Coronavirus : une crise écologique ?

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11 min readMar 25, 2020

En décembre dernier apparaissaient à l’autre bout de la planète les premiers cas du nouveau coronavirus, le Covid-19. Aujourd’hui, la France, à l’instar de ses voisins européens, prend des mesures drastiques et exceptionnelles afin de lutter contre la maladie, qui depuis le 11 Mars est reconnue comme une pandémie par l’OMS. L’apparition et la propagation de cette maladie agissent comme des révélateurs de ce qui fonctionne mal dans notre société, à différents niveaux. Cette crise peut également être vue comme une préparation, une sorte de “répétition” pour les crises bien plus graves qu’y auront lieu dans un effondrement du monde tel que nous le connaissons qui semble désormais inéluctable. Nous allons donc essayer dans une série d’articles de comprendre comment ce virus a pu être à l’origine d’une telle pandémie, d’analyser les réactions de la société face à cette crise majeure, et de penser des pistes de résiliences pour préparer, voire éviter, les crises à venir. Nous nous intéressons dans ce premier article aux caractéristiques d’un système peu attentif à l’écologie qui ont pu permettre l’émergence d’une telle pandémie.

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L’absence de barrières entre les humains et les autres animaux

Toutes les maladies de la liste “Blueprint des maladies prioritaires” de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), parue en 2018 et recensant les maladies les plus dangereuses pour l’humanité par leur caractère épidémique ou l’absence de moyens pour les soigner ou les contrôler, sont des maladies transmises à l’Homme par les animaux, avec souvent plusieurs espèces impliquées dans cette transmission. Il y a fort à parier que le coronavirus va rejoindre cette liste. L’hypothèse la plus fréquemment avancée sur l’origine de cette maladie est la transmission du virus d’une espèce de la famille des chauve-souris à l’Homme, sans doute par l’intermédiaire du pangolin, dont les écailles sont très prisées en Asie du Sud-Est.

Source : https://www.nature.com/articles/nature06536, EID: Maldie infectieuse émergente

Si cela ne reste qu’une hypothèse, il est en revanche presque certain que le virus a été transmis à l’Homme par un animal sauvage : c’est ce qu’on appelle une zoonose. Cela représente la majorité des nouveaux virus que l’Homme rencontre puisque depuis la Seconde Guerre mondiale, 60% des nouveaux pathogènes proviennent d’animaux, dont ⅔ d’entre eux d’animaux sauvages. Ces virus ne sont pas dangereux pour leurs porteurs d’origine, et peuvent même leur être bénéfiques, mais le deviennent pour l’Homme, qui n’a pas les mêmes résistances génétiques. A contrario, l’Homme peut également transmettre des nouveaux virus aux animaux et les mettre ainsi en danger (comme ce fut le cas pour la tuberculose).

Ainsi, pour le chercheur en microbiologie et spécialiste de la transmission des agents infectieux Jean-François Guégan, interrogé par Mediapart, la pandémie actuelle est « un boomerang qui nous revient dans la figure ». Elle serait en effet causée par la modification des habitats naturels, la consommation de viande et de produits fabriqués à partir d’animaux sauvages et la mondialisation des transports.

L’invasion par l’Homme des milieux naturels des espèces sauvages

Nous ne pouvons alors pas nous contenter d’”accuser” les animaux du mal auquel nous sommes confronté.e.s. En effet, comme le déclare Pascal Picq dans une tribune pour Le Nouvel Observateur :

« Le Covid-19 a émergé au cœur d’une civilisation qui méprise la nature ».

