Peut-on vraiment se passer de frigo ? Rencontre avec Marie Cochard

Autrice des livres Les épluchures, tout ce que nous pouvons en faire et Notre aventure sans frigo, Marie Cochard est devenue experte en anti-gaspillage alimentaire. Férue de cultures du monde, d’astuces de conservation anciennes, son répertoire de bonnes pratiques écologiques et économiques intéresse de plus en plus de personnes.

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6 min readNov 9, 2018

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© Olivier Cochard, Notre aventure sans frigo, Éditions Eyrolles

Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Je m’appelle Marie Cochard, je suis éco-journaliste, ou slow journaliste, car j’aime prendre le temps pour réaliser mes portraits. J’ai un blog qui s’appelle La Cabane anti-gaspi, j’ai écrit deux ouvrages Les épluchures, tout ce que vous pouvez en faire, et Notre aventure sans frigo. Nous avons également sorti à l’équinoxe d’automne avec mon conjoint un magazine, DruideDéesse, qui invite les hommes comme les femmes à se reconnecter à la nature et à leur nature profonde, aux saisons et aux éléments, à travers des recettes, des remèdes et des rituels.

© Olivier Cochard, Notre aventure sans frigo, Éditions Eyrolles

À partir de quand vous êtes-vous intéressée au gaspillage alimentaire ?

À partir du moment où j’ai eu un enfant. Cet enfant va avoir huit ans : ça fait donc huit ans que notre famille est la plus locavore possible !

Que signifie être locavore ?

Cela signifie consommer le plus à proximité possible, dans un rayon de 200 km. Si c’est dans l’hexagone, ce n’est déjà pas mal ! Nous avons aussi un potager, cinq poules, des agrumes, un pied de vigne…

Quelles sont les raisons qui vous ont motivée à vous lancer dans cette aventure sans frigo ?

Tout d’abord, le locavorime. Quand on est locavore, l’alimentation se compose principalement de fruits et de légumes frais et des produits secs qui se conservent dans des bocaux.

Quand ils nous arrivent d’acheter de la viande ou du poisson, nous privilégions les producteurs bio et locaux. Puisque nous les consommons le jour même, ils n’ont pas besoin d’être conservé. Dans le frigo, il ne reste finalement que la confiture que j’aurais pu mettre hors du frigo, des graines de kéfir, un pot de moutarde… donc trois fois rien.

En définitive, c’est notre mode de consommation qui a impacté notre mode de conservation !

Avez-vous ressenti des bienfaits ?

J’y trouve du plaisir ! Tant dans le fait d’expérimenter, car je trouve cela très ludique, que dans le fait de créer. Me passer de frigo m’a permis de ressentir, voir, goûter à nouveau… Tout ce que je consomme est brut (œufs, céréales, légumes, oléagineux, etc.), donc sans date limite de consommation. Ce qui détermine si un produit est bon ou non, ce sont mes sens.

Des difficultés ?

Ce qui est long, c’est le repérage. Il faut identifier autour de chez-soi : les lieux où l’on peut faire de la cueillette, les marchés, les producteurs de variétés anciennes, etc.

Ce temps, aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, pensez-vous que nous l’avons ?

Nous passons cinq heures par jour sur les écrans en dehors de nos temps de travail. Cinq heures de télé, de portable, d’ordinateur, tout inclus…

Prendre le temps le week-end d’aller à la cueillette en famille ou de préparer un dîner tous ensemble sont des instants de partage. Ce n’est pas du temps perdu ! Pour moi, c’est un temps d’éducation et de sensibilisation du palais de mes enfants et à la fois un temps de méditation. Quand je me lance, j’ai l’impression de rentrer dans un flow. Le tout, c’est qu’il faut s’y mettre, le démarrage est parfois dur, mais une fois le pas fait, ce n’est que du plaisir !

