#premiersInstants — With You de Amélie C. Astier et Mary Matthews

Elodie Baslé
Milady
Published in
11 min readApr 3, 2018

Découvrez le tout début du roman qui est déjà un événement.

Dans les #premiersInstants, on vous propose ni plus ni moins que de découvrir les premiers chapitres de nos histoires préférées. Comme ça, sans contreparties, juste pour vous faire plaisir. Bonne lecture !

Avant toutes choses Retrouvez la playlist du livre, concoctée pour vous par les auteures !

Attention, cette histoire est une Dark Romance qui contient des scènes pouvant heurter la sensibilité du lecteur.

1 REAGAN

4 avril 2016

Lancaster, Pennsylvanie.

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je n’ai pas pu. Mon subconscient m’a tenu éveillé durant des heures, m’empêchant de plonger dans un sommeil dont j’ai pourtant cruellement besoin. La journée d’hier a été longue, et celle qui m’attend le sera tout autant.

Ce n’est pas pour rien si je suis resté immobile, dans mon lit, à fixer le plafond. Je savais très bien que, si je fermais les yeux, les cauchemars reviendraient, et personne n’a envie de ça. Je n’avais pas envie de ça.

Aujourd’hui semble être un jour comme un autre, et pourtant, chaque nouvelle journée est un combat contre moi-même. Un combat contre tout, contre ces démons qui pourraient m’entraîner dans un enfer sans fin, mais contre lesquels je résiste. Contre les autres, qui sont de vrais vautours ; contre le temps, qui a filé à une vitesse fulgurante.

Contre ce jour qui est arrivé plus vite que je ne l’aurais cru.

Bax, mon malinois, remue contre moi. Il s’étire de tout son long avant de venir poser sa tête de chien malheureux sur mon torse. Il me jette ce regard qui en dit beaucoup. Je soupire en le caressant derrière les oreilles.

Je jette un coup d’œil à la boîte orange sur ma table de chevet. Mon nom est inscrit dessus, et elle contient ce qui représente la facilité à mes yeux. Cela fait des mois que je n’ai pas mis mon nez dedans, preuve que tout semblait bien aller. Enfin, comme on peut prétendre ça dans mon cas.

Mais finalement, comme d’habitude, j’attrape mon paquet de clopes et me lève dans l’idée d’aller m’en griller une. J’allume la télévision pour avoir un bruit de fond, je n’aime pas ce silence. Mes pensées le meublent, et je n’y tiens pas.

Bax me suit vers la fenêtre de ma chambre. Je vis au dernier étage d’un immeuble en plein centre-ville. C’est assez loin de la nature, mais, avec mon boulot, je n’ai pas le choix. Je dois être au cœur de la vie citadine.

J’ouvre la fenêtre et un courant d’air frais vient me filer des frissons. D’un geste tremblant, j’arrive à allumer une cigarette, que je fume tout en essayant de faire le vide dans ma tête. Difficile quand mon regard tombe sur le costume sombre accroché à la porte de mon dressing ouvert.

C’est aujourd’hui.

Comme si ça ne suffisait pas, mon portable sonne, mais je n’ai pas envie de décrocher. Je ne veux pas entendre ma mère, ou qui que ce soit d’autre, d’ailleurs. Les gens ne savent pas quoi dire depuis dix ans, ce n’est donc pas maintenant qu’une idée de génie va les frapper.

Je continue de fumer tranquillement. Bax reste sagement couché à mes pieds, comme le fidèle compagnon qu’il est.

Je termine de bousiller ma santé, referme la fenêtre et me dirige ensuite vers la salle de bains. Bax continue son job en se faisant discret. Malheureusement, il ne viendra pas avec moi aujourd’hui.

Je le laisse entrer dans la salle de bains, il grimpe sur l’abattant des toilettes baissé et me regarde faire. Comme tous les matins.

