Comment donner leur juste place aux écrans dans la vie de nos enfants ?

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12 min readMar 4, 2021

S’il y a un sujet sur lequel les parents se sentent démunis aujourd’hui, c’est celui des écrans et de l’usage du numérique en général. Chez Edeni, nous le constatons même au sein de nos formations dans lesquelles nous accompagnons aussi des parents engagés dans une transition écologique familiale. En particulier depuis la crise sanitaire, certains confient à moitié honteux avoir “craqué” et dû recourir aux écrans afin de se ménager un instant de répit… enfin pouvoir télétravailler…

Nous, parents, entretenons souvent avec les écrans un rapport compliqué, à la limite de la schizophrénie : entre résignation et préoccupation grandissante, il n’est pas toujours évident de remettre le numérique à sa juste place quand il s’agit du développement de nos enfants. La génération actuelle de parents n’a pas grandi dans un environnement numérique aussi foisonnant et se retrouve face à un défi inédit, pour lequel ils ne sont pas suffisamment accompagnés.

Les règles et recommandations actuelles, une base souvent méconnue, rarement suffisante

Actuellement, différentes règles et recommandations circulent au sein des écoles et auprès des professionnel·le·s de santé pour tenter de se frayer un chemin jusqu’aux enfants et leurs parents.

La première, la plus connue, est la règle « 3–6–9–12 », proposée en 2008 par le psychiatre et spécialiste des relations jeunes-médias-images Serge Tisseron, et relayée depuis 2011 par l’AFPA (Association Française de Pédiatrie Ambulatoire). Cette règle fixe des bonnes pratiques en fonction de différentes tranches d’âge pour prévenir les abus et mésusages des écrans :

  • 3 comme : Pas d’écran avant 3 ans.
  • 6 comme : Pas de console de jeu avant 6 ans.
  • 9 comme : Pas d’internet avant 9 ans et internet accompagné jusqu’à l’entrée au collège.
  • 12 comme : Internet seul à partir de 12 ans, avec prudence.

Pour les plus jeunes, elle explique comment les écrans peuvent entraver certaines étapes de développement critiques des enfants (développement du langage, de la créativité, de la pensée, de la motricité fine, de la sociabilisation etc.). Pour les plus grands, elle alerte sur les risques psychologiques et comportementaux auxquels les enfants se retrouvent exposés, ainsi que sur les dangers d’Internet.

Une autre règle proposée pour aider les parents est celle des « 4 pas », élaborée par Sabine Duflo psychologue clinicienne et thérapeute familiale :

Pas d’écrans le matin, sinon l’enfant arrive déjà fatigué en classe :
Pas d’écrans durant les repas, afin de privilégier les conversations en famille :
Pas d’écrans avant de s’endormir, afin de garantir un sommeil de qualité. Outre l’excitation qu’ils peuvent générer, la lumière bleue inhibe la production de mélatonine, hormone favorisant l’endormissement ;
Pas d’écrans dans la chambre de l’enfant, au profit d’un univers plus propice au développement des compétences essentielles mentionnées plus haut.

Par ailleurs, les enfants doivent être éduqués aux médias et à Internet afin de comprendre comment sont créés les contenus diffusés, mais aussi comment fonctionnent les modèles économiques sous-jacents (vente de données, publicité etc.).

Enfin le Groupe de pédiatrie générale, membre de la Société française de pédiatrie, propose les 5 messages suivants :

  • Comprendre le numérique sans le diaboliser ;
  • Les écrans ont leur place dans les espaces communs comme le salon, mais pas dans les espaces intimes tels que les chambres ;
  • Respecter des temps sans écran (matins, repas, sommeil, etc.) ;
  • Oser la parentalité dans le domaine des écrans. Ici, c’est le mythe des « digital natives » qui vole en éclat : certes les enfants semblent savoir naturellement utiliser les écrans, mais cela ne signifie pas qu’ils en maîtrisent les usages ; sur ce point, les parents ne doivent pas hésiter à réaffirmer leurs compétences les accompagner au mieux ;
  • Lutter contre l’isolement social que pourraient générer les écrans.

Ces règles et recommandations, même si elles paraissent de bon sens, sont parfois perçues par les parents comme culpabilisantes, voire contradictoires avec les pratiques en vigueur dans les lieux fréquentés par les enfants en dehors de la maison.

Une recherche scientifique à ses prémisses

Il est important d’avoir en tête que le développement du numérique est encore trop récent pour que nous ayons un recul suffisant pour tirer des conclusions définitives tant sur ses bénéfices que ses impacts négatifs. Ces règles et recommandations vont donc probablement continuer à évoluer et se préciser au fil des avancées de la recherche scientifique en la matière.

