Prix des Lectrices 2018, épisode 10 : Toute résistance serait futile de Jenny T. Colgan

Elodie Baslé
Milady
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11 min readApr 14, 2018

Vous n’êtes pas sans savoir (ou en tout cas plus maintenant), que les votes ont été ouverts pour le Prix des Lectrices. 10 livres, si vous ne les avez pas lu régulièrement au fil de l’année 2017, cela peut vous sembler énorme. Pas de panique cependant, voici toutes les infos qu’il vous faut pour éclairer votre choix parmi les pépites que vous avez manqué !

Mathématicienne excellant dans un domaine masculin, Connie a toujours été considérée comme un peu bizarre. Mais jamais autant que Luke, recruté pour travailler à ses côtés sur un projet de décryptage top secret.

Mais Luke semble en savoir plus que Connie et ses confrères sur le mystérieux code. Pendant que tout le monde s’interroge sur ses liens avec ce message crypté aux origines non identifiées, leur employeur est tué d’une manière… singulière, et les services secrets s’en mêlent. Connie découvre que Luke n’est sans doute pas celui qu’il prétend être, mais leur confinement fait naître quelque chose en elle… Il n’aurait pu y avoir plus mauvais timing, maintenant que les deux scientifiques sont embarqués dans une course effrénée pour sauver… la Terre.

« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » Blaise Pascal

Demeurer en repos dans une chambre » Jubilee a fait ça presque toute sa vie et elle en est venue à préférer les livres aux gens. Et quel lecteur n’a pas été tenté par ce clair-obscur ? Parmi les personnages qui nous touchent le plus il y a ceux dont la bulle a éclaté, car ils portent sur le monde et les humains un regard frais, perplexe, amusé et distancé. Ceux dont la bulle a éclaté sont comme débarqués d’une autre planète où ils auraient paradoxalement réappris à être humain. Jubilee a été capable de vivre seule avec ses pensées pendant dix ans. Et pourtant quand sa bulle éclate finalement, il y a toujours cette cage, car cette capacité qu’on se doit tous d’acquérir, être capable de rester seul avec nos propres pensées, cette capacité ne suffit pas. Si on la touche si elle touche quelqu’un, Jubilee peut mourir. Aller vers les autres c’est toujours prendre un risque d’être blessé, même quand on n’a pas la maladie de Jubilee. Ce personnage nous apprend que même quand le risque est si grand, ça vaut toujours la peine de tendre la main pour être enfin libéré.

Isabelle

« Je n’aurais jamais pensé que je pourrais apprécier un livre sur les maths, les amphibiens et la fin du monde. C’est original, drôle et romantique. Et vous n’avez même pas besoin d’être calés en fractales. » Sophie Kinsella, auteure de L’Accro du shopping

« Il est très rare que je tombe à ce point amoureuse d’un livre… Brillant, charmant, intelligent, drôle et émouvant. » Rowan Coleman, auteure d’Avant de t’oublier

« Un cocktail détonnant d’action, de geeks matheux et de baisers passionnés. J’ai savouré chaque page de ce livre. » Matt Haig, auteur de Humains

« De la science-fiction avec des personnages féminins dignes de ce nom ! » MadmoiZelle

Petites questions à Jenny T. Colgan

Est-ce qu’il y a une série que tu as regardé compulsivement ces derniers temps ?

Mon dieu, mais, je suis tellement addicte à “The Good Wife” ! Je suis complètement obsédée par cette série. J’aime TELLEMENT Will ! Il embrasse super bien à l’écran. Je pense que c’est son nez. NE ME DITES PAS que ça va mal se passer pour lui. Malheureusement, je le sais, et j’appréhende.

Est-ce que tu écoutes de la musique en écrivant ?

J’écoute tout le temps de la musique, sauf quand j’écris quelque chose de nouveau. Mais quand je repasse sur mes textes, j’en écoute. D’ailleurs, on peut toujours dire quand je suis en phase de relecture parce que j’écoute beaucoup de chansons très puissantes et très répétitives comme Michael Nyman et Phillip Glass, parce que je déteste la relecture. Tout le monde sait qu’il faut se tenir à distance pendant ces périodes.

Sinon de manière générale, j’aime bien la folk traditionnelle et la pop. Si vous avez Spotify sous la main, je conseille d’écouter Kris Drever, il est vraiment bon. Et aussi Nick Jonas. Non, PAS DE COMMENTAIRE OK.

Où seraient tes vacances de rêve ?

J’ai vraiment, vraiment, vraiment, envie d’aller dans un TARDIS.

