L’upcycling : l’art de recycler

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9 min readJun 25, 2020

Depuis quelques années s’est développée la tendance de l’upcycling, principalement dans les domaines de la mode et de la décoration d’intérieur. Ce terme anglais est un mot-valise entre recycling (recycler) et up, qui signifie “vers le haut” : le produit final est d’une valeur supérieure aux produits de départ (souvent destinés à la poubelle). Il s’agit donc d’une version améliorée du recyclage puisque, là où ce dernier présente des limites, l’upcycling va non seulement faire du neuf, mais aussi faire du beau. En réalité, l’upcycling repose souvent bien plus sur une logique de réutilisation, parfois d’une manière détournée, que sur une simple logique de recyclage à proprement parler. Au-delà de l’engagement éco-responsable, il s’agit d’un véritable travail de créateur, qui donne un résultat design voire même réellement artistique

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Des créations éco-responsables et uniques

Appliqué à la mode ou à la décoration d’intérieur, l’upcycling permet d’obtenir des créations vraiment uniques et esthétiques. Le principe est de mettre en valeur l’esthétique des objets récupérés tout en leur donnant une nouvelle utilité. Le terme d’upcycling a été utilisé pour la première fois en 1994 par l’ingénieur allemand Reiner Plitz. C’est donc une démarche nouvelle, mais qui existait déjà naturellement dans les pays en voie de développement, où la revalorisation est nécessaire, puisque l’accès aux biens de consommation y est souvent limité et où la collecte des déchets n’est pas toujours régulière. C’est donc surtout le mode de vie occidental qu’il faut changer et adapter davantage aux ressources que la planète a à nous offrir, en ne surconsommant pas. C’est l’idée du livre de William McDonouch Cradle to Cradle : remaking the way we make things, paru en 2002, et qui a popularisé le concept d’upcycling. Ce dernier appartient donc à la conception d’économie circulaire Cradle to Cradle qui intègre tous les niveaux, de la conception, de la production et de la réutilisation du produit, une exigence écologique dont le principe est zéro pollution et 100 % réutilisé. Ces deux mouvements touchent aujourd’hui des domaines de plus en plus vastes.

Source : https://omagazine.fr/lorsque-mode-ecologie-se-rencontre-upcycling/

Alors que la mode est une des industries les plus polluantes au monde (elle serait au 5e rang), les créateur·rice·s prennent de plus en plus conscience de l’impact de leur secteur sur l’environnement et cherchent à repenser leur travail pour que celui-ci réponde davantage aux enjeux actuels. Eva Velazquez, une créatrice de mode, a ainsi pour principe de créer du nouveau avec de l’ancien :

« On récupère de tout, comme des boutons ou encore des vieilles tirettes ».

Son frère Hugo l’accompagne dans cette démarche :

« Pour moi c’est une question d’élégance et de savoir-faire, autant qu’une prise de conscience de la question environnementale. Je travaille pour une économie durable orientée vers la haute couture et un style plus habillé ».

En décoration d’intérieur, on voit souvent des meubles fait à partir de palettes de chantier en bois, ou encore des chaises qui trouvent une nouvelle jeunesse une fois recouvertes de tissus que l’on n’utilise plus. La plateforme LILM a ainsi pour ambition de faire découvrir des artisans qui privilégient l’éco-conception et prônant une utilisation responsable du mobilier :

« Nous croyons que chaque ressource est un cadeau et que son utilisation devrait toujours être optimisée. » (Bruno et Christian, artisans de LILM).

Un luminaire original fait à partir de vieux moules à gâteaux. © Optireno

Ils ne se servent ainsi que de bois recyclés et de chutes de meuble. En effet, ils trouvent la majeure partie de leur matière première chez des industriels locaux pour le transformer en mobilier éco-conçu et design.

