L’éco-féminisme : quand les femmes défendent la planète

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7 min readJun 4, 2019

Si la question de l’éco-féminisme vous passionne tout autant que nous, les quelques lignes qui vont suivre pourront vous servir d’introduction au sujet. Mais ne vous arrêtez surtout pas à cet article. Les textes éco-féministes et les idées avancées par ce mouvement sont d’une grande richesse et mérite qu’on se penche sérieusement dessus. Cet article reprend principalement les idées de Catherine Larrère, Emilie Hache et Jeanne Burgart Goutal.

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  1. L’éco-féminisme c’est quoi ?

Le terme est employé pour la première fois en 1974 par la française Françoise d’Eaubonne dans ‘Le féminisme ou la mort’.

Elle y écrit : « C’est une urgence que de souligner la condamnation à mort (…) de toute la planète et de son espèce humaine, si le féminisme, en libérant la femme, ne libère pas l’humanité tout entière, à savoir n’arrache le monde à l’homme d’aujourd’hui pour le transmettre à l’humanité de demain ».

Selon elle, « le drame écologique découle directement de l’origine du système patriarcal », notamment de l’appropriation du corps des femmes par les hommes.

Cette réflexion amène les éco-féministes à voir un lien entre l’exploitation à outrance de la terre et celle de la femme. D’après ces femmes, nos sociétés patriarcales et capitalistes visent à exploiter les ressources — la nature comme les femmes — pour en tirer un maximum de profit, qu’importe les conséquences.

Mais cette idée est loin de faire consensus et le mouvement éco-féministe est régulièrement accusé — à tort — d’essentialisme. Le mouvement est souvent incompris et résumé de la sorte : les femmes sont plus naturelles, plus proches de la nature que les hommes et donc mieux placées pour la défendre.

Or, d’après Catherine Larrère, la position des éco-féministes n’est pas de démontrer l’identité entre les femmes et la nature mais de démontrer qu’il existe une analogie entre la domination masculine sur les femmes et entre la domination masculine sur la nature.

2. L’histoire de la domination des femmes et de la nature

Les éco-féministes s’appuient sur l’étude de textes remontant au 17e siècle et présentant une vision mécaniste de la nature, comme ceux du philosophe Francis Bacon (1561–1626).

Ces textes nous révèlent la chose suivant : le 17ème siècle est marqué par une nouvelle vision de la nature. Et avec cette nouvelle vision vient une nouvelle façon de traiter la nature

Celle-ci n’est plus vue comme un grand organisme dont nous faisons partie mais comme une série de rapport extérieur entre des causes et des effets que nous devons comprendre. On ne doit donc plus protéger la nature, mais la dominer, la torturer afin qu’elle nous révèle ses secrets et nous livre ses richesses.

Dans son livre, Carolyn Merchant explique que parallèlement à cette transformation du rapport à la nature se déroule une transformation du rapport aux femmes. En effet, c’est à cette période — fin du 16ème — que débute les persécutions des sorcières.

Ainsi, les femmes vont servir de métaphores à la nature et vice versa.
Il va y avoir un croisement des deux dans une même forme de mise sous domination par les hommes.

Bien que la féminisation de la nature n’ait rien de nouveau (on a toujours parlé de Mère Nature), le changement du rapport aux femmes et en même temps du rapport à la nature est, quant à lui, tout particulièrement important.

Le principe des procès faits aux sorcières est transposé à la nature et on se met à torturer simultanément les sorcières et la nature.

Toujours d’après Catherine Larrère, ce que montre Carolyn Merchant dans son livre c’est une véritable structure de domination. En passant par les femmes pour comprendre la nature (et vice versa), on réalise qu’il n’est pas seulement question de se représenter la nature mais bien de la dominer. C’est une question de pouvoir. Les textes du 17ème siècle regorgent de métaphores porteuses de façons de faire et d’agir. On y parle souvent “d’hommes conquérants” et de “nature vierge” ou “inviolée”. On utilise aussi des phrases telles que “ouvrir le ventre de la Terre” ou “fouiller les entrailles de la Terre”.

3. Un mouvement politique

Malheureusement, en France, le mouvement de Françoise d’Eaubonne ne rencontre pas le succès espéré et le mouvement s’éteint.

Le terme sera par la suite repris et développé dans les pays anglophones.

Dans la fin des années 70, au début des années 80, aux USA, des autrices et des activistes reprennent le mot ‘éco-féministe’.

Contexte aux USA à ce moment-là : Guerre Froide, course à l’armement nucléaire, bientôt l’élection de Reagan, la guerre du Vietnam

L’éco-féminisme renaît dans le contexte du mouvement anti-nucléaire et pacifiste. C’est donc désormais un mouvement féministe. Pacifiste. Ecologique. Et politique.