Depuis le néolithique, la croissance démographique humaine a entraîné des conséquences irréversibles sur les écosystèmes en empiétant sur les espaces sauvages, comme la forêt, dans des objectifs de production agricole. Selon François Moutou, vétérinaire et épidémiologiste ayant notamment travaillé sur le SRAS, le coronavirus est révélateur des limites du système actuel :

« La Terre ne peut plus supporter une telle croissance démographique, une telle expansion économique au détriment des écosystèmes naturels… Le risque est de voir poindre à l’horizon de nouvelles épidémies plus dangereuses que celle que nous subissons malheureusement aujourd’hui. »

En effet, la destruction de l’environnement par l’extractivisme a provoqué un phénomène d’archipélisation des espaces non aménagés par l’Homme. En fait, ces espaces ont presque entièrement disparu, ce qui oblige les espèces à se côtoyer et dérègle les comportements des animaux, comme le révèlent actuellement les invasions des animaux dans les villes en confinement car ils ne sont plus nourris par le tourisme et les consommations des Hommes. L’une des principales causes des zoonoses est la déforestation, comme le signale une étude faite en 2007 sur Ebola, puisque ce virus était plus fréquent dans les régions d’Afrique équatoriale ayant subies des déforestations peu de temps auparavant. De même sur l’île de Sumatra, la déforestation a été à l’origine de contacts entre les chauve-souris fruitières et l’Homme, ce qui a causé la maladie de Nipah dont ont été victimes des éleveur.se.s et du personnel d’abattoirs. Or, il convient de remarquer que 80% de la déforestation mondiale se fait pour des fins agricoles, notamment pour l’élevage. Le système d’exploitation agricole actuel nous met donc en danger.

A cette déforestation, l’agriculture productiviste ajoute le problème des monocultures, qui ne sont pas toujours adaptées aux sols et au climat, et qui ont également un rôle prépondérant dans la transmission de nouveaux virus. En effet, comme le remarque François Moutou :

« Dans une prairie où poussent une centaine d’espèces végétales, un virus peut se perdre. Mais face à un champ de 10 hectares de maïs, s’il peut s’associer aux cellules de la plante, il se répand sans limite.”

Comme le constatent la philosophe Donna Haraway et l’anthropologue Anna Tsing, dès le XVIIe siècle, les cultures de canne à sucre ont été des foyers de développement de champignons néfastes pour l’Homme, qui ont été diffusés par la commercialisation de la production. Or, ce modèle s’est répandu avec la mondialisation et la mise en place d’une agriculture générant de grands rendements.

Ces monocultures, et la destruction des habitats qui en résulte, sont une atteinte à la biodiversité. C’est ce que pense Serge Morand, qui a publié en 2016 chez Fayard un livre au titre prémonitoire — La Prochaine Peste. Une histoire globale des maladies infectieuses :

« Nos écosystèmes ont perdu de la résilience et de leur capacité à s’autoréguler. Le coronavirus n’est pas le dernier soubresaut “pathogénique” de notre planète. Tant que la biodiversité continuera de s’éteindre, ce genre d’épidémie se reproduira. Il faut se saisir de cette crise pour s’attaquer aux causes, et non pas traiter les conséquences. »

La destruction des habitats est en effet reconnue comme la principale cause de la sixième extinction de masse, qui a davantage des allures d’”extermination de masse” pour reprendre l’expression d’Aurélien Barreau. Selon l’UICN, ¼ des espèces que nous connaissons sont menacées, et cette part s’élève encore davantage pour les insectes dont 75% auront disparus d’ici 30 ans. Or, selon la même logique que pour les cultures végétales, la biodiversité animale est importante pour multiplier les “barrières” au virus. De surcroît, nous pouvons remarquer que ces deux types de biodiversités fonctionnent ensemble et que par conséquent l’état de l’un conditionne l’état de l’autre. La biodiversité joue en effet un effet de dilution ou un “effet tampon” entre les porteurs du virus et l’Homme. En outre, les parasites peuvent être chassés par leurs prédateurs. Ainsi, il y a douze fois plus de moustiques dans les zones déboisées que dans des forêts demeurées intactes ; et personne n’ignore le rôle prépondérant des moustiques dans la propagation de virus dangereux pour l’Homme tels que la dengue, le zika ou le paludisme. Il va sans dire que le nombre d’individus dans chaque espèce a aussi son rôle dans cette propagation. Nous avons pourtant perdu un tiers de la biomasse en seulement une décennie, rompant ainsi l’équilibre naturel, ce qui engendre un ensemble de menaces pour nous, dont les épidémies font partie.

