Ulysse et Polyphème en kamishibaï

Antje Kolde — En juin 2019, tous les élèves de l’école primaire d’Anières, dans le canton de Genève, en Suisse, reçoivent la visite de leurs camarades de 8P, les « grands » de l’école. Ceux-ci viennent leur raconter l’histoire d’Ulysse et de Polyphème à l’aide d’un kamishibaï. — un kamishibaï monolingue, certes, et non plurilingue comme les autres présentés dans ce numéro d’Edilettre, mais relevant lui aussi des approches plurielles, de par son contenu interculturel diachronique. Leur enseignante, Sylvie Rochat, revient sur quelques moments de cette aventure : sa genèse, les conditions de sa réalisation, ce qu’elle qualifie comme ses points forts.

Edilettre Association
Edilettre
7 min readApr 25, 2023

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Deux mois et demi plus tôt, les élèves de 8P de Sylvie Rochat avaient participé avec des camarades du même degré et d’autres de 7P à la lecture publique de l’Iliade, organisée dans le cadre du Festival Européen Latin Grec (https://festival-latingrec.eu). Le 22 mars 2019, comme bien d’autres groupes de par le monde, cette quarantaine d’élèves âgés de 10–11 ans avait lu le récit de la mort de Patrocle, l’ami d’Achille, le plus valeureux des Grecs, tué par Hector, le meilleur des guerriers troyens.

Une performance organisée

Pour préparer cette performance, Sylvie Rochat et sa collègue, Kristel Angiolini, avaient lu à leurs élèves « Le feuilleton d’Ulysse » de Murielle Szac, qui fait découvrir en 100 épisodes l’Iliade et l’Odyssée (cf. Bemporad, et all, 2023), L’Iliade et le « détour » de l’épopée grecque antique : des expériences de lecture à l’école).

Figure 1 : planche du kamishibaï

Antje Kolde : C’est dans le cadre de la lecture de l’Iliade que vous vous êtes lancés dans le kamishibaï ?
Sylvie Rochat : Oui, on avait lu Le feuilleton d’Ulysse sur la fin de l’année, on voulait faire une petite activité sympa de fin d’année avec les grands. Ils ont beaucoup aimé. Et après on est allé, dans toutes les classes, présenter notre travail, même chez les tout petits.

Un support de choix

Pourquoi avez-vous choisi de faire un kamishibaï ?

SR : Je me suis dit que ce serait hyper sympa d’illustrer un bout. Je suis partie de l’idée de faire un dessin et en fait, je me suis dit que juste faire un dessin, c’est presque un peu dommage. Faire un kamishibaï, ça permet d’avoir le côté présentation et de valoriser leur travail.

Figure 2 : planche du kamishibaï

Pourquoi avez-vous choisi l’histoire de Polyphème ?

SR : Quand je leur ai lu Le feuilleton, ils ont beaucoup aimé cette histoire. Parce qu’on voulait choisir une histoire un peu spectaculaire entre guillemets. C’est aussi une histoire qui est assez facile à cloisonner et à mettre en dessin par rapport à d’autres épisodes qui sont plus abstraits. Celui-là, il est assez concret. Enfin, tu vois, les moutons qui sortent, la pierre, le feu, les personnages qui se cachent et qui se font manger, c’est facile à représenter et à raconter, aussi aux plus petits. Ils avaient envie de raconter aussi l’histoire du « Tu t’appelles comment ? — Je m’appelle personne ». Ils avaient adoré cette ruse. Tout le monde connaît le « Mon nom, c’est personne ». Tu vois, même sans bien savoir d’où ça vient, on connaît tous un peu cette histoire. Mais c’était aussi sympa de raconter un peu l’histoire vraie entre guillemets, d’où elle vient. Et donc on est reparti sur ce texte-là, et j’ai repris l’épisode du Feuilleton que j’ai réécrit pour avoir les petits épisodes qui correspondent au kamishibaï.

Figure 3 : planche du kamishibaï

Des illustrations

Et pour les dessins, comment cela s’est passé ?

SR : Oui, un par épisode — il y a quinze épisodes. Parfois, c’est deux élèves qui ont fait le dessin, parfois c’est une personne. Ils s’étaient mis un peu comme ils voulaient, normalement, je crois qu’ils étaient deux par dessin. Je leur ai montré ce que c’est qu’un kamishibaï et comment ça fonctionnait. Ensuite, on a préparé les feuilles et puis on s’est mis d’accord sur le fait qu’il fallait que les personnages se ressemblent d’un dessin à l’autre. Tu vois, le géant, à chaque fois, ils le dessinent avec sa petite peau.