Le MOOC « La petite culture numérique : le développement du tout-petit à l’ère numérique », réalisé par un collectif de recherche du CRI (Centre de Recherches Interdisciplinaire) et sorti en février dernier, propose justement de faire un point sur l’état de la recherche en la matière. Nous y apprenons qu’en examinant de plus près les travaux sur la relation entre l’exposition aux écrans et le développement des enfants, il apparaît que la majorité d’entre eux portent encore à ce jour sur la télévision, et non les écrans interactifs, comme les smartphones, tablettes et autres objets connectés. Or, si un consensus clair se dégage sur l’absence d’intérêt, voire les effets délétères de la télévision sur le développement cognitif des moins de 3 ans, pour les plus grands, les écrans, et notamment s’ils sont interactifs, pourraient avoir des bénéfices en terme d’apprentissage, lorsqu’ils sont correctement utilisés.

Par ailleurs, les chercheur·se·s du CRI soulignent l’importance de s’interroger sur les conditions dans lesquelles sont conduits les travaux de recherche et de veiller à ce que les biais potentiels soient limités au maximum. Par exemple : aucune statistique fiable ne peut être tirée en étudiant uniquement la relation aux écrans d’enfants présentant des troubles de développement. Il faut que ces constats soient complétés par l’étude d’un groupe témoin constitué d’enfants avec la même exposition aux écrans mais sans troubles de développement. Dans ces conditions, il serait alors possible de démontrer que ces troubles n’auraient pas eu lieu sans l’exposition aux écrans. Or, aujourd’hui tou·te·s les thérapeutes, qui par essence ne reçoivent que des enfants présentant des troubles, ne font pas systématiquement preuve de cette rigueur scientifique, ce qui peut entraîner une surinterprétation des études. Il faut donc garder à l’esprit qu’une corrélation est différente d’un lien de causalité : ce n’est pas parce que les enfants présentant des troubles de développement sont fortement exposés aux écrans que ce sont les écrans qui causent ces troubles de développement, ces derniers pouvant parfois être l’arbre cachant la forêt.

Une fois tout cela dit, comment savoir quelle place donner au numérique dans la vie de nos enfants ?

De 0 à 3 ans, l’enfant ne connaît pas bien son environnement. Il est clair qu’il ne s’intéresse pas spontanément aux écrans, donc son exposition peut encore être maîtrisée par l’adulte.

Pour les plus grands, plus que le temps d’exposition, même s’il a son importance, ce sont les usages qui semblent être la clef de notre relation au numérique. Pour interroger les pratiques du numérique au sein de leur foyer, le collectif de recherche du CRI recommande aux parents de s’aider du principe des « 3C » (encore un…): Contexte-Contenant-Contenu.

Créer un contexte favorable autour des temps d’écran

Le temps dédié aux écrans est un temps qui ne sera pas consacré à d’autres activités, telles que le jeu libre, le sport, la connexion à la nature, le sommeil, ou qui peut venir cannibaliser la connexion aux autres ou à soi (écoute de sa faim et de sa satiété par exemple). Ce temps est donc à équilibrer avec ces autres éléments, afin qu’il ne prenne pas le dessus.

Si nous reprenons l’exemple du confinement, si après être sorti faire une promenade à vélo et fait des ateliers dessin, pâte à modeler et puzzle avec votre enfant, qu’il ait bien mangé et fait sa sieste, vous finissez par dégainer un écran pour qu’il s’occupe pendant que vous assistez à une réunion avec vos collègues, arrêtez de culpabiliser. Dans l’équilibre de la journée de votre enfant, il s’agira d’une activité parmi d’autres.

De la même façon, il est important de distinguer le temps qu’un enfant passerait seul devant un dessin animé de celui où vous le visionneriez en famille. En échangeant pendant et après la séance, c’est une activité qui peut enrichir la relation parents-enfants. Et si malheureusement, vous avez dû finir par le laisser seul, vous pouvez aider à ramener votre enfant dans le réel, en échangeant avec lui, en lui proposant de réaliser une activité découlant de ce qu’il a vu, pour atténuer la dimension passive de cette pratique.

© Unsplash

Enfin, c’est aussi l’occasion pour les adultes d’interroger leur propre rapport au digital. Aujourd’hui, l’ampleur du phénomène connu sous le nom de « technoférence parentale » dans la cellule familiale devient inquiétante : les parents passeraient en moyenne 5 heures par jour devant un écran, dont un tiers lors d’activités familiales. Les plus jeunes se retrouvent alors confrontés au phénomène de « still-face », mis initialement en évidence par des études sur l’impact des comportements dépressifs sur la relation parent-enfant. Le visage impassible et inexpressif qui est le nôtre devant un écran peut générer chez les petits des réactions de détresse : ces derniers tentent d’abord d’attirer l’attention, puis, trop angoissés par le manque de réaction, finissent par se replier sur eux-mêmes.

