Lettre à l’ado que j’ai été

Nicolas Galita
Dépenser, repenser
13 min readSep 3, 2018

Je viens de finir “Lettre à l’ado que j’ai été” de Jack Parker et j’ai éprouvé une envie irrepressible de faire à mon tour cet exercice. Voici donc ma version.

Nicolas,

Je suis le toi de 2018 et je te déteste. Pourquoi as-tu accepté cette première cigarette ?

Non, je rigole : ne t’inquiète pas. Finalement je ne sais pas pourquoi on a autant angoissé. Ne pas fumer c’est super simple : il suffit de ne pas commencer à fumer. Et ne pas commencer à fumer c’est simple : il suffit de ne jamais mettre de cigarette dans sa bouche. Voilà, c’est tout. Je sais que tu te dis que si autant de gens fument, tu cours le risque d’un jour fumer aussi. Mais en fait, non. Ils sont juste fous.

En revanche, j’ai une vraie mauvaise nouvelle : Mélanie n’est pas née. Je sais que ça va te faire un choc mais l’envie d’enfant a brutalement disparu vers nos 25 ans. Je suis désolé, je sais que ça te tenait à coeur. Je sais que même le prénom te tenait à coeur. Ce qui est marrant c’est que j’ai appris récemment ce que voulait dire ce prénom. Pour toi c’était un hommage à la première fois où tu as cru que tu étais amoureux. Mais en fait ça veut dire “noir”. Oui voilà : comme dans mélanine. Félicitations pour ce choix : si je voulais un enfant je crois que je l’appellerais effectivement comme ça.

Parce que, j’ai une autre mauvaise nouvelle pour toi : tu es noir. Mais ne t’en fais pas : tu as encore une dizaine d’années à vivre sans le savoir. Profites-en pour moi, tu ne te rends pas à compte à quel point c’est génial d’être un blanc comme les autres. Tu as bien remarqué que ta peau était marron, mais noir n’est pas une couleur de peau et en fait… Tu sais quoi ? Lis plutôt le Discours sur la Négritude de Césaire : ça t’économisera une décennie et il explique mieux que moi.

Je sais que le collège n’est pas une période facile pour toi. Tu ne comprends pas ce qui t’arrive : tout se passait tellement bien en école primaire. On n’était pas prêt. Personne n’est prêt. La brutalité, la bêtise, la bizarrerie. Les gens se moquent de toi et c’est violent. Je ne sais pas quoi te dire : ça ne va pas s’améliorer avant le Lycée. Je veux juste que tu saches qu’il n’y a pas de raison particulière. Je sais que tu le sais, car tu as déjà vu la foule s’abattre sur d’autres, au primaire. Tu avais déjà trouvé ça injuste. Maintenant c’est sur toi. La foule frappe aveuglément. Mais en vrai ce n’est pas si terrible que ça : personne ne va s’en prendre physiquement à toi, je sais que tu as constamment peur que ça arrive mais ça n’arrivera pas. Au final, cette période est marrante. Je sais que dans ta petite vie ça a l’air catastrophique mais, crois-moi : c’est léger et c’est juste ce qu’il te fallait pour te construire.

Tu n’es pas moche. Tu m’entends ? Je sais que tu crois dur comme fer que tous les gens intelligents sont moches.

(ouais par contre heureusement : on va apprendre à s’habiller)

La vie ne fonctionne pas comme à la télévision : les gens intelligents ne sont pas automatiquement moches. En fait, t’es plutôt bizarre. T’as du mal avec le collège car tu es bizarre. Le plus marrant c’est que les gens qui trouvent ça bizarre que tu sois bizarre finiront par te demander comment on fait pour devenir bizarre. Et moi ? Moi je leur dirai que c’est facile : que tout le monde est bizarre au fond. J’oserai pas leur dire qu’en vrai je ne sais pas comment on fait et que si toi tu avais eu le choix tu aurais tout donné pour ne plus être bizarre. Heureusement que tu n’as pas ce pouvoir. Je sais que c’est facile à dire d’où je suis mais garde ta bizarrerie.

Oh…j’aurais dû commencer par ça : débarrasse-toi de la religion. Tu sens bien que c’est pas pour nous. Si Dieu existe alors tu es damné. Si Dieu avait voulu que tu arrives à croire alors tu y serais arrivé. Donc deux scénarios : il n’existe pas ou tu es damné. Dans les deux cas, inutile de te pourrir la vie : profite du temps restant avant la mort.

D’ailleurs j’ai une mauvaise nouvelle : on a toujours peur de la mort. Mais j’ai une bonne nouvelle : j’en ai beaucoup moins peur que toi maintenant. Ne me demande pas comment j’ai fait, ça me paraît incroyable à moi aussi : surtout une fois qu’on a abandonné l’idée d’une vie après la mort.

