Pourquoi ne doit-on pas compter sur les nouvelles technologies pour sauver la planète ?

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9 min readOct 1, 2019

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Voitures électriques dernier cri, panneaux solaires extra-fins, éoliennes installées toujours plus au large des côtes, les inventions ultramodernes se bousculent pour révolutionner la transition écologique. Si elles peuvent être, dans une certaine mesure, source d’innovation et d’espoir, leur efficacité est souvent bien loin de ce qu’elle peut paraître au premier abord, jusqu’au point où elles en deviennent néfastes et desservent l’objectif qu’elles poursuivaient initialement.

Entre impact direct sur l’environnement et illusion nocive à notre propre passage à l’action, les nouvelles technologies ne sont peut-être pas le meilleur parti à prendre pour sauver notre planète.

Pourtant, pour une grande partie de la population mondiale et particulièrement des dirigeants, les nouvelles technologies sont celles sur lesquelles repose l’éradication de la menace climatique : c’est à grand coups d’investissement dans les énergies vertes et de développement des véhicules électriques que nous réussiront enfin à faire disparaître le plus grand fléau du XXIe siècle. Cependant, si vous n’avez pas déjà ressenti l’immense incohérence, ou au moins insuffisance, de ce genre de raccourcis, nous sommes là pour vous exposer quelques problèmes très pragmatiques qui s’opposent frontalement à cette vision.

L’irrémédiable incertitude des nouvelles technologies

Plusieurs difficultés émergent lorsque l’on se confronte à la version des faits selon laquelle les nouvelles technologies viendraient sauver l’espèce humaine de l’impasse à laquelle elle fait face. En effet, même si ces théories pourraient sembler viables, dans un monde où l’urgence n’est pas celle que nous devons affronter aujourd’hui, l’une des premières réalités à prendre en compte dans l’état actuel des choses est que ces nouvelles technologies révolutionnaires ne seront certainement pas prêtes à nous délivrer dans un avenir suffisamment immédiat.

Ainsi, si de nombreux tests et expériences sont menés par des scientifiques partout dans le monde, les résultats, aussi positifs peuvent-ils être, ne sont pas suffisamment fiables pour être exportés à une échelle plus globale. Prenons pour exemple la très à la mode géo-ingénierie : l’une des solutions offertes par les études menées actuellement est d’extraire les particules de dioxyde de carbone de l’atmosphère. Pour ce faire, une solution phare : la confrontation de l’air à de l’hydroxyde de potassium, qui permet, à l’issu de plusieurs réactions avec le CO2, la formation de calcaire. Relativement simple et peu énergivore, cette solution peut sembler viable sur le principe, mais difficilement exportable à grande échelle. En effet, si le calcaire peut être utilisé dans la construction ou l’agriculture en quantités modestes, l’on parle ici de plusieurs milliards de particules de CO2 transformées ! Que faire de tout ce calcaire ? Bien sûr, un autre procédé peut faire suite à celui-ci pour retransformer cette matière en CO2 pur, ce qui, théoriquement, règlerait le problème du calcaire. Toutefois, deux problèmes : tout d’abord, que faire du CO2 obtenu et où le stocker ? et ensuite, ce second processus nécessite de chauffer la matière à 900°C, ce qui représente une très importante utilisation d’énergie, et donc des émissions de dioxyde.

Autre problème majeur de certaines nouvelles technologies et inventions “dépolluantes” : le manque de connaissances. Certaines solutions existent, certes, mais les mener à bien exige parfois un niveau de savoir qui n’est pas encore en notre possession à l’heure actuelle et exigera plusieurs dizaines d’années avant d’être testé et perfectionné. Dizaines d’années que nous n’avons pas le luxe de pouvoir passer inactif·ve·s.

Pour exemple, le projet bien connu d’installation de panneaux solaires dans le désert du Sahara. Rapidement devenue virale, cette image présentant la superficie nécessaire à la production de suffisamment d’électricité pour subvenir aux besoins énergétiques de toutes la population mondiale est en fait plus compliquée qu’il n’y paraît. En effet, recouvrir une infime partie du Sahara d’un système de miroirs et lentilles permettant de concentrer l’énergie en un point, permettrait de créer suffisamment d’énergie pour alimenter l’ensemble de la population mondiale en électricité. Cependant, si cette perspective peut sembler réjouissante (bien qu’elle soulève plusieurs problèmes que nous évoquerons par la suite), l’étape suivante, c’est-à-dire pouvoir effectivement transporter l’énergie récoltée dans les pays acheteurs, est bien plus épineuse. Ce problème de rendement et de possibilité technique même du transport de l’électricité, a été l’un des motifs de l’échec du projet Desertec en 2014, et continue de ralentir la possibilité d’une telle installation dans le désert du Sahara.

Dernier problème plus général concernant l’incertitude provoquée par les nouvelles technologies : nous n’avons aucune idée des conséquences de ces inventions créées pour manipuler la nature. En effet, dans le cas de la géo-ingénierie, qui semble être de plus en plus indispensable aux yeux des dirigeants dans la perspective du respect des Accords de Paris, les conséquences de cette manipulation volontaire du climat sont très incertaines, voire totalement hasardeuses. Ainsi, pour seconde méthode fétiche des spécialistes du sujet, la création d’un “parasol spatial” : soit via la dispersion dans l’atmosphère de micro-particules reflétant la lumière du soleil, soit via le déploiement d’un “bouclier solaire” aux abords de la Terre, dans le même objectif. Plusieurs questions primordiales et pourtant sans réponses demeurent : le résultat sera-t-il réellement au rendez-vous à une échelle aussi importante que celle d’une planète ? Quel impact réel auront ces particules sur les êtres peuplant la Terre, et sera-t-il réversible ? Quelle est vraiment l’intention derrière le déploiement de ces techniques ? Il semble évident que de nombreuses clés restent manquantes pour assurer la viabilité d’une entreprise aussi majeure et périlleuse.