La lumière est déjà allumée, à vrai dire, je n’éteins jamais. Je dois avoir la facture d’électricité la plus élevée de toute la ville. Et sincèrement ? Je m’en fous.

Je frotte ma barbe de deux jours qui assombrit mes joues. Des cernes noirs creusent mes yeux verts, j’ai la tête d’un type qui se remet en permanence d’une gueule de bois.

Mes mains tremblent de nouveau. Je m’appuie contre le rebord du lavabo en espérant les faire cesser. C’est dingue, ce putain de stress qui me gagne de plus en plus depuis quelques semaines.

— Ça va aller, Reag, ça va aller, je murmure.

Je suis avec toi.

Je pense à elle, mais aujourd’hui, je suis seul devant cette glace. Je n’ai personne pour me soutenir. Aujourd’hui, j’ai vingt-huit ans, je ne suis plus un gamin. Pourtant, même face au miroir, malgré le reflet de l’homme imposant que je suis devenu, je vois toujours ce gosse qui n’a pas eu de chance.

On m’a donné rendez-vous à 8 heures devant le palais de justice, mais j’arrive avec une heure de retard. J’ai longuement traîné sous la douche — ce qui a fait râler Bax –, avant de prendre tout autant mon temps pour le sortir. C’était plus fort que moi.

Je n’ai pas envie d’être « aujourd’hui ».

Un monde fou attend déjà sur place. Des journalistes, des curieux, des policiers, et même des manifestants en tous genres. J’ai bien fait de venir à pied, et non en voiture, jamais je n’aurais pu me garer sans attirer l’attention.

Sur le chemin, j’ai écouté mes messages. Ma mère m’a rappelé qu’elle viendrait avec ma sœur. Comme si elles avaient besoin d’être présentes à ce maudit procès, ce n’est pas leur place. Mon meilleur pote est aussi de la partie.

Ils se sentent investis d’un devoir de soutien, mais, si ça ne tenait qu’à moi, je leur dirais de ne pas s’en mêler. Ils n’ont pas à apprendre certaines choses. Mais ce serait comme parler à un mur : il est profondément inutile de se battre contre la brigade anti-déprime.

Ils doivent m’attendre, mais je continue de prendre mon temps. J’ai réussi à passer le barrage de flics et de journalistes grâce à ma convocation pour rejoindre Wendy, la secrétaire du procureur Travers. Cette dernière est habituée à mes retards. Elle ne dit rien et se contente d’un simple : « Allons-y, monsieur Kane. »

Je déteste cette situation.

Pourtant, je vais devoir m’y faire, je m’apprête à entrer dans une longue routine, qui va durer d’interminables semaines, si ce n’est des mois. Encore heureux qu’on ne m’ait pas demandé de faire, en plus, bonne figure.

Nous gravissons d’un pas rapide la trentaine de marches qui nous séparent du palais de justice avec, en bruit de fond, les flashs des photographes et les cris des journalistes, mêlés à ceux des manifestants catholiques.

Cooper Truman.

Son nom ne cesse de résonner autour de moi, et en moi. Comme un écho blessant qui ravive certains démons et rouvre certaines blessures.

Je tente de faire abstraction des regards qui pèsent sur moi lorsque nous pénétrons dans le grand bâtiment bondé, des « chanceux » qui vont pouvoir assister en direct à l’audience. Je vois des politiciens, des flics, des pontes, des avocats, mais surtout mes proches. Je ne cherche pas vraiment quelqu’un dans cette foule dense, non, je cherche surtout un moyen de me tirer. Sauf que je ne peux pas fuir mes responsabilités.

Parce que tu hais l’injustice.

Oui, je hais l’injustice, je la hais quand on ne la rend pas pour les autres, je devrais la haïr dans ce cas-là également.

Mais tout est différent aujourd’hui.

Wendy parvient enfin à nous conduire jusqu’au groupe qui m’attend. Je tente de faire comme si de rien n’était, alors qu’ils sont tous là.

Tous. Sans exception. Ma mère, ma sœur, mes amis, mais également le procureur et son assistante.