Je sais que depuis tout à l’heure tu ne me lis qu’à moitié. Parce que tu as envie que je te parle de sexe. Encore une mauvaise nouvelle : tu as encore longtemps à attendre (jusqu’à tes 25 ans). Oui, oui je sais…je m’excuse. On a fait de très mauvais choix qui se sont rajoutés à des circonstances rocambolesques. D’ailleurs, si tu te débarrasses plus vite de la religion, tu iras plus vite. Est-ce que le sexe c’est bien ? Oui. Mais en vrai tu le sais déjà : du sexe tout seul, c’est du sexe quand même. C’est à la fois exactement ce que tu imaginais et pas du tout ce que tu imaginais.

Ça va te paraître tellement cliché mais l’amour est plus important. Bonne nouvelle : tu vas le connaître au Lycée donc c’est très bientôt. Je veux que tu me promettes une chose : quand ça va t’arriver il faut que tu te concentres sur le goût de l’amour. Je t’en supplie, n’oublie pas le goût de l’amour. Ne te mets pas à croire qu’il y a plusieurs amours : les amours tranquilles et les amours adolescents. Non, il n’y a qu’un amour et il a toujours le même goût (chez nous en tout cas). Je ne peux pas t’en dire plus car tu as besoin de faire la plus grande erreur de ta vie. Tu as besoin des enseignements de cette erreur. Mais rappelle-toi du goût de l’amour : c’est lui qui va te sortir du traquenard quand tout semblera désespéré.

S’il te plaît : arrête avec les histoires de suicide. T’es même pas crédible : à chaque fois que tu l’envisages tu le fais par colère et non par tristesse. Ce que tu aimes c’est te délecter virtuellement de la douleur de ceux à qui tu en veux. Ne joue pas avec cette idée, par respect pour ceux qui sont vraiment désespérés. Apprends plutôt à gérer ta colère. Si tu pouvais trouver un moyen ça serait pas mal. Car on ne sait toujours pas faire ça. On se laisse encore engloutir par la colère, on continue de s’en prendre à des gens qu’on aime. Ouais je sais c’est moche. C’est très moche. D’ailleurs, à l’automne 2008, tu vas t’en prendre à une fille et tu ne vas pas t’excuser avant 2018. Ça va te ronger pendant dix ans. Pourtant tu as fait pire. Mais quand tu as fait pire tu t’es toujours excusé. Alors, s’il te plaît, n’attends pas et excuse-toi immédiatement après. Ce n’est pas négociable. Excuse-toi.

Je te parle de suicide et j’hésite à t’écrire la suite. À quoi bon te prévenir ? J’hésite parce que je sais que tu vas montrer la lettre à d’autres personnes. Mais je crois que je ne peux pas le passer sous silence. J’avais déjà écrit une version de la lettre sans ce passage mais j’avais l’impression de t’avoir menti. Maman…elle ne va pas se remettre de ce qui vient de lui arriver. Je sais que tu l’as senti pendant l’enterrement de sa mère. Je sais que tu as vu que son âme avait été engloutie. Elle ne va pas s’en remettre et tu le sais déjà. On ne peut plus rien faire et tu le sais déjà. Mais tu dois faire comme si : par respect pour le reste de ta famille. Tu t’en voudras d’avoir fui : tout le monde n’est pas un stoïcien. Ta petite soeur te demandera, désemparée, si tu as un coeur : tu peux lui épargner cette question.

Je te rassure : tu as aidé à ta manière, discrètement. Tu vas lui faire promettre et signer sur un papier la phrase “je n’essaierai plus de mettre fin à ma vie, sinon mon fils ne me le pardonnera jamais”. N’oublie pas de le faire : ça va avoir une importance vitale. Néanmoins…je ne vais pas te mentir : ça t’a l’air évident que c’est la bonne chose à faire quand je l’écris. Sauf que dans la vraie vie c’est toujours moins simpliste : tu vas finir par te demander si tu avais le droit de faire promettre une telle chose. Pour qui on se prend au final pour menacer quelqu’un qui va mal ? Même pour son bien ? Tu es tellement arrogant. Tu crois avoir tout compris. Tu penses que c’est le sujet le plus simple du monde. Mais en même temps…on avait même pas 20 ans.