Ces moments peuvent être partagés entre amis également. Au Québec, cela se nomme « les corvées de cuisine ». Un groupe d’amis se rassemble pour réaliser des pots de ketchup maison, de la moutarde, ou encore des légumes fermentés.

Le temps, nous l’avons donc. Les journées ont la même durée qu’à l’époque de nos grands-parents, qui jusqu’à la tombée de la nuit, passaient du temps avec les enfants.

© Olivier Cochard, Notre aventure sans frigo, Éditions Eyrolles

De quels autres changements s’accompagne le fait de ne plus posséder de frigo ?

Je me sers beaucoup des bocaux en verre pour entreposer et pour conserver. Je n’ai pas investi dans grand-chose, à part un garde-manger : je trouve cela mieux pour conserver les fruits et les légumes et éviter ainsi la présence de petits moucherons.

Pour ceux et celles qui ne sont pas encore prêt·e·s à se défaire de leur frigo, avez des conseils pour réduire la consommation d’électricité liée à son utilisation ?

L’idée n’est pas d’abandonner son frigo, mais peut-être de revoir par exemple le gabarit. Car, qui dit frigo, dit envie de le remplir. Quand on le remplit trop, on finit par gâcher (en moyenne 45 %) de ce que l’on achète. Les boîtes de crèmes fraîches qui finissent au fond des étalages pendant plusieurs semaines ou le sachet de gruyère râpés dont on jette les 3/4, par exemple.

Ensuite, il faut se poser les bonnes questions : qu’est-ce qu’on est censé mettre dans le frigo et qu’est-ce qu’on est censé ne pas mettre ?

Nous nous servons de notre frigo comme d’un placard. Nous y mettons du café alors qu’il absorbe toutes les odeurs, du fromage qui au contraire donne son odeur à tous les autres aliments, les œufs, qui au contact du froid, deviennent poreux, et les légumes, qui perdent en saveur ! Le frigo devient utile quand il y a des aliments transformés.

Aujourd’hui, nous assistons à l’éveil des consciences, les citoyen·ne·s s’alimentent mieux, privilégient les aliments secs non-emballés. Les besoins de conservation ne sont plus les mêmes.

© Olivier Cochard, Notre aventure sans frigo, Éditions Eyrolles

Sur votre blog, La Cabane anti-gaspi, nous apprenons que les carottes se conservent plus longtemps dans du sable, que les bouchons de liège allongent la vie des pommes… Avez-vous une autre astuce à nous partager ?

Le séchage du kaki. Séchés, ils ont une saveur incroyable. En France, nous les laissons malheureusement pourrir sur les arbres. En Asie, ils les font sécher en automne pour les déguster à la nouvelle année. Il suffit d’enlever la peau, de les attacher par le pédicule au-dessus d’un radiateur. Au bout d’un mois, ils sont rabougris, cela signifie qu’on peut les découper en lamelles. En Corée, ils sont consommés dans du thé, dans du vinaigre, et même brut ! C’est un dessert exquis.

Le sociologue Hartmut Rosa parle de « l’accélération du temps » : les Français grattent de plus en plus chaque année sur leur temps de sommeil et le temps consacré au repas. Comment faites-vous pour résister à cette tendance ? Et que pensez-vous de cet émiettement progressif sur le temps passer à table ?

On a voulu nous faire croire que cuisiner c’était perdre du temps, alors que c’est le sel de la vie ! Faire un repas pour ces proches c’est prendre soin de soi : c’est essentiel. Notre corps et notre cerveau sont nos outils de travail. Si on mange à la va-vite, que l’on ne respecte pas notre rythme, rien ne fonctionne. De même, prendre soin de soi et des autres, c’est prendre soin de la planète par ricochet !

On en oublie les bienfaits associés : les enfants tombent moins malades, on est plus efficace dans notre travail… Aujourd’hui c’est l’inverse, le travail est

est prioritaire sur tout, et l’estomac est la dernière roue du carrosse. Ce n’est pas du tout logique.

Propos recueillis par Léa Dang pour edeni

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