L’upcycling a donc ce double effet positif de revaloriser des déchets et ainsi de ne pas les laisser se dégrader dans la nature de manière polluante, mais aussi de limiter l’utilisation de nouvelles ressources. Cependant, que ce soit avec l’upcycling ou de manière plus générale avec l’économie circulaire, il ne faut pas tomber dans l’écueil de consommer des biens dont nous n’avons pas besoin. S’il est positif que l’upcycling se développe de nos jours, il convient avant tout de limiter nos achats à ce qui nous est réellement nécessaire.

Donner une valeur politique aux objets

Au-delà de la simple valorisation esthétique et utilitaire des déchets en objets du quotidien, il est également possible de leur faire prendre un message politique, dénonçant nos modes de vie et de sur-consommation.

Le junk art

Au cours du XXè siècle a ainsi émergé le mouvement du junk art (“art des déchets”) dans le cadre de la révolte moderniste contre l’utilisation des matériaux traditionnels dans les beaux-arts. La volonté de ce mouvement était de montrer que l’art peut être fait à partir de n’importe quoi. Les artistes ont donc commencé à utiliser des objets inhabituels pour leurs sculptures, peintures, assemblages et installations. C’est le critique d’art et conservateur britannique Lawrence Alloway (1926–90) qui a inventé le terme junk art en 1961 pour décrire des œuvres d’art fabriquées à partir de ferraille, de machines brisées, de chiffons, de bois, de vieux papiers etc. Les travaux de l’artiste plasticien Robert Rauschenberg dans les années 1950 illustrent ce courant. L’artiste cherchait à questionner la différence que l’on fait entre objets de la vie quotidienne et objets d’arts, et intégrait des objets trouvés à ces peintures. Selon lui, la valeur d’un objet devrait se trouver dans l’objet en tant que tel et non pas dans l’usage qu’on en fait :

« Les objets que j’utilise sont la plupart du temps emprisonnés dans leur banalité ordinaire. Aucune recherche de rareté. À New-York, il est impossible de marcher dans les rues sans voir un pneu, une boîte, un carton. Je ne fais que les prendre et les rendre à leur monde propre… »

Robert Rauschenberg
Port of Entry [Anagram (A Pun)], 1998

Cette vision des objets produits par l’Homme va à l’encontre d’une vision trop productiviste qui ne prend pas le temps de contempler l’objet et ne le perçoit qu’à travers le prisme de l’utilitarisme : une fois que l’objet n’est plus fonctionnel, il devient déchet. La vision de Rauschenberg peut donc nous faire interroger plus profondément nos modes de consommation.

L’upcycling art

Le mouvement de l’upcycling art, héritier du junk art, a un message politique et écologique encore plus direct car il met souvent en avant la quantité de déchets produites et les conséquences sur l’environnement qui en découlent.

Dans les années 2010, suite à la crise économique de la dette, le Portugal est en difficulté financière et les déchets ne sont plus systématiquement ramassé par le service public. L’artiste et activiste écologiste Bordalo II a alors l’idée de réaliser des sculptures d’animaux à partir de ces déchets qui s’entassent. Le choix de représenter des animaux se justifie par la volonté de leur redonner vie à travers même ce qui les tue : le plastique.

« L’idée n’était pas juste de faire quelque chose de beau à partir de déchets » explique-t-il à la revue Usbek et Rica

Il souhaite en effet faire passer un message simple mais souvent ignoré par un médium accessible à tou·te·s puisqu’il expose ses sculptures de “trash animals” dans la rue, ce qu’il peut désormais faire en toute légalité grâce à sa notoriété.