Et puis les abdos.

SR : Et les abdos, oui, apparemment, ils ont flashé sur les abdos. Effectivement, mais tu vois, tu reconnais à chaque fois le géant.

Leur avais-tu montré des images ?

SR : Si je me souviens bien, j’avais dû prendre un exemple de Polyphème, parce que celui-là, tu vois qu’il fait un peu BD comme ça. Donc j’ai dû montrer des images, oui. Ils ont vraiment fait un boulot énorme d’avoir des dessins qui se ressemblent. Tu vois, la grotte, on retrouve les mêmes éléments, les mêmes couleurs.

Figure 4 : planche du kamishibaï

Les présentations

Comment se sont passées les présentations ?

SR : Je les ai envoyés par groupes — par exemple il y avait un groupe de quatre — et ils allaient dans telle classe et ils faisaient la présentation en entier. Ils avaient un petit théâtre de kamishibaï, leurs feuilles dedans et donc ils enlevaient au fur et à mesure leurs dessins. Et ils lisaient le texte. Ils s’étaient préparés pour faire leur présentation. Parce que je ne pouvais pas envoyer toute la classe faire la présentation à toute une classe. Ça faisait trop de monde, donc ils s’étaient partagé le travail et ils allaient par petits groupes faire la présentation. Et ça a bien marché, même chez les tout petits. Ils ont été chez les 1P, 2P.

Et comment les autres élèves ont réagi ?

SR : C’était un petit moment sympa dans la classe. Les petits pouvaient poser des questions aux grands qui ont répondu à leurs questions. Après, moi, je n’ai pas assisté aux présentations parce que pendant que j’étais en classe eux, ils allaient faire leur petite présentation. Donc je n’ai pas vu les interactions avec les autres. J’ai eu plutôt le retour des maîtresses.

Die Kleinen konnten den Grossen Fragen stellen, die die Grossen beantwortet haben.

Et elles, que disaient-elles ?

SR : Elles ont été vraiment ravies et elles ont trouvé qu’ils avaient tous hyper bien fait. Ils avaient vraiment pris la présentation au sérieux et ils étaient attachés à bien faire pour que les petits comprennent et ils ont répondu à leurs questions, et cetera. Après, ils ont dit que les petits, ils ont un peu moins bien compris que quand ils allaient dans des classes de moyens, mais apparemment ça avait plu. Les maîtresses étaient super contentes parce qu’ils avaient été très investis quand ils allaient faire leurs présentations.

Le travail des élèves a été évalué ?

SR : Non, c’était juste pour le plaisir. Je trouve qu’il y a des moments où on doit pouvoir faire sans pression. Cette qualité qu’on a eue de dessin et de présentation, on l’a eue juste pour le plaisir de faire plaisir aux autres, en fait, parce qu’il n’y avait pas d’enjeu. On l’a fait juste parce que c’était chouette d’avoir ce projet tous ensemble et de le présenter aux autres. Et quand on voit la qualité des dessins, ils se sont vraiment donnés pour faire quelque chose de beau. Et tu vois, ils n’ont pas voulu récupérer leurs dessins parce que c’était vraiment pour partager quelque chose dans l’école et je trouve que ça, pour moi, ça n’a pas de prix. Donc, tu vois, j’ai pas du tout envie d’entrer dans un concept d’évaluation.

Figure 5 : planche du kamishibaï

Comme coda

Quelle est pour toi la principale plus-value du kamishibaï ?

SR : C’est un moment de lecture, un moment de présentation orale, mais pour les enfants qui sont intimidés par la présentation orale, rien que le fait que tu sois derrière ton théâtre, ça te permet peut-être d’oser plus des jeux de voix, des choses comme ça que tu n’oses pas quand tu es devant avec ta feuille. Mais ça permet aussi à certains de pouvoir mieux s’exprimer. Dans le groupe, là, j’en avais qui étaient extrêmement timides et ils ont tous réussi à faire leur présentation. Et s’il y a des enfants non francophones, ça permet justement à tout le monde de participer, parce que si l’enfant qui parle moins bien français, il fait le dessin, il fait partie de l’œuvre commune. Donc ça, c’est super intéressant, tu vois.

Antje Kolde
Suisse
Edilettre, N°1, 2023

Bibliographie

Bemporad, C., Kolde, A. et Lucci, C. (2023). L’Iliade et le “détour” de l’épopée grecque antique : des expériences de lecture à l’école, In Forumlecture, No1

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