Interview traduite de l’anglais

De prime abord, la main inerte était presque belle. Ouverte, les doigts tendus, parfaitement translucide. Transparente comme si elle était faite de résine, de verre ou de glace. Une sculpture.
À moins d’aller précisément dans cette direction — et seules six personnes sur Terre avaient l’autorisation d’aller dans cette direction — on aurait pu passer à côté sans rien voir.
Sans remarquer la peau molle et bouffie, vidée, derrière le bureau immaculé, dans cette pièce sans corbeille à papier. Pas de poussière, pas de papiers, pas de sacs, pas de bazar. Rien du tout. Rien d’autre que ce cadavre vidé, transparent, plastifié, magnifique.
Il allait bientôt se décomposer, et les détecteurs de mouvements, de poussière et d’odeurs entreraient alors en action. Mais, pour l’instant, tout était calme. Les caméras de surveillance balayèrent encore une fois la zone, s’arrêtèrent, bourdonnèrent, revinrent en place, et ainsi de suite. Mais leurs yeux étaient aussi aveugles que l’homme sans couleur qui était étendu, exsangue, sur le sol immaculé, sous le bureau immaculé de la pièce blanche.

Chapitre premier

Mme Harmon n’était pas spécialement ravie de devoir s’extraire de son douillet box de concierge pour faire visiter les lieux à une énième nouvelle recrue, et elle ne se privait pas de le montrer.
— Voici le bureau, annonça-t-elle d’un ton maussade.
Cette semaine, elle avait surtout eu affaire à de jeunes gens polis aux sourires timides ou aux yeux papillonnants.
Cette grande fille maigre aux cheveux d’un roux violent ne correspondait pas du tout aux critères habituels, alors elle n’allait pas gâcher sa matinée dans des couloirs glacials à lui indiquer les toilettes.
Elle renifla, regrettant d’avoir, encore une fois, mangé son KitKat du midi à 9 heures ce matin-là. Au moins, du temps où elle travaillait dans une prison, on avait parfois des occasions de plaisanter. Alors qu’avec ces universitaires… Quelle bande de tristes sires !

Qu’est-ce que c’était que ce boulot, d’ailleurs ? Ils restaient assis toute la journée à boire du café, laissant traîner leurs tasses sales partout, qu’elle devait ramasser derrière eux comme une fée de la vaisselle. Et ils étaient mieux payés qu’elle ; ça, elle en était sûre. Payés à gribouiller des signes bizarres partout. Parfois Mme Harmon se demandait « si ce n’était pas une vaste supercherie, une sorte de version ultraperfectionnée de fraude aux allocations.
Elle aurait été bien surprise d’apprendre que le docteur Connie MacAdair, titulaire d’un doctorat en calcul des probabilités de l’université de Glasgow, chercheuse en arithmétique formelle probabiliste, pressentie comme future lauréate de la médaille Fields et détentrice d’un nombre d’Erdös de 3, avait, elle aussi, parfois l’impression que les universitaires étaient des imposteurs.

Connie tiqua.

— Pardon, vous avez bien dit que c’est le bureau principal, ici ?
Si on lui avait demandé de décrire ce qu’elle avait sous les yeux, la première expression qui lui serait venue à l’esprit aurait été quelque chose comme « un bunker, après une attaque nucléaire ».
— Open space, crut bon d’ajouter Mme Hamon, comme si c’était une excuse.
La pièce grise était située dans la partie moderne et hideuse de l’université, en dessous du niveau de la chaussée. Par les quelques fenêtres boulonnées aux murs, on voyait défiler les pieds des passants marchant sous la pluie. C’était un vaste espace carré et sombre, parfaitement lugubre, doté de rangées de bureaux comme une salle d’école primaire.
Il n’y avait pas d’ordinateurs, seulement des alignements de prises. Ce qui frappait surtout, c’étaient les boules de papier froissé et les corbeilles débordantes. Les murs étaient tapissés de tableaux noirs et de tableaux blancs. Ces derniers avaient pour certains un dispositif d’impression intégré, et d’immenses volutes de papier traînaient au sol comme des langues déployées. Connie avait vu des photos du département de mathématiques : il était somptueux. Cet endroit était certainement une zone de délestage.
La pièce était jonchée de gobelets et d’assiettes en carton maculées de reliefs de repas. Il y flottait une odeur de mathématiques qui réconforta Connie. Un mélange de calculatrices poussiéreuses et pleines de miettes, de déodorant appliqué à la va-vite, de café froid, et, bien qu’improbable, le parfum bien reconnaissable de polycopiés.

Pour l’heure, l’endroit était désert. Et ne ressemblait en rien à ce que Connie avait imaginé à la suite de l’entretien qu’elle avait passé pour cette offre alléchante de postdoc dans sa spécialité, dans l’une des villes universitaires les plus prestigieuses au monde, avec logement de fonction, sans obligation d’enseignement, seulement la liberté de faire de la recherche pendant les deux prochaines années.

