Le kamishibaï plurilingue à saveur mathématique

Catherine Maynard, Marie-Paule Lory, Lucie St-Hilaire & Marylène Gauthier — Au Canada, et plus particulièrement au Québec, les écoles francophones accueillent un nombre important d’élèves bi/plurilingues issus de l’immigration. À l’école Ste-Colette, située dans un quartier défavorisé et pluriethnique de la métropole montréalaise, la création de kamishibaïs plurilingues occupe une place de choix depuis maintenant 5 ans. Dans ce texte, nous retraçons la manière dont une équipe d’enseignantes de cette école s’est approprié ce projet et l’a transformé pour l’adapter aux enjeux pédagogiques prioritaires de l’école.

Edilettre Association
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6 min readApr 19, 2023

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Les kamishibaïs plurilingues à l’école Ste-Colette et la transformation du projet pour mieux répondre aux enjeux prioritaires de l’école

Après deux années de participation au concours international Kamishibaï plurilingue organisé par l’association française DULALA (Pedley et Stevanato, 2018), les enseignantes de l’école Ste-Colette impliquées dans ce projet ont manifesté leur volonté d’avoir plus de liberté dans le processus de création et plus de flexibilité dans l’échéancier à respecter. C’est avec l’idée d’exploiter différemment les kamishibaïs plurilingues pour mieux répondre à leurs besoins qu’elles ont alors pris part à une recherche-action participative critique (Kemmins, McTaggart et Nixon, 2014) d’une durée de deux ans. Cette recherche avait pour objectif de concevoir une version rénovée du projet «kamishibaï plurilingue» et d’en documenter l’expérimentation. Trois enseignantes-collaboratrices, dont deux cosignent ce texte, se sont engagées dès le départ dans la recherche et ont agi à titre de porteuses du projet aux côtés de 6 enseignantes de classe ordinaire et de classe d’accueil du 3e cycle (élèves de 10 à 12 ans). Des entretiens individuels ont été réalisés avec chacune des enseignantes à deux reprises, à la fin de chacune des années d’expérimentation, et les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse thématique, entre autres pour décrire l’adaptation des pratiques d’enseignement adoptées.

La proposition d’une solution créative: le kamishibaï plurilingue à saveur mathématique

Pour s’assurer de l’appui de la direction de l’école, une préoccupation importante des trois enseignantes-collaboratrices était d’imaginer une manière de conserver l’utilisation de kamishibaïs plurilingues en classe tout en répondant à deux enjeux prioritaires de l’école, soit le développement du raisonnement mathématique des élèves et celui de leurs compétences en littératie en français, et ce, en misant également sur les différentes langues de leur répertoire linguistique. Au terme de plusieurs rencontres avec l’équipe de recherche, la proposition d’une solution créative prenant en compte ces différents éléments a ainsi émergé : le kamishibaï plurilingue à saveur mathématique.

Qu’est-ce qu’un kamishibaï plurilingue à saveur mathématique?

Un kamishibaï plurilingue à saveur mathématique présente une trame narrative impliquant la résolution d’un problème mathématique, tout en incluant plusieurs langues, dont le français.

Concrètement, dans ce type de kamishibaï, à travers les péripéties vécues par les personnages, différents éléments mathématiques du quotidien émergent afin de résoudre le problème central de l’histoire. Ces éléments peuvent être explicitement mentionnés dans le texte ou être dissimulés dans les illustrations.

Par exemple, pour travailler la numération, et plus précisément les opérations avec des nombres décimaux, le kamishibaï peut raconter l’organisation d’une fête selon un budget précis, comme cette planche d’un kamishibaï plurilingue à saveur mathématique le présente.

Kamishibaï produit par des élèves de classe d’accueil (2021)

La conception du kamishibaï plurilingue à saveur mathématique

À l’an 1 de la recherche-action, l’équipe de recherche a travaillé de près avec les trois enseignantes-collaboratrices mentionnées précédemment afin de concevoir les paramètres de création d’un kamishibaï plurilingue à saveur mathématique et un guide pédagogique pour sa mise en œuvre. Dans la suite de ce texte, nous présentons le résultat final des adaptations apportées au projet au cours de la recherche-action, après deux années d’expérimentation. Nous montrons ainsi comment ce projet, initié par la participation au concours international Kamishibaï plurilingue organisé par DULALA, s’est transformé avec le soutien d’une équipe de recherche. Deux améliorations principales ont été apportées : 1) le passage d’un travail en groupe-classe à un travail en petites équipes d’élèves pour soutenir leur implication active dans le processus de création ; et 2) une meilleure intégration du projet dans la planification annuelle des enseignantes afin d’avoir le temps de développer chez les élèves les prérequis nécessaires à la création des kamishibaïs plurilingues à saveur mathématique.

Comment mettre en œuvre ce projet en classe ?

