y a donc pas non plus une grande culture de la marque. Le challenge va donc être double : opérationnel et culturel.

Dès ce premier trimestre, je comprends que cet historique aura longtemps un impact sur l’équipe Design, et il faudra d’ailleurs quelques années pour corriger cette perception erronée. Beaucoup de pédagogie et de patience seront nécessaires pour expliquer ce que l’on fait, ce que l’on peut vraiment apporter. Ce sera d’ailleurs un de mes plus gros challenges, qui occasionnera des zones de frictions avec certains collaborateurs, et qui occasionnera même des départs dans l’équipe.

Beaucoup de pédagogie et de patience seront nécessaires pour expliquer ce que l’on fait, ce que l’on peut vraiment apporter.

Q1 2018 — L’équipe Design en pleine concentration

Ce que j’en retiens :
Tous les nouveaux arrivants chez Doctolib vous le diront : les premières semaines dans cette entreprise sont particulièrement marquantes. La qualité de l’onboarding, la quantité d’informations reçues, et la clarté de la roadmap nous donnent les clés pour écrire une belle histoire professionnelle, pour peu que l’on s’inscrive dans le rythme imposé. Et très vite de se rendre compte que l’implication paye, et que la grande majorité de notre travail se concrétise rapidement, et est utilisée par des millions de personnes, ce qui est, à mon avis, le véritable sens du métier de designer 🥇.

Q2 2018 — Premier recrutement

2 Product Designers

Première évidence : nous sommes en sous-effectif.
Un grande partie du Product Design était jusque-là réalisée par les Product Managers ou même directement par les Techs. Les utilisateurs ne s’en plaignaient pas trop, surtout que la concurrence ne proposait pas d’expérience utilisateur particulièrement en avance. Mais comme nous rentrions dans une phase d’accélération, il était important de mieux nous structurer, et donc d’accueillir de nouveaux profils dans l’équipe.

En 2018, la marque employeur Doctolib, et surtout la visibilité de l’équipe Design sur le marché ne sont pas très développées, ce qui rend difficile la quête des nouveaux collaborateurs. De plus, en amont, il faut passer du temps avec les équipes Talent (recrutement) pour définir ce que l’on cherche afin de gagner en efficacité dans les premières phases de “screening” : il n’y a rien de plus frustrant en tant que recruteur que de se rendre compte après seulement 10 min d’entretien que la personne en face ne répond pas aux critères de base du poste, ou plus généralement, du métier.

Un designer n’est pas (que) un artiste

Par exemple, il n’est pas rare de croiser des Directeurs Artistiques qui s’auto-convertissent en Product Designer suite à la réalisation de quelques projets numériques. La réalité n’est pas aussi simple, mais pour des recruteurs débutant dans cette catégorie de métier, il peut être difficile de faire la différence, et nous avons passé beaucoup de temps ensemble à écrire les descriptions de poste et surtout à screener ensemble des profils sur LinkedIn 🔎 pour pouvoir donner une grille de lecture de leurs expertises.

Au bout de 5 ou 6 profils rencontrés, nous trouvons la perle rare, qui nous rejoindra quelques semaines plus tard.

Ce que j’en retiens :
Pour construire une belle équipe Design, il faut avant toute chose établir une relation forte avec l’équipe Talent en charge, pour être réactif et surtout pour être complètement aligné sur le type de profil à recruter.

Q3 2018 — Brand Design

2 Product Designers
1 Brand Designer

Tout va vite chez Doctolib, et l’annonce du rapprochement avec le service Mon Docteur donnera un nouveau coup d’accélérateur, par l’intégration de nombreux nouveaux profils. C’est ainsi que nous accueillons dans l’équipe une nouvelle Brand Designer, dont le périmètre était de prendre en charge la réalisation des éléments liés à la marque : visuels produit, supports de communication, stand évènementiel, etc... Une opportunité incroyable pour créer une belle équipe Design “globale” : le fait d’intégrer l’expertise Brand Design dans la même équipe que le Product Design permet une continuité quasi parfaite entre l’expérience et les discours offline et online. Une intuition qui se confirmera au cours des mois suivant.

Ce que j’en retiens :
Il faut arrêter de mettre le “Branding” sous les équipes Marketing 🙏.
C’est le meilleur moyen de proposer une expérience discontinue pour les clients entre les phases de découverte du produit et son utilisation. Rien n’est plus décevant que d’utiliser un produit qui est en décalage complet avec la promesse initiale, et seule une équipe “Design globale”, accueillant au même niveau Product Design et Brand Design permet cela.