Une épidémie liée à la surconsommation de produits issus d’animaux

L’une des principales voies de contamination des Hommes par les virus des animaux est leur consommation en ce qu’elle renforce la fréquentation des espèces, de l’élevage ou la capture à la mise à mort. Le SRAS et Ebola seraient ainsi liés à la consommation de viande de brousse et en 2002–2003, les marchés d’animaux vivants en Chine avaient été considérés comme des foyers de contagion du SRAS : les espèces y sont entassées les unes sur les autres dans des caisses, les contacts sont donc facilités et fréquents. En outre, les animaux sauvages viennent d’être traqués et capturés, et sont par conséquent dans un grand état de stress. Leurs défenses immunitaires sont alors amoindries et les agents pathogènes peuvent se multiplier aisément. A cela s’ajoute les cuisines des restaurants où les animaux sont conservés vivants, à proximité des cuisiniers, afin de limiter le temps entre la mort et la consommation. Si ces pratiques sont sanitairement interrogeables, elles constituent une tradition culturelle dans les pays d’Asie du Sud-Est qu’il est difficile d’abandonner pour les populations qui y sont habituées.

Néanmoins, au-delà de ces pratiques traditionnelles spécifiques, l’élevage intensif est tout autant un facteur de contamination. La sélection des animaux pour répondre aux normes de l’industrie alimentaire (être gros et rapidement matures) standardise les individus qui deviennent alors plus vulnérables aux virus, par leur similarité génétique. En outre, les animaux y ont peu d’espace et les virus se transmettent plus rapidement.

Un effondrement de notre biodiversité interne

“L’effondrement de la biodiversité animale a son corollaire méconnu : l’effondrement de la biodiversité dans le corps humain.” rappelle la rédaction de Le vent se lève.

Nous assistons en effet à un affaiblissement tendanciel des défenses immunitaires des humains. Cela s’explique notamment par le fait que notre microbiote intestinal, qui nous permet de vivre correctement et de lutter contre certaines maladies, s’appauvrit à cause de notre consommation d’OGM et de plantes nourries aux engrais qui n’ont pas le temps de mener leur croissance à terme et d’accumuler les nutriments nécessaires à nos microbes.

En outre, les antibiotiques que nous consommons, parfois simplement en mangeant de la viande (plus de 50% de la production d’antibiotique mondiale est destinée aux animaux) tuent également notre flore intestinale. Leur surutilisation, nécessaire dans l’élevage intensif, ainsi que le rejet des effluents des industries pharmaceutiques dans les rivières, entraînent aussi des phénomènes de résistance à l’origine de 700 000 décès par an dans le monde selon l’OMS. Notre système immunitaire n’est donc plus efficace, alors que les progrès de la médecine nous font oublier que notre bonne santé n’est pas innée, et qu’il faut toujours chercher à prévenir et à soigner.

Au-delà du rapport aux animaux, une mondialisation problématique

Notre seule fréquentation des animaux ne permet pas de comprendre entièrement la propagation de ce virus à l’échelle planétaire.

Une mondialisation des virus

La mondialisation renforce tout d’abord l’organisation que nous avons déjà évoquée, en monocultures et élevages intensifs, puisque des pays en développement vont produire certains aliments pour des pays développés dans des quantités trop importantes (80% de la production mondiale de soja vient ainsi du Brésil).

De surcroît, les transports mondiaux d’Hommes et de marchandises diffusent inéluctablement les virus. Or l’Homme est l’espèce qui transporte le plus ces virus puisqu’il est la seule à se déplacer dans ces proportions avec 3 Milliards de voyageurs en avion par an. L’augmentation de la vitesse de propagation des virus s’est faite en parallèle de l’augmentation de la vitesse des moyens de transports, surtout depuis une quarantaine d’années.

En outre, l’urbanisation rend également facile la diffusion des virus, à plus petite échelle.