Elle se rappela qu’il s’agissait d’un poste de rêve, d’une chance inespérée en cette période de réductions des budgets. Elle était sur un petit nuage depuis qu’elle avait reçu la lettre d’acceptation.
— Bon, vous y voilà, lâcha Mme Harmon en consultant ostensiblement sa montre.
— Ah, euh… oui, fit Connie, dont le cœur se mit à battre plus vite. (Elle s’était fait la remarque que ce job était trop beau pour être vrai. Elle avait peut-être raison.) Euh… oui… Il y a un bureau pour moi ?
Dans un coin au fond, se trouvait un espace dégagé, uniquement occupé par une plante en pot morte.
— D’accord…, dit-elle en se retournant, perplexe. J’ai quelques questions…
Mais Mme Harmon ne s’était pas attardée. Connie se fit la réflexion qu’elle se déplaçait remarquablement vite pour une personne ayant un centre de gravité si bas.

Connie regarda alentour, au cas où ses collègues auraient décidé de se cacher sous les tables et de bondir soudain pour lui faire la surprise d’une réception de bienvenue qui se déroulerait dans la gêne et la timidité. C’était déjà arrivé.
Mais la pièce était plongée dans un silence de mort. Elle gagna l’une des fenêtres et leva les yeux vers les pavés gris. Puis elle tira une petite chaise et grimpa dessus. Bon, voilà qui était mieux. Même si ce n’était toujours pas le somptueux bureau en haut d’une tour ancienne baignée de soleil, qu’elle avait imaginé…

Juste au-delà de l’allée qui ceignait ce gros bâtiment ingrat s’étendait la campagne. On était tout au bout du campus. Au loin, rendue presque invisible par la pluie insistante, commençait la mer ondoyante de fougères qui entouraient la ville. Un peu plus près, une étendue d’herbe sillonnée de sentiers boueux menait à des champs. De vrais champs, garnis de moutons.
Après trois ans passés à l’université de Glasgow noire de suie et grouillant d’agitation, c’était une révélation. Connie chercha à ouvrir une fenêtre. Cette fonctionnalité n’était pas prévue.

La pluie redoublait d’ardeur, bien que sur les collines douces apparaisse parfois un rayon de soleil passager. Tout à coup, à l’extrémité du champ le plus éloigné, Connie distingua quelque chose à travers le rideau de pluie. Cela bougeait lentement. Très très lentement. Au début cela lui évoqua un drôle de robot carré motorisé avançant pesamment, mais elle abandonna rapidement cette hypothèse. Ne serait-ce que parce que la chose était marron. Qui aurait l’idée de aire un robot marron ? Puis les éléments visuels finirent par prendre sens : c’était un piano. Un piano à queue qui passait à travers un champ. Sous la pluie.

Une procession dans le cadre d’une semaine d’intégration ? Est-ce qu’ils avaient mis un moteur au piano ? Était-ce un pari ridicule ? Connie connaissait le monde universitaire depuis assez longtemps pour ne plus s’étonner de rien, mais elle n’était pas d’humeur à apprécier une blague potache. Elle était sur le point de se détourner lorsque le piano, avançant un peu plus, lui révéla une personne à demi cachée derrière. Il y avait quelqu’un — une silhouette dégingandée comme dans un Giacometti — qui poussait le piano. Il — la silhouette semblait masculine — était complètement détrempé. Sa chemise blanche lui collait au dos, et ses lunettes à grosse monture dégoulinaient.
Elle savait très bien que les pianos pèsent habituellement très lourd. Un instrument d’une tonne, sans prise, résolument peu maniable. Et pourtant ce grand gringalet détrempé semblait parfaitement se débrouiller seul.

Sûrement le club théâtre, pensa-t-elle avec un soupir. Il y avait probablement à l’intérieur un étudiant en médecine éméché, qui agitait un seau pour l’aumône. D’une fac à l’autre, les étudiants étaient partout les mêmes.

Elle reporta son attention sur le labo. Elle avisa une grande équation incomplète sur l’immense tableau blanc à l’autre bout de la pièce, ainsi qu’un feutre neuf et tentateur posé juste à côté. Incapable de résister, Connie s’approcha et résolut prestement l’équation. Jusqu’au moment d’écrire 8,008135 comme résultat.
— Ah ! dit-elle tout haut. Très drôle.
Elle transforma le résultat en 04,0404 et entendit la porte s’ouvrir timidement.

Elle prépara un sourire, même si intérieurement elle était nerveuse. Depuis ses premiers concours de maths pour enfants à l’âge de six ans, elle avait l’habitude d’être la seule fille, ou presque. Aujourd’hui encore pendant les soirées, elle était présentée comme une sorte d’éternelle étudiante, et les hommes prenaient peur quand elle leur annonçait qu’elle était mathématicienne, ils se mettaient à bredouiller et à parler de leurs résultats au bac, comme si son domaine mettait leur virilité à l’épreuve.
Et, encore une fois, elle se retrouvait dans la position de nouvelle de la classe, dans une nouvelle école, une nouvelle ville. C’était supposé devenir plus facile avec le temps, mais en fait ce n’était pas vraiment le cas.

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