Q4 2018 — KPI Driven

2 Product Designers
1 Brand Designer

Au bout de quelques mois, je constate que nous avons toujours le même problème lors des réunions produit : les débats et les décisions manquent de rationnel. Tout le monde y va de son “je pense que”, “nous savons que les utilisateurs agissent comme ceci”, ou pire “Pour closer ce client, nous devons développer cette fonctionnalité” 🤦🏻‍♂️.
La conséquence de ce fonctionnement est sans appel, et au bout de ma première année chez Doctolib, un amer constat est fait par les équipes : une grande majorité de fonctionnalités développées lors de l’année écoulée n’est finalement utilisée que par un très faible nombre d’utilisateurs.

Ce fut le coup d’envoi d’un changement total de fonctionnement de l’entreprise, où nous avons basculé d’un modèle “sales centric” vers un modèle “KPI driven” : on ne peut améliorer que ce que l’on peut mesurer.

Une stratégie qui se formalise par la définition de nombreux KPIs, chacun ayant pour but de pouvoir suivre l’évolution de l’usage d’une fonctionnalité ou d’un ensemble de fonctionnalités, d’un ressenti, d’un comportement.

Ce que j’en retiens :
Il est difficile d’anticiper les étapes d’évolution d’une entreprise, surtout quand elle est en hypercroissance. Il faut tâtonner, et bien souvent se tromper pour trouver la bonne voie. Le “KPI driven” a été un changement culturel majeur qui donnera plus de liberté aux équipes Product quant à la façon de faire évoluer le produit, et qui, surtout, ouvrira en grand les portes de la User research.

Q1 2019 — User Researcher

2 Product Designers
2 Brand Designers
1 User Researcher

Dans la continuité du “KPI driven”, je propose de créer une équipe User Research pour accompagner les Product Managers dans leurs décisions. Une longue période de pédagogie s’ouvre alors, avec comme sujet principal le “biais cognitif’”. Un terme un peu savant, qui résume à lui tout seul la nécessité d’appliquer des méthodologies rigoureuses lors des études utilisateurs, pour éviter de prendre des décisions business basées sur des retours utilisateurs faussés.

A ma grande surprise, je me vois confronté à une levée de bouclier, non pas de la part du management, mais plutôt de certains Product Managers : “Il faut que les Product Managers fassent du terrain, pour être au plus proche des utilisateurs”, “ Si on nous retire ça, on nous enlève une des parties les plus intéressantes du métier”.

Une réalité qui ne doit pas en écarter une autre : il est absolument nécessaire d’être détaché du RUN pour s’assurer de la neutralité des études. Que l’on soit Sales ou Product Manager, nous avons forcément en tête des contraintes de planning, des objectifs business, ou juste un rapport quasi affectif avec son produit, ce qui peut inconsciemment diriger les réponses vers quelque chose qui nous arrange. Or l’enjeu de la User Research est bien de prendre une photo de la vérité, même si elle va à l’encontre de nos intuitions ou de nos souhaits.

Il faudra donc passer beaucoup de temps à expliquer le bien fondé du projet, son impact positif sur la qualité des insights. Il faudra surtout rassurer les Product Managers sur leurs participations aux études : si le User Researcher défini le protocole, le script, effectue le recrutement, le Product Manager pourra bien évidemment participer aux études et aux interviews, pour bénéficier de la connaissance utilisateur.

Premier “focus group”

Il faudra environ 6 mois entre la première évocation du sujet et l’arrivée du premier User Researcher. Comme pour le product designer, il faudra passer du temps avec l’équipe Talent pour affiner la recherche et trouver le bon profil, qui arrivera début 2019. Trois semaines après son arrivée, les premières équipes impliquées font des retours très positifs, validant ainsi le bien fondé et la légitimité de la création de cette nouvelle équipe.

Ce que j’en retiens :
il faut savoir être patient.
Très patient.

Mon échelle de temps est souvent de l’ordre du trimestre, voir même du semestre pour faire accepter une idée auprès des collaborateurs ou de la hiérarchie, même si elle parait évidente (Il faudra quasiment deux ans pour le Design System).

