L’écologie radicale : la meilleure voie de sortie de crise

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12 min readApr 14, 2020

Nous évoquions la semaine dernière les enjeux auxquels nous devrons collectivement répondre pour sortir de la crise du coronavirus. Or, le coronavirus est notamment une crise écologique. Pour en sortir, et surtout pour éviter qu’elle ne se reproduise, nous devons impérativement nous adapter dès à présent afin de ne pas retomber dans les travers du passé. Si la bataille est loin d’être gagnée, notamment lorsque l’on observe les politiques menées par le gouvernement en cette période, nous pouvons collectivement défendre nos idéaux, en tant qu‘individus.

Source : La Croix

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La crise du coronavirus : un avant-goût de ce qui nous attend avec le changement climatique ?

Avant toute chose, il convient de noter que le coronavirus et le changement climatique, s’ils sont corrélés, entraînent et répondent à des logiques différentes. La principale différence est que le coronavirus est une crise actuelle, que l’on peut observer directement et dont on ressent l’urgence. Ses effets sont immédiats ; c’est un danger clairement identifié. Il y a donc une dichotomie de ressenti en faveur de cette crise, pourtant moins grave sur le long terme que le réchauffement climatique. Pour le gouvernement, les mesures à prendre sont globalement claires puisqu’il subira les sanctions économiques ou sanitaires en fonction des décisions qui seront prises ces jours-ci. En revanche, même si nous avons connu deux canicules successives et que l’Australie a perdu l’équivalent d’une moitié de la superficie de la France de forêts, le réchauffement climatique n’est pas ressenti comme une urgence vitale à court terme. En outre, on ne sait pas exactement comment répondre à cette crise climatique puisque même les avis des spécialistes divergent. Il s’agit alors de décider sans savoir précisément quelles seront les conséquences à long terme.

Source : https://ladeviation.com/agiter/coronavirus-ecologie/

Néanmoins, qu’importe la nature de la crise, les réactions restent sensiblement les mêmes. Nous pouvons alors tisser quelques parallèles entre le coronavirus et le changement climatique. Déjà, en voyant le mal causé par la maladie, nous nous rendons compte que choisir un moindre mal s’avère parfois nécessaire. Nous acceptons par exemple une restriction de nos libertés fondamentales pour lutter contre l’épidémie et, bien que cela semble inenvisageable pour la majeure partie de la population, il faudra également restreindre certaines de nos libertés pour protéger l’environnement. Ces restrictions pourront changer nos manières de nous déplacer ou de consommer, sans mettre toutefois en question notre bien être autant que le fait la pandémie. Nous serons peut-être alors limité.e.s aux consommations nécessaires et à ne pas prendre l’avion, avec la possible nécessité de mesures autoritaires de la part de l’Etat pour encadrer les entreprises, mais l’ensemble de ces mesures restera bien moins drastique que pendant le confinement. De surcroît, comme pour le Covid-19, les scientifiques ont un rôle important dans le choix des réponses à apporter pour rester sous la barre des deux degrés de réchauffement. Si dans sa deuxième allocution, le président de la République mettait l’accent sur cette nécessité d’écouter ceux et celles qui savent pendant la crise sanitaire, il faut rappeler qu’il serait bon de les écouter également au sujet de la crise écologique. Qu’il s’agisse des scientifiques ou des économistes, les scénarios qu’ils et elles dressent sont à prendre en compte, afin de trouver en avance des solutions et de ne pas agir dans l’urgence, avec des problèmes de gestion (manque de matériel de soins et de protection). Enfin, la crise sanitaire montre que, quand cela est nécessaire, l’argent n’est plus un problème.

Le coronavirus révèle également ce qu’est de subir une récession. Or, pour les décroissant.e.s Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet, Anisabel Veillot (coauteur.rice.s d’Un projet de décroissance) et Thomas Avenel, la récession subie aura des conséquences contraires à ce qui devrait arriver avec une décroissance choisie, comme ils l’expliquent dans une tribune publiée sur Reporterre. La récession entraîne en effet l’isolement des plus vulnérables, l’exploitation des plus précaires et une tentation autoritaire, là où la décroissance a pour devise “moins de biens, plus de liens : la convivialité”. En révélant l’absurdité de la surconsommation, qui mène inéluctablement à un épuisement des ressources et donc à une récession inexorable, la crise que nous traversons indique l’urgence de faire le choix de la décroissance avec des nouveaux modèles de sociétés, relocalisées mais ouvertes.