La liste suivante résume la démarche à suivre « gagnante » proposée par les enseignantes pour soutenir les élèves dans la création de kamishibaïs plurilingues à saveur mathématique.

Les étapes du projet

Quoi ?
Comment ?

Étape 1 : Se familiariser avec l’écriture plurilingue

Faire écrire aux élèves des textes identitaires plurilingues (voir par exemple le projet Des histoires familiales pour apprendre à écrire)

Étape 2: Développer les connaissances antérieures nécessaires au projet

Proposer des activités permettant de travailler la compréhension du schéma narratif.

Proposer des activités faisant prendre conscience aux élèves des éléments d’un problème mathématique et de la manière d’en créer un qui soit réaliste.

Étape 3: Apprivoiser le kamishibaï plurilingue

Lire en classe de nombreux exemples de kamishibaïs professionnels ou créés par des élèves des années précédentes et en discuter

Faire émerger les caractéristiques spécifiques du kamishibaï en le comparant à des outils tels que les livres.

Étape 4: Créer un kamishibaï plurilingue à saveur mathématique

Faire produire plusieurs kamishibaïs par classe en plaçant les élèves en équipe, en imposant ou non les concepts mathématiques devant s’y retrouver.

Soutenir les élèves dans l’intégration des différentes langues dans le kamishibaï.

Les étapes 1 et 2 relèvent du développement des prérequis nécessaires à la création du contenu des kamishibaïs plurilingues à saveur mathématique, alors que l’étape 3 concerne l’appropriation de ce type de médium narratif par les élèves. Enfin, l’étape 4 propose deux stratégies majeures pour faciliter le processus de création, l’autonomie des élèves et la participation de toutes et tous, peu importe leur positionnement habituel dans la classe (ex. au centre ou en périphérie; petits ou grands parleurs).

Conclusion

Le projet présenté prend place dans un environnement scolaire où la présence de la diversité linguistique et culturelle n’est pas un sujet sous tension. La majorité des enseignantes de l’école sont ouvertes aux approches qui valorisent la diversité. De plus, la direction d’école soutient les pratiques pédagogiques équitables et inclusives en reconnaissant explicitement leurs impacts positifs dans la vie de l’école et, surtout, des élèves. Ce contexte privilégié nous permet de constater comment l’agentivité des enseignantes[1] participant au projet a permis une transformation durable et collégiale d’un projet initialement encadré par les règles d’un concours et n’impliquant pas de composante mathématique. Comme le rappelle Cummins (2021), les pratiques des enseignant.e.s contribuent significativement au développement des connaissances en éducation, car elles et ils sont créatrices et créateurs d’un savoir essentiel qui alimente notamment le travail des chercheur.euse.s. Dans le cadre de la présente recherche-action, en adoptant le modèle de la recherche-action participative critique (Kemmins, McTaggart et Nixon, 2014), nous avons pu mettre en lumière comment, grâce à un cycle d’action et d’autoréflexion, les enseignantes ont adapté le projet kamishibaï plurilingue pour qu’il réponde aux enjeux prioritaires rencontrés dans leur école. Elles ont ainsi engendré un changement durable de leurs pratiques, celles-ci répondant aux besoins des élèves tout en devenant encore plus justes et inclusives. Aujourd’hui, le projet kamishibaï plurilingue, en revêtant une saveur mathématique, s’est taillé une place de choix dans la planification annuelle des enseignantes. Nous sommes convaincues qu’il est amené à perdurer dans cette école et qu’au besoin, les enseignantes joueront de leur créativité pour l’adapter aux nouveaux enjeux rencontrés.

Catherine Maynard, Marie-Paule Lory, Lucie St-Hilaire & Marylène Gauthier
Canada
Edilettre, N°1, 2023

[1] L’agentivité des enseignant.e.s est définie comme leur capacité (malgré le contexte et les politiques linguistiques) à agir de façon intentionnelle et constructive dans le but de contribuer à leur croissance professionnelle et à celles de leurs collègues (Priestley, Biesta et Robinson, 2015; Ramanathan et Morgan, 2007)

Bibliographie

Cummins, J. (2021). Rethinking the Education of Multilingual Learners : A Critical Analysis of Theoretical Concepts. (1st ed.). Channel View Publications. https://doi.org/10.21832/9781800413597

Kemmis, S., McTaggart, R., et Nixon, R. (2014). The Action Research Planner: Doing Critical Participatory Action Research. Springer Singapore.

Pedley, M. et Stevanato, A. (2018). Le concours Kamishibaï plurilingue: un outil innovant pour diffuser l’éveil aux langues. Éducation et Sociétés Plurilingues, 45, 43–56

Priestleyp, M., Biesta, G. et Robinson, S. (2015). Teacher agency : an ecological approach (M. (Mark R. . Priestley & S. Robinson, Eds.). Bloomsbury Academic, an imprint of Bloomsbury Publishing, Plc. https://doi.org/10.5040/9781474219426

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