Le kamishibaï un outil pertinent, judicieux et quelque part “universel”

Attila Csillag & Ildiko Lorincz — L’entretien ci-dessous reprend un échange entre un formateur et une collègue du comité d’Edilic, Ildikó Lőrincz. Il revient sur l’usage du kamishibaï avec des élèves Roms. Cette expérience a permis de construire un rapport positif entre des enfants en conflit.

Edilettre Association
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6 min readApr 25, 2023

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Illustration tirée du livre “Comment le ciel est devenu grand ?”

Ildikó Lorincz: Attila, en tant que collègue, j’aimerais bien revenir sur une discussion que nous avions eue sur le khamisibaï. Tu te souviens, tu m’avais raconté que tu utilisais le khamishibaï dans le cadre de tes activités de formateur à l’Université Széchenyi István de Győr mais aussi à l’Université des arts de la danse de Budapest, dans tes cours de techniques dramatiques, de pédagogie du théâtre par exemple en licence de pédagogie sociale, ou encore dans celle d’enseignant de danse. Tu y as fait également recours en travaillant avec des collégiens Roms dans le cadre d’une série d’ateliers de gestion des conflits et de développement de techniques de communication. Est-ce que tu pourrais m’en dire un peu plus ? Comment peut-il être utilisé pour atteindre des objectifs tellement variés dans des contextes si divers ?

Attila Csillag: Oui, c’est un outil très judicieux, qui peut être adapté à divers contextes et que j’ai découvert à l’université de Széchenyi grâce à Viktória Gősi, professeure de la pédagogie et de la didactique à l’école primaire. Les histoires racontées par le kamishibaï peuvent être le point de départ d’excellentes activités d’apprentissage et de développement si elles sont choisies de manière appropriée et si elles sont accompagnées de tâches adéquates. La création et l’usage d’activités liées au kamishibaï disposent désormais d’une théorie et d’une méthodologie reconnues qui contribuent aussi à sa diffusion. Les histoires proposées offrent un large éventail de lectures possibles, car le sens construit varie selon le récepteur. Le travail sur ces histoires développe la réflexion, le contrôle de l’attention, la décentration, l’empathie et la communication entre les participants.

Une formation dans laquelle s’est inséré le kamishibaï

I.L Tu as également mis en œuvre un atelier de kamishibaï dans le cadre de mon cours “Introduction à l’éducation multiculturelle” avec mes étudiants préparant une licence en éducation spécialisée et en éducation sociale. Cet atelier a suivi globalement le scénario de l’atelier que tu as réalisé avec des collégiens Roms. Pourrais-tu nous parler de ce dernier projet ?

A. Cs La formation s’insérait dans un ensemble de mesures prises en réaction à certains problèmes et lacunes identifiés à la suite d’une enquête sociologique effectuée dans le cadre d’un projet de revitalisation urbaine d’un quartier majoritairement habité par des communautés Roms. Outre les lacunes en matière d’hygiène, de logement et de prise de conscience sanitaire, l’étude a également révélé de graves conflits résultant de rivalités intergroupes au sein de la communauté Rom. Ces conflits intergroupes se sont également répercutés dans l’école du quartier : des cliques se sont formées à l’école et les tensions ont abouti à des agressions verbales ou physiques régulières entre elles. Cette mauvaise dynamique entravait les activités éducatives et d’apprentissage.

La direction de l’école a voulu trouver une solution. Elle s’est donc adressée à moi et à une collègue, Krisztina Kóbor, formatrice spécialisée dans la communication et l’analyse des transactions. Nous avons proposé un atelier de 10 séances visant la gestion des conflits et le développement de la coopération et la communication. Réalisé en janvier 2023, soutenu par l’école, cet atelier s’est donné sur les heures d’enseignement mais dans un cadre non formel, c’est-à-dire hors „contenus scolaires”. Les participants étaient des élèves de 5e et 6e année (11–12 ans) qui se sont inscrits volontairement. Il y avait même les „leaders” de chacun des “clans”. Il faut préciser que nous avions déjà un lien de confiance qui s’était tissé à la suite d’un autre projet antérieur visant à renforcer la relation école-famille avec les mères Roms.

I.L Comment as-tu intégré les activités “kamishibaï” dans le programme de formation ?

A.Cs Sur les 10 séances, le kamishibaï a été utilisé durant une séance de 2 heures. Nous l’avons proposé pour mettre les élèves en confiance et pour les impliquer dans le processus.

I.L Quel récit as-tu proposé aux élèves et pourquoi ?