Patience, patience, patience

Une temporalité d’ailleurs mal acceptée par les plus jeunes de l’équipe, qui ne comprennent pas pourquoi nous n’avançons pas plus vite sur certains sujets. Je leur rappelle que le passage en force est stérile, et ne fera que renforcer le sentiment de défiance, alors que nous devons, au contraire, être les catalyseurs de notre projet, et faire naitre l’approbation auprès de nos collègues.

De plus, l’adversité ne se trouve pas forcément là où vous croyez. Il ne faut pas sous-estimer la résistance des équipes en place, qui peuvent se sentir dépossédés d’une partie de leur travail, même si, au final, c’est pour le bien du projet.

Q2 2019 — Premier départ

2 Product Designers
3 Brand Designers
2 User Researchers

Construire une équipe de zéro -ou presque-, pour l’emmener vers une taille critique n’est pas un long fleuve tranquille, surtout que nous sommes longtemps restés en sous-effectif, ce qui sape rapidement le moral des designers. Les plus jeunes en particulier, qui sont pétris de convictions profondes -mais trop souvent théoriques-, s’épuisent rapidement dans un environnement où le concept de Design ne fait pas partie de la culture.

Au deuxième trimestre 2019, alors que nous revenions d’un agréable week-end en Tunisie organisé par l’entreprise, je comprends que le product designer qui nous a rejoint depuis moins d’un an est au bord du Burn Out 🥵. Il a perdu le goût du travail, et se pose même des questions sur son métier de Designer. Un discours que j’ai souvent croisé lors des entretiens d’embauches, surtout quand le Designer était le seul dans l’entreprise à essayer de porter haut et fort le drapeau de sa discipline.

Je me sens désarmé en l’écoutant me parler de son désarroi et je m’en veux de ne pas l’avoir vu avant. Un déni qui s’explique par la difficulté parfois de lever le nez du guidon pour prendre du recul sur la situation.

Les plus jeunes en particulier […], s’épuisent rapidement dans un environnement où le concept de Design ne fait pas partie de la culture.

Ce que j’en retiens :
On apprend toujours plus lors des moments difficiles, et particulièrement si c’est douloureux. Mon objectif à l’époque étant de créer une belle et grande équipe Design, je ne pouvais pas me permettre de perdre de bons profils, et surtout de cette façon. Cela aura un impact important sur mon management par la suite, où je fais beaucoup plus attention aux signaux faibles lors des 1:1, pour éviter qu’ils se transforment en réelle souffrance, et potentiellement en départ.

Q3 2019 — Premières frictions

2 Product Designers
3 Brand Designers
2 User Researchers

À l’été 2019, un projet de refonte des interfaces mobiles 📱 pour les praticiens fait son apparition dans la roadmap. Il faut savoir que nous n’avons pas d’App native chez Doctolib, nous utilisons du React, pour encapsuler l’expérience Desktop dans une application mobile. Une façon de simplifier la gestion technique du produit, et qui nous évite de devoir recruter et gérer une équipe de développeurs mobile, mais qui a des effets de bord mitigés sur l’expérience utilisateur. Nous évoquons le sujet, mais la stratégie ne change pas, on avance comme ça.

L’équipe est très enjouée, et se lance à fond dans le sujet. Nous organisons un point avec les équipes Tech pour savoir ce que l’on peut faire en termes de Design d’interface, et nous obtenons un Go de principe pour revisiter complètement l’expérience, et pour moderniser les composants de l’interface.

Une super nouvelle qui sera vite douchée quelques semaines plus tard par les managers de l’équipe Tech, alors qu’un travail conséquent avait déjà été abattu par les product designers. La nouvelle consigne est de respecter au pixel près les composants existants car il n’a jamais été question de les modifier ou d’en ajouter de nouveau, pour des raisons de maintenance de la propreté du code. S’en suivent des débats assez désagréables, où nous défendons le point de vue du Design, sur la nécessité de moderniser ces fameux composants, dans le but de proposer une expérience utilisateur alignée sur l’état de l’art du moment.

Mais c’est David contre Goliath : le sujet n’en est pas un, nous utiliserons les composants actuels, nous n’allons pas augmenter la charge de travail des développeurs pour répondre à un “caprice” de l’équipe Design.

😳

Le ton monte, levant le voile sur la considération du Design par les équipes Tech : nous n’avons pas notre voix au chapitre. Un épisode douloureux, qui ira jusqu’à me questionner quant à ma place dans l’entreprise, mais qui eu des effets de bords très positifs au final, car ce fut l’acte fondateur d’un projet structurant pour l’équipe et pour l’entreprise : Le Design System.

