Etre militant : pourquoi et comment ?

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7 min readMay 13, 2020

Face aux injustices et aux systèmes d’oppression, nous ressentons parfois l’obligation d’agir et de se révolter. Cette rébellion passe par le fait de militer, de traduire ses convictions par des actions concrètes. Néanmoins, nous pouvons facilement nous sentir seul.e et impuissant.e face aux grands enjeux écologiques et sociaux auxquels nous sommes confronté.e.s. Il peut même arriver que nous doutions de l’efficacité de nos luttes. Pourtant, militer est la meilleure manière de défendre nos convictions. Nous vous présentons la nécessité et les manières de militer et d’œuvrer concrètement pour la mise en place du monde que nous voulons voir advenir.

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Militantisme et activisme : définitions et précisions historiques

Le militantisme est une forme d’engagement collectif en vue de protester et de résister à ce qui est perçu comme une injustice ou une oppression. En Occident, le militantisme est un mode d’expression privilégié par le mouvement ouvriers, pour la défense des droits des femmes et des droits civiques. Dans les pays en développement, il a souvent émergé lors des mouvements d’indépendance.

Le XXème siècle a vu l’apparition de ce qu’on pourrait qualifier de “militantisme moral”, fondé sur la solidarité, en dehors de toute organisation ou idéologie politique, notamment sur les questions de l’antiracisme, de l’humanitaire, de la défense des droits de l’Homme, du féminisme, de la lutte pour l’environnement ou des droits LGBT+.

Intervention Sea Sheperd

L’activisme est une forme de militantisme plus politique privilégiant l’action directe et frôlant avec l’illégalité, et n’hésitant pas à recourir à la violence. Selon la vision marxiste, l’activisme désigne une action à court terme, là où le militantisme repose sur une théorie qui le construit sur le long terme. Si, par influence anglaise, nous utilisons souvent “activisme” comme synonyme de “militantisme”, il peut pourtant prendre une connotation négative puisque certains médias l’utilisent pour disqualifier une action en en soulignant la violence. Ainsi, les zadistes qui occupaient et défendaient les terres agricoles contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame des Landes ou du barrage de Sivens étaient qualifiés d’activistes par les médias, tout comme les actions de Sea Sheperd contre les bateaux de pêche intensive (alors même que Sea Sheperd se présente comme une organisation non violente).

Ce terme est historiquement lié aux mouvements socialistes du début du XIXè siècle comme l’anarchisme et la bande à Bonnot. En effet, le courant anarcho-syndicaliste a théorisé l’”action directe” par un manifeste éponyme en 1910 écrit par Emile Pouget, alors secrétaire national de la CGT, dans un objectif révolutionnaire. Cependant, l’activisme n’est pas seulement un mode d’action de gauche puisque au milieu du XIXème siècle, après la crise boulangiste, les mouvements nationalistes se sont emparés des méthodes d’action de gauche, notamment avec la Ligue de l’Action française.

Il y a eu un renouveau de l’activisme avec mai 68, avec l’apparition des mouvements militants de société que nous évoquions précédemment.

Pourquoi militer ?

Martin Luther King : “Chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes.”

Ne pas avoir à militer serait un privilège : cela voudrait dire que nous ne souffrions pas de discriminations ou d’injustices qui nous inciteraient à défendre nos droits. Notre système repose en effet sur l’oppression de certaines classes sociales, populations et même de l’environnement. Il convient alors de désobéir à ce système pour prôner une vision du monde plus juste. Il ne faut donc pas penser le militantisme comme un mouvement d’opposition mais davantage comme un mouvement de résistance qui a pour objectif de démanteler les systèmes d’oppression économiques, sociaux et politiques. C’est une manière d’établir un contre-pouvoir qui interroge les institutions qui légitiment le pouvoir (ce que les gouvernants ne peuvent pas faire puisqu’ils détiennent leurs pouvoir de ces institutions). Ainsi, l’Etat et le capitalisme sont des systèmes très puissants qui doivent être remis en question lorsqu’ils reposent sur l’exploitation de personnes et de ressources et sont discriminants.