Des initiatives citoyennes

Lors de ses différentes allocutions, Emmanuel Macron n’a pas fait part d’un désir de décroissance : au contraire, sa priorité est de relancer l’économie, et c’est par l’accès au travail que commencera le déconfinement. Il a néanmoins, pendant son discours du 13 Avril, salué les initiatives citoyennes. Celles-ci semblent alors être le moyen le plus efficace pour repenser le système et prévoir l’après. Nous vous en présentons quelques-unes.

Margaret Mead : «Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde. Car historiquement, c’est toujours de cette façon que le changement s’est produit.»

Les Résistants et Résistantes climatiques

Aurélien Barrau, un des signataires de la tribune

Ce groupe s’est réuni pour signer une tribune sur Reporterre le 23 Mars 2020. Il y exprime la nécessité de rentrer en résistance climatique pour faire comprendre aux dirigeants que l’urgence de la question climatique est la même que l’urgence du Covid-19. Pour eux, la rapidité de la prise de mesures contre le réchauffement climatique ne dépend que d’une volonté politique et d’un volontarisme citoyen. Leur objectif est la neutralité carbone effective en 2050, grâce à une décroissance énergétique mondiale perceptible dès 2025. Il y a aussi une perspective de justice sociale mondiale, avec une empreinte carbone qui doit être identique pour tous les individus du monde (i.e. inférieure à deux tonnes équivalent CO₂ par personne et par an, ce qui reviendrait à diviser par six celle d’un.e Français.e). Pour cela, il faut quitter le business as usual, synonyme de mort précoce pour des milliards d’êtres vivants. Ils et elles sont guidé.e.s par l’idée que le problème ne réside pas dans l’individu mais dans le système. Ces changements ne doivent pas alors être vécus comme des sacrifices mais bien au contraire comme des sources d’émancipations.

Les Résistants et Résistantes climatiques proposent donc un plan en cinq phases :

1ère phase : les quatre actions, que chacun.e peut réaliser à son échelle

  • Repenser sa manière de se déplacer et ne plus prendre l’avion, redécouvrir les moyens de transports doux et rouler moins de 2000 kilomètres par an en voiture
  • Développer la cuisine végétarienne et se nourrir d’aliments bio, locaux et de saison, avec une consommation de viande limitée à deux fois par semaine maximum
  • Réinterroger ses besoins pour limiter les achats neufs au strict minimum
  • Agir collectivement en portant des actes se traduisant à l’échelle de la société

Cette première phase concerne la décroissance énergétique et matérielle. Elle se fonde sur des nouvelles solidarités pour trouver collectivement des adaptations qui constitueront les modes de vies post pétrole.

2e phase : Créer du lien par les actions en donnant à voir le futur et en entrant dans le domaine politique

3e phase : Faire face à la conflictualité, en défendant des mesures symboliques

4e phase : Mise en place d’une décroissance énergétique nationale coordonnée massive et rapide : effort de pédagogie de la vérité, revitalisation des solidarités à toute échelle, mise en place d’alternatives, et, sur un volet législatif, quotas carbone, limite de puissance, de poids et de nombre de véhicules. Cette phase vise à refondre notre société en accompagnant les plus démuni.e.s.

5e phase : Passage à l’échelle mondiale, en utilisant des outils diplomatiques et économiques pour convaincre les gouvernements réfractaires.

Cette approche générale sert de guide aux différentes actions qui émergent depuis la crise du Covid-19.

La pétition “Plus jamais ça”

Signée par seize organisations, cette pétition réclame “un jour d’après écologiste, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral”. Dans le temps de la crise, ces organisations demandent l’arrêt total des activités non indispensables pour faire face à la pandémie, la réquisition des établissements médicaux privés et des entreprises afin de produire le matériel nécessaire pour sauver des vies, la suspension immédiate des versements de dividendes, le ciblage des 750 Milliards alloués par la BCE uniquement pour des mesures environnementales et sociales. Sur le long terme, elles défendent un plan de développement de tous les services publics, une fiscalité “bien plus juste et redistributive” avec la mise en place d’impôts sur les grandes fortunes, une taxe renforcée sur les transactions financières et une véritable lutte contre l’évasion fiscale, ainsi qu’un plan de relocalisation et de réorientation de l’agriculture, de l’industrie et des services.