Les adultes doivent donc être vigilants à ce que leur propre usage du numérique ne vienne pas parasiter leur relation avec les enfants, même lorsque ces derniers n’y sont pas directement exposés.”

Pour cela, l’application Forest peut être utile, du moins dans un premier temps : elle vous aidera à rester concentré·e sur ce qui est important pour vous et vous récompensera en plantant des arbres dans le monde réel.

Privilégier les contenus tangibles et interactifs

Derrière la question du contenant se cache celle de l’interactivité. Or, aujourd’hui ce sont encore les usages non-interactifs comme la télévision — ou une tablette utilisée comme substitut — qui sont majoritairement présents dans les familles.

Pourtant, il peut y avoir des bénéfices à recourir à des contenants interactifs, lorsqu’ils sont utilisés comme tels, notamment pour les transferts de qualités qu’ils permettent d’opérer entre le virtuel et le concret. Ainsi, certain·e·s ergothérapeutes ont recours à des applications de déliement digital ou renforcement des doigts pour développer la motricité fine des plus jeunes. Et des études ont même mis en avant que pour l’apprentissage de l’écriture, le couple doigt-tablette serait plus efficace que le stylet-tablette et même le bon vieux papier-crayon.

C’est aussi pour ces raisons que nous voyons aussi fleurir de plus en plus d’outils numériques sans écran. Ainsi OVAOM propose de développer la communication, la concentration auditive et la motricité des enfants grâce à deux manettes connectées à une application permettant de jouer de la musique. KutiKuti s’inscrit dans ligne droite de l’esprit « Makers » et des « fablabs » en mettant entre les mains des enfants des kits d’objets connectés à construire, pour développer leur ingéniosité et leur créativité. Ou encore LilyLearn et son Lilémo, jeu de cubes mélange de matériaux traditionnels et de technologie pour apprendre la lecture. Ces innovations veulent montrer qu’une autre voie du numérique est possible et qu’il pourrait jouer un rôle dans l’éducation de nos enfants.

Être vigilant quant au contenu proposé

Cela nous amène au dernier élément qui a bien évidemment son importance : le contenu.

Les professionnel·le·s du numérique l’ont bien compris et nous voyons de plus en plus de contenus labellisés « Education » fleurir sur les « stores » d’application. Hélas, ces labels n’ont pour la plupart rien d’officiel et ne font pas l’objet de contrôle. Avant de les mettre entre les mains de nos enfants, il est donc recommandé aux adultes de les expérimenter avec un regard critique pour s’assurer qu’elles remplissent pleinement leur rôle éducatif. Une piste peut être d’aller vers des applications qui vont développer chez l’enfant les fameuses compétences du XXIème siècle, à savoir communication, créativité, coopération et esprit critique. Par ailleurs, pour les plus grands, instaurer un contrôle parental et un moteur de recherche adaptés à l’âge de ses enfants peut aider à encadrer leurs explorations sur internet.

“Bien choisies, les activités en ligne peuvent être un complément intéressant aux contenus traditionnels.”

Elles permettent par exemple d’avoir un retour sur erreur immédiat, indispensable à un bon apprentissage. Leur aspect souvent ludique peut jouer un rôle dans l’engagement et la motivation des enfants. Enfin, il est possible d’adapter le niveau afin qu’il ne soit ni trop dur, ni trop facile. Dans les écoles, nous voyons de plus en plus d’enseignants y recourir pour ces raisons, leur permettant d’individualiser les parcours, notamment pour les grands groupes.

Durant le confinement, certains parents ont redoublé d’inventivité pour pouvoir essayer de tirer le meilleur parti des outils numériques pour occuper leurs enfants. Nous avons ainsi vu fleurir les visioconférences avec les grands-parents, chargés de superviser les devoirs ou les journaux de bord du confinement, construits photos à l’appui. Les applications permettant de reconnaître les chants d’oiseaux ont connu des records de téléchargement. Autant de preuves que le numérique peut aussi nous aider à nous connecter aux autres et au vivant.

Communiquer pour développer la conscience

“Enfin, au sein d’Edeni, nous avons envie d’enrichir cette approche des « 3C : Contexte — Contenant — Contenu » par un 4ème C pour Communication, tant il apparaît crucial d’établir un dialogue constructif avec les enfants sur ces différents aspects.”

