En route vers la création du kamishibaï plurilingue : partager nos contes, parler nos langues

Efi Kalamakidou — Dans le cadre d’un accès égalitaire à une éducation inclusive de qualité, l’Union Européenne et le Conseil d’Europe considèrent primordial de gérer le répertoire linguistique de façon efficace, équitable et socialement juste pour tous les membres. C’est dans cette optique que la présente contribution vise à mettre en lumière une expérience menée pendant les cours de littérature auprès d’un public de collégiens (13–14 ans) et appuyée sur la production d’un kamishibaï plurilingue intitulé «Voyage au pays des rêves» pendant les cours de littérature

Edilettre Association
Edilettre
6 min readApr 25, 2023

--

Recommandation du Conseil de l’Europe du 22 mai 2019 relative à une approche globale de l’enseignement et de l’apprentissage des langues

Enjeux pédagogiques

J’ai mis en œuvre le projet du kamishibaï avec des élèves de deuxième et de troisième classe qui fréquentaient un collège de la région ouest de l’agglomération de Thessalonique, en Grèce. Cette zone est caractérisée par un pourcentage plus élevé de familles issues de migration et/ou réfugiées et de familles roms, par rapport au reste du tissu urbain de la ville. Concrètement, dans la classe avec laquelle nous avons créé le kamishibaï, il y avait 26 élèves, dont 6 étaient originaires d’autres pays, en l’occurrence : l’Albanie, l’Arménie, la Bulgarie, la Russie et l’Ukraine.

D’abord, j’ai considéré important d’expliciter la notion et les niveaux de production du kamishibaï plurilingue afin de les rendre plus concrets et clairs pour les élèves tout en familiarisant ceux-ci avec ce support créatif. Pour aider les apprenants à se lancer, j’ai consulté le matériel de formation pertinent issu de Dulala, de l’équipe Pluralités et des sources digitales.

Dans notre cas, le document déclencheur a été le conte «Le plus doux pain», inclus dans le manuel de littérature de la première classe du collège afin de repérer et de faire allusion aux traits principaux du conte : la situation initiale, l’élément perturbateur qui la modifie, les péripéties qui font progresser l’action, les épreuves que le/s héros doit/doivent traverser, l’élément de résolution et la situation finale.

Tous les élèves se sont mis d’accord pour créer en équipe un conte en se basant sur ces caractéristiques et en s’inspirant des contes de leurs propres pays d’origine. En utilisant les étapes ci-dessus comme point de départ, les élèves ont fait une ébauche de leur conte, définissant en termes généraux les personnages, le problème, les épreuves que le héros devrait surpasser et la solution de l’histoire. Ensuite, les parents et parfois même les grands-parents ont été impliqués. Ils sont devenu.e.s des facilitateurs.trices dans cette enquête, puisque les élèves étaient chargé.e.s de collecter des contes de leur pays d’origine.

Ils/elles se sont adressé.e.s à eux/elles pour puiser le matériel nécessaire, l’éditer et l’adapter à leur propre conte. Pour ce faire, ils/elles ont repéré des contes et des éléments du patrimoine culturel matériel et immatériel des pays suivants, qui constituent les pays d’origine des élèves impliqués : d’Albanie (Figure 1), d’Arménie, de Bulgarie, de Grèce, de Russie (Figure 2) et d’Ukraine.

Soulignons la réaction des élèves lors de leur «enquête sur les contes» et de la création du kamishibaï plurilingue. D’abord, ils/elles ont exprimé leur curiosité ainsi que la satisfaction de leur famille et leur intérêt personnel à participer à une telle production, faisant preuve, dès le début, d’une attitude positive en coopérant les uns avec les autres.

Extrait 1

«Ma grand-mère était très contente que je lui demande de me raconter à nouveau les contes qu’elle me racontait quand j’étais petit» a avoué Cyrille.

Extrait 2

«Ma mère veut en savoir plus sur le kamishibaï. Elle a aimé le fait que nous allons utiliser des mots russes et elle va m’aider à les écrire et à les prononcer. » a commenté Christina

Extrait 3

«Je n’avais pas réalisé jusqu’à présent que mes camarades de classe parlent autant de langues, c’est génial! » s’est exclamée Georgia.