A.Cs C’était un conte amérindien raconté au kamishibaï intitulé “Comment le ciel est devenu grand” (Vidal, 20). Comme manuel méthodologique, entre autres, j’ai utilisé un ouvrage d’une maison d’édition hongroise qui s’appelle Csimota. Nous avons fait une activité de brise-glace, ensuite des activités ont permis aux élèves de se situer dans l’univers du récit. Il s’agissait par exemple de choisir un animal totem sous la forme d’une carte illustrée pour se faire aider à atteindre ses objectifs spécifiques qu’il fallait préciser. Ensuite, dans l’étape suivante, j’ai raconté le conte selon lequel tous les habitants du village indien marchaient courbés parce que le ciel était trop bas. Bien que cela paraissait terriblement inconfortable, les adultes indiens fatigués et déprimés n’avaient aucune intention de résoudre ce problème, contrairement aux enfants qui voulaient changer cette situation. Au début, leur environnement ne les soutenait pas, les adultes se moquaient d’eux. Mais les enfants n’ont pas abandonné, ils ont essayé encore et encore. Finalement, leur enthousiasme a conquis leur entourage et, ensemble, ils ont finis par soulever le ciel. Et depuis lors, le ciel s’est rempli d’étoiles.

I.L Une histoire bien choisie permet certainement de s’identifier aux personnages. Comment avez-vous décortiqué les significations plus profondes ?

A.Cs Après avoir écouté le conte et regardé les planches du kamishibaï, les élèves se sont construit progressivement le sens de l’histoire et ont travaillé sur les symboles du conte dans le cadre de différentes tâches en binômes et en petits groupes. Il s’agissait d’activités de manipulation ou d’expression de soi: par exemple, il fallait assembler un puzzle représentant une planche importante du récit. Puis à partir de cette planche, il fallait nommer et exprimer ses sentiments pour ensuite construire une maquette du camp indien. Par la suite, en groupe, ils ont créé les règles du camp qu’ils ont dû suivre. La maquette du camp, comme matérialité visible est importante du point de vue méthodologique. D’une part, c’est une trace concrète, matérielle de l’activité. D’autre part, les sentiments et les pensées associés à l’histoire peuvent être évoqués en regardant la maquette. Enfin, l’univers construit représente le groupe lui-même et favorise la coopération ultérieure, puisque les règles de cette communauté ont été construites ensemble. À la fin de l’atelier kamishibaï, les participants se sont servis des cartes images comme déclencheurs pour formuler des réflexions sur la séance. Comme un rituel d’ouverture, nous avons pris congé de l’univers du conte en récitant un poème.

Des apports du kamishibaï

I.L Quels ont été les apports de la séance? As-tu constaté des améliorations?

A.Cs Dans cette formation de développement communicationnel et de gestion des conflits, l’atelier kamishibaï s’insérait dans la deuxième séance, il y en avait d’autres qui suivaient avec d’autres méthodes. Mais cette session-ci fut très importante et le kamishibaï comme outil fut très opportun car il a favorisé l’implication des élèves dans les activités et a développé une écoute. Les élèves qui y participaient “avaient oublié de se donner des coups de pied“. Il a suffi de deux heures avec le kamishibaï pour renforcer leur envie de coopérer. Ce moment les a aidés lors de la construction de la maquette du camp, où l’appartenance à des clans opposés n’a pas empêché les élèves à s’entraider pour réaliser cette tâche très concrète et minutieuse. Le respect des règles s’est également nettement amélioré. En fait, ils se sont rendu compte que ces règles construites ensemble et partagées par tous étaient importantes pour atteindre les objectifs, également partagés.

„Már két óra kamishibai foglalkozás is növelte a tanulók együttműködési hajlandóságát”.

I.L Quelle est la leçon que tu tires pour toi-même de cette expérience ?

A.Cs. Le kamishibaï est un outil pertinent, judicieux et quelque part “universel”. Les histoires et les activités qui l’accompagnent peuvent contribuer de manière significative à la fois au développement de la cohésion intergroupe et au développement de l’individu. C’est un outil qui favorise l’engagement de l’individu et encourage l’implication du soi. L’outil ’théâtre’ a très bien fonctionné pour transposer et retravailler les expériences des participants, pour identifier les prémisses des difficultés et des conflits. En fait, les élèves ont automatiquement fait le lien entre l’univers du conte et leur propre univers. Ce travail sur l’univers du conte leur a permis conjointement d’opérer une décentration. Ces deux processus ont aidé à objectiver et à mieux appréhender les problèmes. De plus, la dimension „ludique” atténue les conflits. Enfin, découvrir le point de vue et les pensées de l’autre dans la rédaction des règles du groupe par exemple, de les écouter de manière active développe l’empathie. En suivant une démarche adaptée, ces avantages peuvent être exploités dans des contextes très divers, soit à l’école par exemple avec mes élèves Roms présentant des difficultés de comportement.

Attila Csillag & Ildiko Lorincz
Hongrie
Edilettre, N°1, 2023

Référence

Vidal, S. (2017) Hogyan nőtt nagyra az égbolt? [Comment le ciel est devenu grand?] Budapest, Csimota Kiadó

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