Ce que j’en retiens :
Les situations conflictuelles sont inéluctables, il faut savoir rester professionnel et savoir faire des concessions. Il vaut mieux une petite victoire qu’une grande défaite. Il faut aussi savoir manager les susceptibilités des collaborateurs, surtout quand la culture Design n’est pas encore bien comprise par tous.

Q4 2019 — Une étape décisive

4 Product Designers
3 Brand Designers
3 User Researchers

En septembre 2019, après des mois de discussion avec le CEO, les équipes de Product Strategy arrivent à convaincre le Comex de nous lancer dans un nouveau projet colossal : la réalisation d’un logiciel de gestion des consultations patients, qui viendra compléter l’expérience du service historique, et qui permet la mise en relation entre les patients et les médecins. Un tournant majeur dans l’ambition de l’entreprise, qui laisse présager d’un nouveau terrain de jeu pour l’équipe Design. Mais encore une fois, il va falloir jouer des coudes.

Premier élément de contrainte, le timing. Comme à son habitude, l’équipe dirigeante nous annonce une date de sortie ambitieuse (traduisez par “irréaliste”). Une façon comme une autre de nous obliger à nous mettre en ordre de marche rapidement et efficacement. Les premiers plannings sont établis, basés uniquement sur le travail de la Tech et du Product. Concernant la partie Design, “pas besoin de planning, nous reprenons les éléments actuels, ça va être rapide”.

Concernant la partie Design, “pas besoin de planning, nous reprenons les éléments actuels, ça va être rapide”.

Pas de planning Design ? Nous défendons notre point de vue, mais pour toute réponse, nous avons le droit à : “ Nous devons aller vite, en mode MVP, vous pouvez apporter de nouvelles idées si vous le souhaitez, je vous laisserai le soin d’annoncer vous-mêmes aux développeurs qu’ils devront travailler le week-end.

“Ouch”

Il est parfois difficile de trouver les bons mots et surtout l’énergie pour contrer le manque de compréhension de notre apport dans ce genre de projet clé et surtout le manque de connaissance du process Design, surtout face à des personnalités extrêmement légitimes dans l’entreprise. Mais il faut quand même être tenace.

Lors d’une réunion avec tous les managers, nous profitons de quelques minutes de pause pour présenter les premières idées au CEO, en mode “crayonné” sur un calepin. L’accueil est extrêmement mitigé, la proposition étant jugée trop “disruptive”. Il est clair que nous n’allons pas réussir à nous aligner en si peu de temps.

Du coup, nous décidons de creuser un peu plus la réflexion, et un meeting est organisé, pendant lequel nous devons présenter en détail les grandes lignes de ce futur produit. Un exercice que j’avais eu l’habitude de faire lors de mes années de conseil : je m’enferme pendant une semaine, à étudier les benchmarks, à comprendre les besoins des utilisateurs, à décortiquer les grandes tendances d’expérience utilisateur produit, essentiellement les outils de productivité.

Le 6 piliers de l’architecture UX de ce nouveau produit.

En l’espace de 30 min, des concepts clés d’architecture produit et de stratégie long terme d’expérience utilisateur sont présentés à une partie du Comex. Cette présentation fut un moment clé dans l’évolution de la perception de l’équipe dans l’entreprise, le CPO me dira même quelques jours plus tard “Je crois que j’ai enfin compris ton métier”.

A partir de moment, nous avions fait un bond en avant pour intégrer le Design dans les réflexion Produit, même si le chemin était encore long.

Q4 2019 — L’équipe prend de la hauteur au troisième étage de la Tour Eiffel.

Ce que j’en retiens :

Il faut être opportuniste et être prêt à se glisser dans n’importe quelle interstice pour pouvoir faire entendre sa voix. Cette réunion clé a confirmé ce que je pressentais depuis des semaines à savoir que mon métier glisse lentement d’expert du design à créateur de momentum : attendre le bon moment pour partager une idée, provoquer le bon contexte pour qu’une initiative puisse voir le jour. Il ne faut donc pas hésiter à préparer du matériel de réflexion en amont, pour pouvoir le dégainer au bon moment, devant les bonnes personnes, afin de faire avancer la réflexion.

A suivre : Partie II — Vers l’infini (et au-delà)

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Mickaël David
Doctolib

French Designer // Planet Activist // Anticipation Writer // Video games & Music lover.