« J’utilise mon travail pour communiquer des idées, des craintes et des prises de conscience sur les problèmes mondiaux auxquels nous sommes confrontés : réchauffement et changements climatiques, extinction massive, déforestation, pénurie d’eau, pollution…”

Il cherche à révéler par l’art l’étendue de notre gaspillage et ses conséquences sur la biodiversité. En effet, le tas de déchets dont il tire une sculpture (morceaux de jouets, de pare-chocs de voiture, fragments de plastique) aurait, dans la nature, tué l’animal que l’artiste crée. Une grande partie de ce plastique se serait retrouvé dans des estomacs d’animaux (100% des tortues sont contaminées au plastique, a révélé une récente étude de l’Université d’Exeter). C’est pour cette raison que Bordalo II représente principalement des animaux sauvages menacés par la pollution voire en voie d’extinction comme les chimpanzés, les lémuriens, les tigres, les zèbres, etc.

« Peu de gens ramassent le plastique et il met longtemps à se dégrader, il contamine tout… C’était le matériau parfait pour réaliser ces sculptures »

Même si les humains souffrent aussi de cette pollution, il estime ne pas avoir besoin de les représenter puisque ceux-ci sont déjà présents dans les oeuvres à travers leurs déchets.

Il réalise également des univers miniatures à partir de plastique fondu.

Bordalo II, Bad Deal

L’oeuvre ci-dessus nommée Bad Deal et appartenant à la série “World Gone Crazy” est un de ces univers miniatures. Elle représente un cochon diabolique d’argent en train de passer un marché avec un humain sauvage dans la nature. Bordalo déclare :

« Je voulais faire une critique sociale en inversant le rôle des humains et des animaux ».

Ce qu’il reproche n’est donc pas seulement la pollution, mais également la manière dont nous utilisons les animaux pour répondre à nos modes de consommation productivistes ou pour notre simple divertissement. C’est d’ailleurs plus largement le capitalisme, et non seulement le gaspillage, qu’il remet en question par ses oeuvres.

« Lorsque j’étais à San Francisco, j’ai vu une publicité pour un parc aquatique avec des spectacles utilisant des animaux » « J’ai donc décidé de faire un pingouin dans la prochaine ville, à Tenerife, bien qu’il n’y en ait pas là-bas. Je voulais montrer qu’on déplace des animaux juste pour nous divertir, ce qui n’a aucun sens ».

Néanmoins, il conserve une touche d’espoir dans son oeuvre avec la série “Half half” qui présente des touches de couleurs contrastant avec les matériaux bruts.

Bordalo II, série “Half half”

La sculpture ci-dessus représente ainsi une ourse avec son petit et alors que celle-ci n’a qu’une patte colorée, l’ourson est intégralement peint, ce qui symbolise l’espoir que les générations à venir représentent pour l’environnement. C’est précisément dans l’objectif de sensibiliser la plus large population possible que ces sculptures prennent tout leur sens.

Gabriel Dishaw, Rearing Horse

Travaillant avec du métal et des objets mécaniques, Gabriel Dishaw est un autre artiste de l’upcycling art. Il donne une nouvelle vie à d’anciens objets comme des machines à écrire, des machines à calculer, des antiquités dont personne ne voudrait ou même de vieux ordinateurs, qui finiraient autrement dans des décharges. Il tire son inspiration de ce que les objets ont à lui offrir pour penser ses différentes oeuvres. Il a ainsi sculpter Rearing Horse à partir d’une pièce de machine à calculer qui lui faisait penser à une tête de cheval.

Il se donne pour mission de créer du dialogue et de contribuer à trouver des manières éco-responsables et créatives de valoriser les déchets numériques. Son oeuvre vise aussi à dénoncer les méfaits de l’obsolescence programmée qui rend infonctionnels des matériaux qui sont pourtant toujours en bon état.

Que ce soit dans son usage quotidien ou dans l’art, l’upcycling défend une vision du monde où les déchets et la surconsommation n’ont plus leur place. Il faut donc trouver une manière de valoriser au mieux pour créer de nouveaux objets qui limiteront la consommation de ressources et pour faire passer un message de sensibilisation important. Créer du neuf et du beau avec de l’ancien est une manière de repenser nos modes de consommation et d’entrer dans une démarche plus éco-responsable.

Sources :

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