Au début, un certain nombre de femmes qui étaient engagées dans les mouvement de la paix et du féminisme se sont engagées autour d’un mouvement anti-nucléaire. Elles se sont mobilisées, ont commencé à mener des actions et à bloquer des usines. Au fur et à mesure de leur mobilisation, elles ont fait le lien entre leurs différents engagements politiques.

Comme l’explique Emilie Hache, ces femmes ont réalisé que la destruction généralisée de la planète à laquelle elles étaient en train d’assister était certainement liée à un autre type de destruction qu’elles connaissaient très bien : l’oppression des femmes. Ainsi, poursuit-elle, ce serait la même culture mortifère, militariste qui serait en train de détruire l’ensemble des ressources vivantes et qui dans le même temps aurait un rapport de haine, de violence à l’égard des femmes.

Lors d’une conférence, Jeanne Burgart Goutal simplifie le discours de ces éco-féministes : Nous sommes des femmes. Nous sommes des mères. Nous donnons la vie. Nous nous préoccupons des générations futures. Et vous, le système dirigé par les hommes, vous incarner une espèce de force de mort, vous n’en avez rien à foutre de la préservation de la vie. Nous nous insurgeons contre votre système. Nous luttons en tant que mères. Nous luttons en tant que mères soucieuses de la vie.

Women’s Pentagon Action

Ces femmes vont se mettre à tenir des manifestations très théâtrales et démonstratives. Celles-ci possèdent un côté rituel. Ce sont des sortes de cérémonies avec beaucoup d’art.

En 1980, 2 000 femmes encerclent le Pentagone et chantent, pleurent, jettent des sorts déguisées en sorcières, pour réclamer la justice et la paix.

Ces militantes ne font pas que lutter pour le changement qu’elles voudraient voir plus tard mais elles essayent d’incarner ce changement. Par exemple, en remettant l’art au centre de la vie et ce, même dans leurs manifestations.

4. Reclaim

Au début du mouvement, les éco-féministes se réunissent mènent donc de véritables luttes concrètes autour de certains enjeux bien précis : environnement, nucléaire, pollution, etc. Cette phase a été suivie par une phase de théorisation du mouvement. Dans les années 90, il y a moins de luttes mais beaucoup plus de bouquins. Le mouvement a évolué hors des Etats-Unis et est désormais présent en Angleterre également. Il reste cependant majoritairement représenté dans les pays anglo-saxons.

Dans leurs textes, les éco-féministes utilisent beaucoup la notion de reclaim.
Il s’agit d’un terme qu’elles empruntent à l’écologie — généralement utilisé pour désigner l’action de défricher, de reprendre un terrain en mauvais état et de l’assainir — et qu’elles étendent à un sens plus large politique et culturel.

Leur idée est simple : elles veulent reclaim tout ce qui a été historiquement construit et mis du côté des femmes — la nature, les émotions, la question du soin, l’attention — afin de les décrédibiliser.

Comme l’explique Emilie Hache, ce ne sont pas nécessairement des qualités qui relevaient des femmes par essence, en revanche c’est un ensemble de pratiques politiques, individuelles, personnelles qui ont été mises de leur côté et qui sont absolument fondamentales pour changer le monde. Pour créer un monde meilleur.

Au lieu de refuser d’être associées à ces notions, les éco-féministes préfèrent les revendiquer pleinement et encourager le reste de la société à tendre vers celles-ci également. L’éco-féminisme désire sortir du dualisme qui caractérise nos sociétés : nature >< culture, corps >< esprit, écologie >< féminisme. Ce mouvement apporte une culture du “et” dans un monde qui aime diviser.

Loin d’elles l’idée de dire que les femmes sont plus proches de la nature. Elles veulent faire comprendre que tout le monde devrait être plus proche de la nature — les hommes inclus.

Le combat de la majorité des féministes est de lutter pour avoir les mêmes droits que les hommes. Lutter pour pouvoir, au sein du système, accéder aux ‘privilèges des vainqueurs’.

Les éco-féministes ne veulent pas simplement pouvoir accéder à ces privilèges dans un système qu’elles condamnent. C’est un mouvement révolutionnaire : elles veulent redéfinir le système. Elles veulent tendre vers une société qui promeut la spiritualité et l’éthique. L’harmonie du tout au dessus du gain individuel.

Les éco-féministes ne cherchent pas à prendre le pouvoir. Mais elles cherchent à se débarrasser du type de pouvoir qui est en place.

5. Idées de lecture

  • Reclaim de Emilie Hache
  • Sorcières de Mona Chollet
  • Caliban et la sorcière de Silvia Federici
  • Les oeuvres de Starhawk
  • The Death of Nature de Carolyn Merchant
  • Notre podcast avec Jeanne Burgart Goutal

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