En revanche…là on a 29 ans et on est toujours pas la moitié de l’homme qu’était notre père au même âge. Alors essaie de l’insulter un peu moins pendant la crise d’adolescence que tu t’apprêtes à faire. Non tu sais quoi ? Oublie. C’est triste mais je crois que tu en as besoin pour te construire. À tes risques et périls : ça te laissera une trace de remord indélébile sur le coeur. Au moins aide-le un peu plus à faire le ménage quand maman sera dans un des nombreux et longs séjours de rétablissement à l’hôpital. Même égoïstement : ça t’aidera pour ta vie future.

Tu vas en vouloir énormément à la Guadeloupe : tu la tiendras pour responsable. Tu auras en petite partie raison. Tu auras surtout en grande partie tort : tu ne sais pas encore tout, certaines puissances t’échappent totalement. De toutes façons, tu finiras par te réconcilier avec la Guadeloupe. Ça va être dur mais tu vas finir par y arriver. Tu lui pardonneras, pas pour ça : pour tout le reste. Grâce à un autre jeu qui s’appelait “lettre pour faire la paix avec son passé”. Comme quoi…garde cette habitude de jouer aux jeux epistolaires.

Au fait, on vit à Paris, on est toujours bordélique et on ne sait toujours pas gérer nos tâches administratives. Finalement on le vit plutôt bien : tu peux arrêter d’angoisser en te disant que tu ne pourras jamais travailler ou être adulte à cause de ça. En fait t’es juste un adulte qui paie ses impôts en retard, qui n’a pas de carte de sécu et qui n’a pas de permis de conduire. C’est chiant mais tu vis quand même. Et…y’a pas de bonne manière de te le dire : tu n’as plus de cheveux.

C’est probablement la pire des nouvelles dans ton monde. Alors pourquoi je ne te l’ai pas dit plus tôt ? Parce qu’en vrai c’est cool ! Et je sais que tu ne peux pas me croire sachant que tu as encore envie de pleurer quand on te fait une coupe en rond plutôt qu’au carré. Tu vas porter des chapeaux pendant 5 ans parce que tu ne vas pas l’accepter. Puis un jour, subitement, tu verras que c’est cool. Beaucoup moins cool : ton corps commencera à te lâcher vers 28 ans. Rien de grave, mais tu vas probablement repasser sur une table d’opération. Tu n’es pas capable de comprendre cette phrase, mais j’essaie quand même : profite pleinement de ta santé.

D’ailleurs, si tu veux nous aider, tu peux arrêter d’aller à McDo. Ils ne servent pas de la nourriture. Autant fumer à ce compte là ! Je sais que tu trouves encore que le Big Mac est la chose la plus délicieuse du monde. Flemme… Retiens que ce n’est pas de la nourriture : tu comprendras en temps voulu.

J’ai gardé le sujet le plus important pour la fin : tu es un artiste, tu as le droit d’être un artiste. On est un artiste, Nicolas. Pas dans le sens prétentieux que tu vois à la télévision. Je sais que tu détestes les cours d’arts plastiques à t’en rendre malade mais l’art c’est pas ça. Tu vas bientôt te mettre à essayer plein d’arts pour rigoler. Fais ça plus tôt. Attends pas les vacances d’après le bac. Tu vas écrire un livre, faire une BD, enregistrer des chansons, filmer des clips, dessiner des âmes (ta période art contemporain), danser…. et ce n’est pas assez ! Autorise-toi à essayer encore plus d’arts ! Attention : tout ceci va être très mauvais. Tu chantes comme un pied. Mais ce n’est pas le sujet justement.

Et surtout…tu as déjà senti que tu avais un rapport particulier à l’écriture. Autorise-toi à écrire ce que tu veux. Je répète : tu es un artiste. On s’en fiche que ça soit pas génial, que personne ne lise et que tu n’aies pas le courage d’essayer d’en vivre: c’est ce que tu aimes faire. Ne te cache pas derrière l’écriture professionnelle (car oui, on nous paie pour écrire) pour te censurer sur l’écriture artistique. L’art c’est entre toi et toi. Vis ton art plutôt que de perdre ton temps. Quand tu passes trop de temps sans écrire, tu te vides de ta sève : tu fais même des mini-dépressions.

Pendant qu’on y est…je t’en supplie, je t’en conjure : ne détruis jamais ton art. Même quand tu trouves ça nul. Alors…t’es pas obligé de le montrer aux autres quand c’est vraiment nul : mais garde-le quelque part. Ne supprime pas ton Skyblog, c’était de l’art. Aujourd’hui je t’en veux tellement de l’avoir supprimé. Je sais que tu crois que tu le sauvegardes grâce à ce super logiciel gratuit mais en fait payant que tu vas trouver…sauf que c’était une arnaque ce logiciel. Je sais que tu crois que tu me rends service et que tu protège ma faculté à trouver un emploi…Écoute-moi sur ce coup : ne supprime pas ton Skyblog. Supprimer son art c’est renoncer à une partie de son âme.