Εn outre, tous/toutes les élèves ont travaillé en équipe, ils/elles ont endossé des rôles spécifiques (dessinateur, narrateur, chanteuse, musicien, monteur, informaticien, etc.), ont fait preuve de créativité et ont partagé leurs parcours linguistiques et culturels avec leurs camarades de classe. Ils/elles ont fait des recherches sur les monuments et des personnages importants (Figure 3) de chaque pays afin de les inclure dans leur histoire et de les dessiner, ont utilisé l’alphabet spécifique de chaque langue (Figure 4) et ont répété entre eux pour s’entraîner à la prononciation des langues peu connues ou inconnues.

Ce qui est également majeur ici est que toutes les langues avaient la même légitimité, elles étaient exploitées de la même manière, sans faire de distinction entre des langues de prestige et des langues moins importantes. À ce sujet, Stevanato (2019) note que :

L’enjeu est alors de valoriser les langues natales, mais aussi les langues apprises, rencontrées au quotidien ou au cours de voyages ce qui permet de mettre en valeur chaque enfant, monolingue ou plurilingue (p.32).

Retombées de la création

C’est ainsi que la création de notre kamishibaï a ouvert une réflexion sur la composition du répertoire plurilingue, sur les compétences déclarées par les sujets qui forment une microsociété au sein de l’école, notamment les compétences partielles et leur transformation en compétences d’équipe et de collaboration. Les perceptions de «je» ont évolué vers «nous» créant une identité collective et un sentiment d’appartenance à un groupe.

En outre, la création du kamishibaï a donné l’occasion à des élèves «absents» de parler de leurs expériences et connaissances culturelles ainsi que linguistiques, faisant par là une impression positive sur les autres. À ce propos, Tsokalidou (2012) remarque que le bilinguisme des élèves est souvent «invisible». Plus précisément, ils/elles ont mis en lumière d’autres de leurs compétences qui étaient auparavant inconnues, ce qui a contribué au renforcement de l’estime de soi. Ainsi, deux élèves ont proposé de trouver et de chanter une chanson pour enfants qu’elles avaient l’habitude de chanter lorsqu’elles étaient jeunes, respectivement en russe et en ukrainien. Ce fut la révélation de la classe, car jusqu’à présent elles avaient honte et elles ne voulaient même pas participer à la chorale de l’école. Avec un camarade qui jouait de l’accordéon, ils ont répété et enregistré la chanson que nous avons incluse sous sa forme numérique.

Affiche du concours

La participation au concours organisé par l’association Dulala a constitué un autre défi pour la préparation de notre kamishibaï. L’annonce des résultats a été une grande surprise car notre travail a été parmi les meilleurs et les élèves ont été invités à le présenter en direct lors de l’événement spécial organisé par l’équipe de recherche Pluralités, reconnue en Grèce. Ils/elles ont répété avec le musicien les 2 chansons qu’ils/elles allaient chanter (chorale et instruments de musique), ont partagé les textes qu’ils allaient lire et ont même fabriqué un butaï. Toute cette préparation pour la diffusion, a créé une très belle atmosphère de coopération et d’unité. La dissémination finale avec la mise en scène devant un auditoire a rendu les élèves ainsi que leurs parents très fiers de leur création et conscients de cette précieuse mosaïque existante en classe scolaire.

De plus, à travers la trame de l’histoire, les élèves ont voulu transmettre un message humanitaire, à savoir l’acceptation des personnes handicapées par les autres (Figure 5). Ils/elles ont ainsi clôturé la présentation en chantant tous ensemble « Imagine » de J. Lennon. Il résulte alors que le kamishibaï ne se limite pas à la valorisation et à la conscientisation du répertoire linguistique et culturel ; il peut être également un dispositif créatif et ludique qui promeut d’autres valeurs importantes pour notre société, des piliers des droits de l’homme tel que: le respect, l’acceptation, la solidarité, l’égalité des chances.

Efi Kalamakidou
Thessalonique, Grèce
Edilettre, N°1, 2023

Bibliographie

Candelier, M. (2007). Éveil aux langues, formation plurilingue et enseignement du français. Synergie Monde, 1, pp.67–76.

Conseil de l’Europe (2019). Recommandation du Conseil de l’Europe du 22 mai 2019 relative à une approche globale de l’enseignement et de l’apprentissage des langues,https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019H0605(02)

Stevanato, A. (2019). Le concours Kamishibaï plurilingue: un projet d’inclusion sociale par l’ouverture aux langues, Revue La rOnde n°1, La Petite Bibliothèque Ronde.

Tsokalidou, R. (2012). Horos gia dio. Themata diglosias kai ekpedefsis. [Espace pour deux. Questions de Bilinguisme et d’Éducation]. Thessalonique. Zygos.

--

--