« Nos organisations représentent plusieurs centaines de milliers de membres. Malgré des cultures militantes et des revendications différentes, nous nous retrouvons sur des mesures fortes qu’il est tout à fait possible de mettre en œuvre rapidement, indique à Reporterre Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac. Face à l’urgence, il faut la convergence d’un grand nombre de forces citoyennes sur des valeurs communes, comme les droits sociaux, pour peser face à un gouvernement incapable de prendre les bonnes décisions. »

« Les premières mesures adoptées par le gouvernement, comme la levée du Code du travail et le démantèlement des acquis sociaux, suggèrent qu’il veut continuer à approfondir sa logique néolibérale et autoritaire et prépare une stratégie du choc. Il ne faut pas oublier que lors du premier Conseil des ministres dédié à l’épidémie de Covid-19, il a annoncé le recours au 49.3 pour la réforme des retraites ! Il appelle aux dons pour sauver les petits commerçants mais n’envisage pas de retour à l’impôt sur la fortune et ne remet pas en question sa politique favorisant les ultra-riches. Face à cela, il va falloir montrer qu’on peut mener des politiques différentes capables de répondre aux besoins écologiques et sociaux des populations. »

Le réseau Action Climat

Ce réseau cherche à faire des propositions en faveur “d’une plus grande résilience face aux crises”. S’il faut sauver le maximum d’entreprises à court terme, Action Climat prépare également un plan de sortie de crise à moyen terme qui favorise les relocalisations, conduit les industries à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre, incite les producteurs et les consommateurs à favoriser des produits respectueux de l’environnement et lutter contre l’obsolescence programmée, et accélère la rénovation énergétique des logements. Cela est possible uniquement dans un cadre économique où la règle des 3% de déficit serait assouplie et où tous les investissements seraient tournés vers l’écologie.

« On ne prétend pas savoir quand on sortira de la crise et la priorité reste la solidarité avec les malades, l’hôpital public et le secteur de la santé, précise à Reporterre Neil Marakoff, du RAC. Mais après, comment ne pas reproduire les mêmes erreurs qu’en 2008 ? Car nous sommes face à une crise sanitaire qui a une source environnementale — le trafic d’animaux sauvages — , aggravée par la mondialisation — comme le montrent les pénuries de médicaments — et qui touche plus gravement les ménages les plus précaires et les plus pauvres — revenus précaires, mal-logés, etc. On ne pourra pas faire un reset du vieux monde après cette crise, qui a mis en lumière les vulnérabilités de notre société. »

Des coalitions entre citoyen.ne.s et politiques

Les citoyen.ne.s, en s’adressant au gouvernement, peuvent le mettre sur la voie d’une sortie de crise plus écologique est donc plus résiliente. Il faut parfois recourir à la justice, tel que l’a fait le syndicat guadeloupéen UGTG en saisissant le Tribunal de Basse-Terre afin de contraindre l’ARS et le CHU de Point-à-Pitre à « commander des tests de dépistage du Covid-19 et des doses nécessaires à son traitement par l’hydroxychloroquine et l’azithromycine en quantités suffisantes pour répondre aux besoins de la population ». Néanmoins, cette solution ne fonctionne pas toujours puisque le tribunal de Fort-de-France, quant à lui, n’a pas retenu les demandes des associations l’ayant saisi. Il s’agit alors de trouver des accords entre le gouvernement et les citoyens.

Des accords à l’initiative du gouvernement : la Convention citoyenne pour le climat

Source : https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/la-convention-citoyenne-pour-le-climat-entre-dans-le-vif-du-sujet-1143020

Se concertant depuis six mois, la Convention citoyenne pour le climat s’est adaptée aux circonstances actuelles pour proposer vendredi 10 Avril cinquante mesures pour une sortie de crise plus écologiquement responsable. Elles n’ont pas encore été publiées car elles ne sont ni finalisées ni votées mais Les Echos en ont dévoilé quelques-unes. Elles sont pour le moment encore très timides et on ne sait pas dans quelle mesure elles seront vraiment appliquées malheureusement, notamment la mesure référendaire pour des ateliers constituants. Elles s’articulent en quatre grands points :