L’activisme peut devenir nécessaire lorsque voter ou consommer (c’est-à-dire “voter avec son porte-monnaie”) n’a plus d’impact. En effet, les actes radicaux dépassent ce que les institutions considèrent comme acceptable. Or, la médiatisation de tels actes (tels qu’une grève ou un sabotage) peut alors provoquer une prise de conscience au sein de la population et donc avoir des conséquences plus larges sur l’organisation de la société que le simple résultat concret de l’acte. En outre, selon le principe de la fenêtre d’Overton, plus une action considérée comme extrême est répétée, plus elle perd de son caractère extrême et est acceptée par la société. Par conséquent, grâce à la propagande et à la répétition, une idée politique peut devenir acceptable, populaire voire même majoritaire. C’est ainsi que les sit-in et boycott organisés par Martin Luther King sont devenus des manières courantes de militer. Toutefois, il revient au mouvement de militant de fixer des limites dans la potentielle violence de ses actions car toute fin ne justifie pas les moyens : nous pouvons recourir à la violence uniquement pour lutter contre une violence plus grande ou plus systémique (cf la Résistance contre le régime nazi).

Néanmoins, il ne faut pas considérer les militants comme un problème mais toujours regarder les limites du système qu’indique cette rébellion. C’est en cela que le militantisme a une réelle puissance, en ce qu’il inspire la société à critiquer sa propre construction.

Comment militer ?

Le militantisme est avant tout un engagement collectif vers une même idée. Il convient donc de construire des lieux physiques et sociaux où les idées militantes peuvent s’échanger, et la résistance s’organiser. Pour cela, rejoindre des associations ou des groupes déjà construits est une étape importante.

Il se pose alors la question des manières de militer avec des tensions entre les actions les moins violentes mais aussi les moins efficaces et des actions plus (mais parfois trop) violentes. Aric McBay dans son’ouvrage Full Spectrum Resistance propose ainsi le schéma suivant :

Or, selon lui, ces actions sont complémentaires. La lutte contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud en est un exemple : le mouvement utilisa la force économique (boycott), la force politique (désobéissance) et la force physique (sabotage, incendies, attaques). Mandela refusa d’ailleurs quand on lui proposa de sortir de prison s’il renonçait aux actions violentes. Il déclara :

« La non-violence n’est pas un principe moral mais une stratégie. Et il n’y a aucune supériorité morale à utiliser une arme inefficace ».

Selon lui, “c’est l’oppresseur qui détermine quelle tactique doit être utilisée pour le déloger”. Ainsi, convaincre une chaîne de café d’utiliser des gobelets en papier recyclé ne demandera pas les mêmes actions que d’abolir l’esclavage.

L’émergence des médias a permis une nouvelle forme de militantisme par des actions spectaculaires comme les grèves de la faim qui oblige les oppresseurs à réagir avant d’être davantage confrontés à leur culpabilité. De surcroît, le développement d’internet a vu l’apparition d’un hacktivisme puisqu’internet est encore un espace où le droit s’applique plus difficilement peut ainsi devenir aisément le lieu d’une désobéissance plus importante.

Judi Bari : la nécessaire convergence des luttes

Judi Bari est une militante américaine pour la cause environnementale de la deuxième moitié du XXè siècle. Elle était ouvrière, anarcho-syndicaliste et féministe. Elle a été la principale organisatrice des campagne EarthFirst! contre la déforestation. Son approche est intéressante puisqu’elle rassembla les causes de l’écologie et de la justice sociale : pour elle, l’exploitation des ouvrier.ère.s, de la femme, des minorités, et de la planète devaient être confrontés dans un même combat contre le capitalisme. Elle repose son approche d’écologie profonde sur le concept de biocentrisme : les humains font partie de la nature qui ne leur est donc pas soumise. La biodiversité a donc de la valeur pour elle-même, sans avoir à être utile à l’être humain.

Judi Bari

Pour elle, le marxisme fut un échec car cette idéologie était aveugle à l’exploitation de l’environnement et au patriarcat. En effet, les profits économiques des capitalistes ne peuvent avoir lieu selon elle que si l’on ne rend pas à la planète les ressources qu’on lui prélève. Par conséquent elle exprimait déjà l’idée que, pour avoir une vision systémique et donc intersectionnelle, il ne faudrait pas laisser le mouvement écologique aux mains de blancs privilégiés. Même si de petites divergences notamment sur les motivations peuvent apparaître, la diversité des personnes qui composent un groupe sont une des clés de la réussite du mouvement.

Pour militer, il faut donc faire appel à des personnes différentes et à des méthodes variées. C’est en effet comme cela que l’approche sera la plus globale et systémique possible, engendrant ainsi de plus larges mouvements de prise de conscience dans la société.

Sources :

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