Bon…j’ai dit que c’était de l’art AVANT d’aller relire les vestiges. Finalement je suis plus si sûr que ça…

Oui ! J’ai dit “danser” plus haut. Je sais que tu ne m’écoutes plus à cause de ça. Alors, s’il te plaît relis que tu es un artiste jusqu’à ce que tu l’intègres car c’est le plus important. Oui, tu vas danser. Ça a l’air absurde, n’est-ce pas ? Un jour tu vas danser. Je te jure ! Tu vas arrêter d’être “terrorifié” (je sais que tu adores ce mot même si ta prof de français ne veut pas que tu l’utilises). La Pologne y sera pour beaucoup (oui, oui, le pays : c’est une longue histoire que je te laisse découvrir). Non seulement tu vas danser mais en plus tu vas aimer ça ! Ce sera une longue route pleine d’humiliations et de moments très embarrassants mais à la fin tu vas adorer. Au point de le mettre dans le top 3 de ce que tu aimes dans la vie : écrire, enseigner…danser. Des gens vont même trouver que tu danses bien. Non mais je te jure ! Je suis pas en train de te faire une mauvaise blague. Ironie du sort : des gens qui ne t’ont pas connu quand tu ne savais pas remuer un bras en même temps qu’une jambe te diront que c’est normal que tu saches danser. En fait, selon eux, je sais danser car je suis noir, j’ai donc le rythme dans la peau. J’ai beau leur expliquer à chaque fois que tu savais pas danser : ils n’en démordent pas. Ouais c’est un peu chiant, hein ? Je t’avais prévenu : tu es noir maintenant. Mais on s’en remet.

Allez…j’ai encore plein de choses à dire mais je dois retourner à ma propre vie. Je sais que tu sais que je t’aime. Tu sais que je sais que tu t’aimes. Tu ne sais en revanche pas encore la chance que tu as. Tu crois que c’est évident pour tout le monde, mais en fait non : ils sont plein à ne pas s’aimer. Continue à nous aimer : c’est ça qui nous a rendu heureux chaque jour depuis notre naissance. Ça marche pas dans l’autre sens : c’est pas parce qu’on est heureux qu’on s’aime, c’est parce qu’on s’aime qu’on est heureux. C’est ce que tu fais de mieux : continue. Je sais que tu vas douter sous le poids des autres, mais continue.

Embrasse les parents pour moi. Maintenant tu sais pourquoi je te le dis.

PS : le Parti Socialiste va enfin prendre le pouvoir. Finalement tu as tort : la gauche peut gagner en France. Non en fait tu as raison : le Parti Socialiste est un parti de droite. Je te fais gagner du temps.

PS 2 : tu vas vivre 7 énormes révolutions, je t’en ai déjà évoqué une. Ça prendrait une lettre entière de développer et d’ailleurs j’envisage d’en faire un livre un jour mais va sur Google et tape les 7 requêtes qui vont changer ta vie:

Antispécisme et végétarisme
Childfree
Athéisme
Nous ne sommes pas en démocratie
Négritude
Polyamour
Honnêteté radicale

PS 3 : Oh mon Dieu ! J’ai failli oublier notre promesse : que si on arrivait à s’écrire à travers le temps on devait se communiquer un moyen de devenir riche. Investis tout l’argent que tu peux immédiatement dans des actions Apple avant 2007. Parie un maximum d’argent sur la victoire de François Hollande avant le mois de mai 2011 (longue histoire de Sofitel). Parie également que la France va arriver en finale de la Coupe du Monde 2006 mais que Zidane se fera expulser et qu’on perdra aux tirs aux buts. Voilà : si tu deviens pas riche avec ça, je m’en lave les mains.

Hey ! Attends :D

[Tu as aimé ce que tu viens de lire ? Clique ici et laisse ton email pour rejoindre l’Atelier Galita et recevoir plein d’autres contenus exclusifs]

Biographie

Le livre original d’où j’ai volé le concept : Lettres à l’ado que j’ai été.

Ce n’est pas la lecture du siècle, mais il y a quelque chose de très éclairant à lire les lettres des autres. Je me suis rendu compte à quel point on a tous lutté pendant nos adolescences, même si on ne se le disait pas. Lire ce livre c’est un peu comme regarder la série Bref. Ça donne à la fois de l’humilité et du réconfort de voir qu’on était pas tout seul finalement.

--

--

Nicolas Galita
Dépenser, repenser

Tu as aimé ce que tu as lu ? Ce n’était qu’un amuse-bouche. Je partage bien plus de contenu ici : https://nicolasgalita.substack.com