— Ah, le voilà !

Je reconnais la voix de ma mère. Joyce Kane est une femme d’une cinquantaine d’années que la vie n’a pas épargnée non plus. Elle est grande, toujours impeccable. Elle était professeur dans un lycée privé catholique et en garde des manières. Ses cheveux noirs ont pris une légère couleur grise depuis quelques mois.

Ma mère reste en retrait et n’essaie pas de me toucher. Elle attend que je vienne la saluer de mon propre chef, et, si je ne le fais pas, je sais qu’elle ne m’en voudra pas. Et quand bien même cela la contrarierait, aujourd’hui je m’en contrefous. Je n’ai pas envie de m’occuper des problèmes des autres, j’ai suffisamment de quoi m’occuper avec les miens.

Dix paires d’yeux me scrutent avec attention. Je refoule l’agacement qui me gagne et tente de me convaincre que, s’ils sont là, c’est pour une bonne raison.

Et il y en a, des raisons, mec !

— Mon chéri, tu aurais pu mettre une cravate, me fait remarquer la femme qui m’a mis au monde.

Je soupire en ignorant son commentaire. Elle oublie vite qu’il y a des choses que je ne supporte pas pour de très bonnes raisons. J’ai déjà fait l’effort d’enfiler ce costume, qui me donne l’impression d’être mon père et me fait transpirer.

Je la salue rapidement en l’embrassant sur la joue avant de m’écarter pour faire de même avec les autres.

— Qu’est-ce que vous faites ici ? Je vous avais dit de ne pas venir, je lance d’une voix rauque mais toujours aussi froide.

Un rire résonne dans le petit groupe, et seul un homme se permet de me rembarrer.

— Bonjour à toi, Reag, toujours aussi chaleureux, me lance mon meilleur ami, Parker.

Nous nous connaissons depuis toujours, Parker et moi. Nous avons grandi ensemble. Il est l’ami le plus fidèle au poste. Celui qui sait, mais qui fait comme si de rien n’était. Et j’apprécie cette qualité qui fait cruellement défaut à certains.

Le grand brun me tend son café avec un clin d’œil. Je le remercie d’un signe de tête et le termine dans la foulée. J’ai oublié de fumer une clope sur le chemin, et je commence à ressentir les effets secondaires d’une nuit sans sommeil doublée d’un stress que je tente de dissimuler.

Et je sais que ça marche. Reagan Kane est réputé pour être de glace. Je ne laisse jamais filtrer la moindre émotion, ce qui a tendance à agacer mon entourage. Je montre uniquement ce que j’ai envie que les autres voient.

Ma sœur m’adresse un sourire chaleureux, que je lui rends furtivement. J’aurais aimé qu’elle reste à l’université, aujourd’hui, pour la préserver de ce qui va suivre. Je peux gérer notre mère, mais gérer Rebecca, c’est une autre histoire.

Farrell et Konnor sont plus discrets. Je n’ai pas le temps de discuter avec eux, qu’une voix féminine et familière me sort de mes pensées.

— Reagan, vous êtes prêt ?

Je dévisage l’adjointe du procureur, Della Andrews. C’est une femme d’une cinquantaine d’années aux cheveux bruns tirés en arrière dans un chignon impeccable. Elle porte toujours un tailleur et me suit depuis des années avec Bennet Travers. Ils m’ont vu changer, vieillir, encaisser, me battre. Aujourd’hui est un jour important pour eux aussi.

— Qui pourrait être prêt à affronter ça ? je l’interroge à mon tour avec sarcasme.

Quelle question stupide !

Elle se contente de sourire tristement sans répondre. Ce qui me fait soupirer. Derrière nous, le procureur termine sa conversation au téléphone et nous rejoint. C’est un type à lunettes d’une soixantaine d’années et aux cheveux gris, réputé dans la profession. Il ne lâche jamais rien, et il ne m’a pas lâché. Au fil des années, il est devenu un membre de la famille.