  1. Une épargne réorientée vers des investissements verts : « L’innovation doit s’inscrire dans la logique de sortie d’un modèle basé sur le carbone » d’ici 2020. De plus, localement, les citoyen.ne.s devront participer à la production d’énergie verte. Pour mettre en œuvre ces mesures, la Caisse des Dépôts et Consignations devra réglementer l’épargne vers les investissements verts et la relocalisation, intégrer à sa gouvernance des acteurs de la société civile, et mettre en place un prélèvement annuel à hauteur de 40% sur les dividendes d’entreprises supérieurs à 10 Millions d’euros.
  2. La rénovation énergétique globale des bâtiments (toit, isolation, fenêtre, chauffage et VMC) rendue obligatoire d’ici à 2040, ce qui demande de multiplier le rythme des travaux par trois mais permettra de diviser par deux les émissions de GES issus du secteur résidentiel et tertiaire (représentant 16% des émissions nationales) ; ainsi que la lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols en levant l’interdiction d’immeubles collectifs dans des zones pavillonnaires et en sensibilisant à l’intérêt de villes compactes
  3. Le développement massif des alternatives à la voiture que sont le vélo, les barges et le train en réduisant la TVA et en modernisant les infrastructures afin notamment de doubler le fret ferroviaire et fluvial
  4. Une consommation plus sobre : réduire les incitations à la consommation en réduisant les publicités pour les produits très polluants, questionner la sobriété numérique et la 5G (« le passage de la 4G vers la 5G générerait plus de 30 % de consommation d’énergie carbonée en plus, sans réelle utilité (pas de plus-value pour notre bien-être) »), mettre en avant “l’enseignement de la réflexion critique”, avoir un objectif de 40% des terres agroécologiques en 2040, renégocier l’accord entre l’UE et le Canada (CETA) et réformer la politique commerciale européenne et mondiale.

Des projets portés par les parlementaires : “Le jour d’après”

“Le jour d’après” est une plateforme de contributions citoyennes lancée par des parlementaires le 4 Avril 2020. Elle cherche à recueillir des idées de citoyens et d’associations pendant un mois pour permettre une sortie de crise plus écologique. Mais au vu des participant·e·s (notamment des député·e·s LREM ayant fait allégeance à la politique ultra-libérale gouvernementale), on doute que ce soit une initiative intéressante à suivre, sinon une énième mise en avant de personnes qui devraient déjà avoir des pouvoirs qu’elles n’activent pas par intérêt purement personnel et alliances politiciennes classistes.

La bataille n’est en effet pas gagnée au sein même du parlement puisque le 22 Mars l’amendement sur la loi d’urgence sanitaire en faveur d’un “grand plan de relance et de transformation de notre société en faveur du climat, de la biodiversité et de la justice sociale” a été rejetée. Mais devait-on en attendre autre chose ?

80% des Français ont beau déclarer ne plus rien attendre des politiques, ils n’en sont pas moins de 80% à faire confiance à l’Etat et à ses institutions. […] L’échec apparent des institutions est, bien souvent, leur fonction réelle. [Comme l’avènement de la “justice” que démontre Elsa Dorlin dans Se défendre]. Maintenant, Comité Invisible

Il y a deux siècles, en 1789, l’Abbé Siéyes, député du tiers état déclarait :

Les citoyens qui nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés la France ne serait plus un État représentatif, ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants.

Ainsi, pour assurer une sorte de crise résiliente, c’est-à-dire qui fait de l’environnement une priorité et du changement climatique une urgence, il faut que les individus reprennent leur propre pouvoir politique. Cela peut passer par des mouvements de désobéissance civile, de révoltes, de résistances, ou, pour le moment et avec les restrictions qui s’imposent, par la reliance et des systèmes d’entraide, tels qu’ils sont répertoriés par Covid-entraide.

Sources

  1. https://reporterre.net/Crise-sanitaire-les-propositions-se-multiplient-pour-penser-un-apres-plus-ecologique
  2. https://reporterre.net/SPECIAL-OUTREMER-Rendues-vulnerables-par-un-systeme-de-sante-degrade-les-Outremer-se?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdo
  3. https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/apres-crise-ce-que-propose-la-convention-citoyenne-pour-le-climat-1194342
  4. https://reporterre.net/Resistance-climatique-c-est-le-moment
  5. https://www.youtube.com/watch?v=CXA2BA9in30
  6. https://www.youtube.com/watch?v=mr9IEab49eY

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