Chez les plus jeunes, l’échange avec le parent peut aider l’enfant non seulement à sortir de sa passivité, mais aussi à verbaliser les émotions et le comportement (nervosité, agressivité, fatigue etc.) que peuvent générer chez lui les écrans et autres outils digitaux quand il y est exposé. Cette prise de recul est salvatrice lorsqu’il s’agit de mettre des limites en place.

A partir d’un certain âge, il peut être intéressant d’associer l’enfant à la définition des règles en place au sein de la famille et d’en discuter régulièrement. Il faut garder à l’esprit que nous devrons faire preuve de pédagogie et de patience, et probablement nous répéter. Nous le faisons déjà face à toute activité qui peut présenter des dangers pour nos enfants, comme les laisser sortir seuls. Ainsi, rappelant « qu’il n’y a aucune raison de faire sur Internet ce que l’on ne ferait pas dans la rue », un programme national de prévention pour un usage d’Internet vigilant, sûr et responsable « Le Permis Internet pour les enfants » a été développé. Il s’agit donc d’accompagner au mieux nos enfants à évoluer dans un monde où la présence du numérique va grandissant.

Inclusion et écologie : les autres enjeux du numérique pour nos enfants

Il est critique pour les parents d’aider leurs enfants à développer une forme de culture numérique car ce dernier représente par ailleurs un réel facteur d’inclusion dans nos sociétés. Le confinement a une fois encore été le triste révélateur de la fracture qu’il existe aujourd’hui dans certains foyers où la continuité pédagogique a été mise à mal par la précarité numérique. En France, 13 millions de personnes sont en effet exclues du numérique, faute d’équipement ou parce qu’elles n’en maîtrisent pas les usages. Or, comprendre les phénomènes qui se cachent derrière le numérique est une manière de ne pas en être un simple consommateur passif, mais un véritable acteur, capable notamment de s’en distancer. C’est le combat aujourd’hui de certains acteurs comme Colori ou Magic Makers, qui apprennent à coder aux enfants dès le plus jeune âge (sans écran avant 6 ans), car ils pensent que cette nouvelle « langue » sera la clef pour en faire des adultes éclairés face à la technologie et acteurs de leur futur.

L’invitation qui nous est faite aujourd’hui est surtout de nous interroger sur la place que nous souhaitons tou·te·s donner au numérique dans notre société, son utilité, sa finalité. A l’heure d’une profusion extrême du numérique, avec tous les excès que cela comporte, nous avons encore le choix d’une consommation du numérique plus réfléchie, essentiellement pour la santé et le bon développement de nos enfants. Mais ces derniers, en battant le pavé au rythme des « Fridays for Future » nous alertent sur d’autres contraintes qui vont peser de plus en plus sur nos usages numériques à l’avenir : celle de l’urgence climatique, de la crise de la biodiversité et de la transition énergétique. Générant 4% du total des GES, part qui pourrait doubler d’ici 2025, et avec une consommation d’énergie augmentant de 9% par an, le numérique semble aujourd’hui une machine en plein emballement qu’il va falloir freiner, si nous souhaitons préserver ses usages les plus prometteurs pour le futur de nos enfants.

Article rédigé par Amandine Lafont, mentor d’Edeni pour la formation en approche E.S.E, animatrice des Fresques du Climat et du Numérique, Fondatrice de Savoirs Précieux.

Sources

https://sergetisseron.com/blog/la-regle-3-6-9-12-relayee-par-l/

https://www.anpaa.asso.fr/images/stories/telechargement/cp_ecrans_tele_afpa_tisseron.pdf

http://www.sabineduflo.fr/vous-et-les-ecrans-conseils-pratiques/

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2588932X1830010X?via%3Dihub

MOOC (ou cours en ligne) « La petite culture numérique : le développement du tout-petit à l’ère numérique », réalisé par le collectif de recherche Premiers Cris

https://www.cairn.info/revue-spirale-2017-3-page-28.htm

https://theconversation.com/avec-de-jeunes-enfants-comment-guider-lusage-des-ecrans-153310

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0222961720300684

https://www.jouepenseparle.com/?p=1803

http://www.sabineduflo.fr/edward-tronick-still-face-experiment/

https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/apprentissage-multisensoriel-des-lettres-quel-est-le-role-de-linterface-pour-ameliorer-lecriture-du-jeune-enfant-22.html

https://www.competencesdu21emesiecle.com/

https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1529100615569721

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2212868916300277

https://societenumerique.gouv.fr/13-millions-de-francais-en-difficulte-avec-le-numerique/

https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/

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