— Mon garçon, tu ne changes pas, constate Bennet. En retard et toujours aussi aimable.

Il me tend la main, je la serre d’une poigne ferme.

— Vous êtes habitué, je n’ai plus besoin de me forcer à être sympathique, je poursuis d’un ton neutre.

Bennet se contente de sourire pendant qu’autour de nous, les gens s’activent. Je vais m’asseoir à côté des dossiers qui contiennent les détails de l’affaire.

Affaire KANE-KRISTENSEN-TRUMAN.

Je frissonne en voyant mon nom. Je fouille dans les poches de mon costume, retire mes lunettes de soleil et sors mon paquet de clopes.

— Reag, on ne fume pas ! lance ma sœur.

— Je n’allais pas l’allumer, je lui réponds froidement en jouant avec ma cigarette.

Faites que cette journée se termine.

Merde, j’ai vingt-huit ans et j’entends le discours sur le tabac depuis mes douze piges. Si j’ai envie de m’en griller une aujourd’hui, personne ne viendra s’interposer.

— À quelle heure ça commence ? je demande pour éviter un sermon.

— Ils ne sont toujours pas arrivés, répond Bennet en soupirant.

Je me retiens de rire. C’est la meilleure, on doit en plus attendre le principal concerné.

Je n’ai pas envie d’être là et ça se confirme. Il n’y a que les autres qui sont « ravis » d’être ici. Les avocats, les juges, les jurés, les journalistes et les curieux. Après tout, c’est le procès de l’année, le procès que la ville de Lancaster attend depuis dix ans. L’affaire Cooper Truman a chamboulé toute une communauté en plus de changer des vies.

Nerveux, je ne tiens pas en place. Je me lève et commence à faire les cent pas. Je sens des regards sur moi, ce qui ne fait qu’augmenter mon état de nerfs. Personne dans mon entourage ne s’approche, et je leur en suis reconnaissant. Je pense aux dossiers qui attendent sur mon bureau, à toutes ces autres affaires qui ont besoin de mon regard expert… Je pense à n’importe quoi, sauf à celle-ci.

Puis, sans que je sache pourquoi, mon regard fend la foule, et je ressens un choc quand il tombe sur une personne en particulier.

C’est comme si le destin ou une force supérieure, deux choses auxquelles je ne crois plus depuis longtemps, avait décidé de cet instant.

Je me fige au milieu de l’agitation. Je suis comme paralysé, absorbé par la présence de cet être qui a laissé un vide en moi.

Dix ans.

Dix longues années que je n’ai pas croisé cette silhouette familière aux cheveux bruns, que je ne l’ai pas serrée contre moi. Dix ans que je n’ai pas senti son odeur et ressenti la chaleur de son corps contre le mien.

Dix putain de longues années.

Je serre les poings sans le vouloir alors qu’un sentiment familier et angoissant naît en moi. Je ne suis pas encore assis sur cette chaise, je n’ai pas encore entendu ce que je ne veux pas entendre, et pourtant, lorsque je la regarde, je suis de retour là-bas.

Elle a changé sans être devenue une étrangère. Elle devrait être une inconnue, à présent, mais ce n’est pas le cas, et elle ne le sera jamais.

Pas avec ce qui nous lie.

Et, comme si elle sentait mon regard, elle se tourne pour me faire face et plonge ses yeux bleus dans les miens.

Mon cœur rate un battement, et je prends conscience, l’espace d’une fraction de seconde, que tout ce que j’ai essayé d’enfouir pour survivre rejaillit.

Je vis sans doute l’un des jours les plus éprouvants de mon existence. La femme qui me fait face au milieu de la foule et dont le visage, marqué par la méfiance et l’inquiétude, me rappelle une époque que je m’étais efforcé d’oublier.

En un instant, elle me fait replonger dans ce passé sombre, tout en représentant ce qui m’a manqué depuis ces dix dernières années.

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