Le coût réel des nouvelles technologies

S’il semble assez évident que les coûts, au sens strict, de la mise en place de telles technologies seront extrêmement élevés, ils sont loins d’être les seuls à prendre en compte, ni même les plus importants.

En effet, le développement de nombreuses techniques et technologies dites “green” a surtout un coût en termes de ressources, et bien souvent de ressources rares. Ainsi, l’immense majorité des technologies utilisées ou développées aujourd’hui sont composées de “terres rares”, un groupe de métaux dont les quantités sont très limitées, et surtout dont la production exige une surexploitation des ressources terrestres et des conséquences terribles sur l’environnement. Du dernier Macbook jusqu’aux panneaux photovoltaïques, toutes les technologies y passent, et cela n’est pas sans danger. En effet, s’il est de coutume d’encenser les bénéfices des véhicules électriques et les heureux utilisateurs de panneaux solaires, il ne faut jamais oublier que leur production a un coût humain et environnemental qu’on ne peut plus négliger. Fermer les yeux sur cette question, c’est ignorer le fait que les technologies ne font que déplacer le problème.

Ainsi, plus de deux tiers des panneaux solaires importés par les Américains en 2016 provenaient d’Asie, et ceci n’est pas sans conséquences. Continuer à croire en les nouvelles technologies comme les sauveuses de notre temps, c’est continuer à produire des objets qui auront fait cinq fois le tour de la Terre avant d’arriver sur leur lieu final, et auront détruit la biodiversité de chaque endroit qu’ils auront fréquenté. Les terres rares utilisées dans ces produits ravagent la biodiversité de pays qui récoltent les conséquences des actions écran menés par les Etats occidentaux. Chaque iPhone par lequel nous retwittons les discours de Greta Thunberg, chaque ordinateur via lequel nous lisons un article sur l’effondrement, contribue un peu plus au désastre écologique que nous connaissons. Il suffit de prendre pour exemple le lac Baotou, en Mongolie, pour comprendre l’ampleur de l’impact des technologies sur l’environnement.

Ce lac, si l’on peut vraiment lui attribuer ce nom, est le résultat des rejets provoqués par des décennies de production et de traitement des terres rares. Situé à seulement une vingtaine de minutes des habitations les plus proches, il offre un paysage complètement déserté et témoigne de l’impact néfastes des nouvelles technologies “green”, à des kilomètres de là où sont censés se faire ressentir leurs bénéfices.

Un autre problème qu’elles engendrent, la potentialité d’un colonialisme énergétique. En effet, en reprenant l’exemple précédent du projet d’installation de panneaux solaires au Sahara, en plus de la question de la possibilité technique d’une telle entreprise, se pose celle de la légitimité de celle-ci. Le Sahara, s’il est globalement une zone désertique, abrite des habitants dont il est le foyer et le lieux de travail : de quel droit pourrait-on s’approprier cet endroit pour en faire la source d’une énergie peu chère à destination des pays occidentaux ? et quand bien même, qui serait exactement ce “on” capable de et légitime à s’accaparer une zone potentiellement habitée pour la transformer en parc énergétique ?

Les questions ne cessent de s’accumuler, tout comme les coûts des nouvelles technologies censées sauver notre planète.

Attentisme et dédouanement : l’illusion des nouvelles technologies

Somme toute, si les technologies ont un impact fortement néfaste sur l’environnement, elles ne sont en réalité pas la racine du problème, mais ce par quoi nous nous la dissimulons à nous-mêmes (ce qui n’est pas forcément mieux !).

En effet, avant tout autre chose, le préjudice des nouvelles technologies est qu’elles nous donnent une excuse pour attendre confortablement, et sans remettre en cause nos habitudes, que le fléau climatique se règle de lui-même. C’est parce que nous croyons aux nouvelles technologies et aux avancées de la science que nous pouvons continuer à nous rendre chaque jour au travail en voiture, la conscience tranquille, parce qu’après tout, “une électrique c’est quand même déjà mieux qu’un diesel”. Il est vrai que, d’une certaine façon (et non pas unanimement et sans contradiction), les nouvelles technologies peuvent apporter une forme d’amélioration, mais à ce stade de l’urgence, avons-nous encore le luxe de rechercher le “moins pire” ? Avons-nous réellement le temps et les ressources de chercher des solutions “déjà mieux” que celles que nous avons actuellement, seulement pour faire écran au fait que ce qu’il faut rechercher, c’est un changement profond de nos habitudes ?

Le seul fait que nous pensions à envoyer dans l’espace un parasol pour abriter la Terre des rayons du soleil au lieu d’agir de nous-mêmes pour contenir l’augmentation de la température est une indignation, et devrait à tou·te·s nous mettre la puce à l’oreille : rien ne changera jamais si nous ne nous donnons pas les moyens de le changer. Si l’homme est un être d’adaptation, il devrait pouvoir penser une nouvelle façon de vivre qui n’implique pas la destruction de son habitat.

Ce que la réflexion sur les nouvelles technologies nous enseigne, c’est qu’il n’est pas fou de croire qu’elles pourront changer la donne, mais de penser que nous pouvons compter sur la possibilité lointaine et improbable qu’elles pourront la changer à elles seules. L’unique solution certaine pour maintenir la température de la Terre à un degré acceptable, c’est de renoncer, individuellement et collectivement, à cette logique de surproduction et de surconsommation, en pensant pour tous un modèle qui soit en accord avec l’urgence de la situation qui nous fait face.

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