Dans une tribune pour l’Obs, le paléoanthropologue Pascal Picq rappelle que ‘’lorsque, voici 10 000 ans, nous avons commencé à nous grouper en villages, à cultiver la terre et élever des animaux, les virus se sont aussi invités…à nos côtés…Et voilà qu’aujourd’hui, les humains sont les meilleurs alliés des virus par leurs activités frénétiques’’.

Or, comme le souligne J.M. Jancovici, notre système est conçu pour faciliter les transmissions, et notamment celle des virus. Empêcher les virus de se propager, c’est empêcher le système de fonctionner, ce qui explique que la crise ne soit pas seulement sanitaire, mais aussi économique et sociale.

« Les infrastructures jouent un rôle central : les maladies peuvent rapidement se répandre entre les villes grâce aux infrastructures de la mondialisation, comme les réseaux de voyage aérien. Les aéroports se trouvent souvent en bordure des villes, soulevant des enjeux complexes de gouvernance et de juridictions concernant la responsabilité de contrôler les épidémies dans les vastes régions urbaines. » écrivent Roger Keil, Creighton Connolly et S. Harris Ali dans The Conversation.

L’influence du changement climatique

Si l’atteinte à la biodiversité explique l’émergence de nouveaux virus, c’est bien le réchauffement climatique dans son ensemble qui peut être à l’origine des pandémies, bien que cela reste compliqué à évaluer.

Tout d’abord, ce réchauffement perturbe le cycle de l’eau : avec +1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle, l’évaporation de l’eau est 7 % plus élevée que la normale ce qui explique, dans le même mouvement, sécheresses et pluies diluviennes. Cela conduit à un durcissement des sols et à une stagnation des eaux dans lesquelles prolifèrent les bactéries et les moustiques.

De surcroît, il provoque des migrations d’insectes vers des latitudes différentes pour retrouver les mêmes conditions climatiques. L’Organisation Mondiale de la Santé estime que le changement climatique entraînera 60 000 décès supplémentaires liés au paludisme chaque année entre 2030 et 2050, soit une augmentation de près de 15 % par rapport à aujourd’hui. En 2050, 2,4 Milliards d’individus seront également à portée du moustique tigre, dans son aire géographique, alors même qu’il porte le zika, la dengue, le paludisme et la fièvre jaune.

Enfin, la fonte du permafrost va libérer des virus contre lesquels nos organismes ne savent plus lutter. La fréquence de plus en plus rapprochée des grandes catastrophes naturelles va elle aussi fragiliser l’humanité dans son système d’organisation et dans ses infrastructures, notamment en perturbant les chaînes d’approvisionnement.

Il existe également une hypothèse selon laquelle le coronavirus pourrait se transmettre par les particules fines présentes dans l’air et provenant de l’activité humaine, comme l’a expliqué pour Libération, Vincent-Henri Peuch, directeur du Service européen de surveillance atmosphérique du programme Copernicus (CAMS). Une étude réalisée par une quinzaine de chercheurs internationaux, et publiée le 17 mars dans The New England Journal of Medecine, a conclu que ce virus peut rester accroché pendant environ trois heures sur les particules fines en suspension, émises entre autres par les voitures, l’agriculture ou l’industrie, ce qui expliquerait une contamination sur de longues distances, mais il est encore trop tôt pour que cela soit certain.

S’il est encore difficile de savoir comment est survenu le coronavirus et comment il a pu se propager, des hypothèses se forment et permettent de discerner des mécanismes généraux qui, ensemble, ont contribué à l’émergence de cette crise majeure. Cela n’a pas pour intérêt de condamner ce qui s’est passé mais bien plus de proposer des pistes d’amélioration à l’ensemble de notre système économique, social et sanitaire mondialisé afin de pouvoir éviter à l’avenir des crises sanitaires, mais qui sont toujours avant tout écologiques. Ainsi, à travers cette crise, l’humanité à l’occasion d’apprendre à devenir résiliente face aux défis et crises majeurs qui nous attendent dans les décennies à venir.

Sources :

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