Prix des Lectrices 2018, épisode 9 : Victoria de Daisy Goodwin

Elodie Baslé
Milady
Published in
12 min readApr 14, 2018

Vous n’êtes pas sans savoir (ou en tout cas plus maintenant), que les votes ont été ouverts pour le Prix des Lectrices. 10 livres, si vous ne les avez pas lu régulièrement au fil de l’année 2017, cela peut vous sembler énorme. Pas de panique cependant, voici toutes les infos qu’il vous faut pour éclairer votre choix parmi les pépites que vous avez manqué !

« À mes yeux, Madame, vous êtes en tout une reine. »

Alors qu’elle vient tout juste d’avoir dix-huit ans, Alexandrina Victoria devient reine de Grande-Bretagne et d’Irlande. Dès lors, la jeune souveraine surprend tout le monde : elle abandonne son prénom détesté pour adopter celui de Victoria, insiste pour avoir ses propres appartements et est déterminée à rencontrer ses ministres seul à seul. L’un d’entre eux, Lord Melbourne, devient très vite son secrétaire particulier. Il aurait peut-être pu devenir davantage… si tout le monde n’avait pas soutenu que la reine devait épouser son cousin, le taciturne prince Albert. Mais ce que Victoria ignore encore c’est qu’en amour comme en politique, il ne faut pas se fier aux apparences.

Une nouvelle fresque pour tous les inconditionnels de Downton Abbey ! Victoria est diffusé sur ITV, avec un scénario écrit par Daisy Goodwin. Parfait pour les fans d’épopées comme Guerre et Paix, Poldarkou Grantchester…

Daisy Goodwin nous peint de sa plume fluide, un magnifique tableau qui dépeint la réalité sociale d’une époque, écrit à partir des lettres et des journaux intimes de la Reine.

L’auteure connaît son sujet, et c’est le moins qu’on puisse dire : elle a aussi créé la série événement Victoria.

Non seulement historique, mais également très divertissant, j’ai complètement craqué pour cette histoire d’adolescente rebelle, son ascension et sa personnalité hors norme, et cette impression de pouvoir pousser le rideau de velours de l’Histoire, pour en connaître un peu mieux les coulisses.
Suivez ses tempêtes sous son crâne, et accrochez-vous à son caractère.

Petites questions à Daisy Goodwin

Votre roman se centre sur la jeunesse de la Reine Victoria. Pourquoi vous être concentrée sur cette première partie de sa vie dans ce livre ?

Dans mon livre précédent, j’avais écrit sur Victoria lorsqu’elle avait la soixantaine. J’ai commencé à penser à un autre roman, et j’ai fini par songer à son début de règne.

Ce qui a tout commencé par moi, c’est une dispute avec ma fille de 16 ans, et d’environ la même taille que Victoria. Elle est toute petite, très intense, et très passionnée ; elle est pleine d’hormones et très turbulente. On se disputait plutôt fort, et elle s’est ruée vers la sortie en claquant la porte. Je me suis dit “Qu’est-ce que ça serait si elle se réveillait demain matin et découvrait qu’elle était la femme la plus puissante du monde ?”. À ce moment-là, j’ai eu une véritable impulsion et je me suis dit que c’était le bon moment pour commencer un roman.

Bien évidemment, les premières années de règne sont fascinantes. Vous avez un pays qui a été géré, pendant des siècles, par de vieux, gros, hommes de mauvaise réputation, et soudain, vous avez une belle et jeune reine. Elle n’est qu’innocence, elle a 18 ans, elle est maigrelette. Elle a reçu beaucoup d’encouragements, mais a aussi eu face à elle toute une institution qui a serré ses rangs en disant : “ ça ne marchera jamais” parce que ça n’était pas un homme.
C’était un moment exaltant, et je me suis dit que c’était un bon début.

Interview traduite de l’anglais

Envie d’un échantillon du livre ? Aucun problème, je vous offre les premières pages !

Prologue

Kensington Palace, septembre 1835

Un rai de la lumière de l’aube tombait sur la fissure, au coin du plafond. La veille, la lézarde dessinait comme une paire de lunettes ; mais au cours de la nuit, une araignée avait brodé sa toile sur la craquelure, comblant les interstices. À présent, songea-t-elle, on aurait dit une couronne. Pas celle de son oncle, à l’air si lourde et si inconfortable, mais une couronne de reine — délicatement ajourée, mais robuste. Après tout, elle avait une tête minuscule, comme maman, et sir John ne manquait jamais de le lui faire remarquer ; le moment venu — et à présent, il n’y avait plus de doute que ce moment viendrait –, il lui faudrait une couronne à sa taille.
Un ronflement s’éleva en provenance du grand lit.
Nein, nein, geignit sa mère, luttant contre ses démons dans son sommeil.

Le moment venu, songea la jeune fille, elle insisterait pour disposer de sa propre chambre. Maman pleurerait, bien entendu ; elle affirmerait qu’elle ne faisait qu’essayer de protéger sa précieuse Drina. Toutefois, celle-ci resterait ferme. Elle s’imaginait déjà en train de déclarer : « Je suis la reine, et la cavalerie de la garde royale est là pour « ma protection, maman. Je pense être en sécurité dans ma chambre.

Elle deviendrait reine un jour : elle le savait, à présent. Le roi son oncle était âgé et en mauvaise santé ; et à l’évidence, il était trop tard pour que sa femme, la reine Adélaïde, conçoive un héritier. Pourtant, Victoria — comme elle se plaisait à se prénommer, bien que sa mère et tous les autres l’appellent Alexandrina ou pire encore, Drina, un surnom qu’elle trouvait plus humiliant qu’attachant — ne savait pas quand ce moment surviendrait. Si le roi venait à mourir avant qu’elle ait atteint sa majorité, d’ici à deux ans, il était fort probable que sa mère, la duchesse de Kent, soit nommée régente. Sir John Conroy, son bon ami, gouvernerait à ses côtés. Victoria contempla le plafond. Conroy ressemblait à cette araignée : il avait tissé sa toile partout dans le palais. Sa mère s’était aussitôt laissé prendre, mais la jeune fille se jura que l’heure venue, elle-même ne se laisserait pas piéger.

Elle frissonna malgré la douceur de ce matin de juin. Chaque semaine, à l’église, elle priait pour la santé de son oncle le roi. Mentalement, elle ajoutait systématiquement une infime requête au Seigneur Tout-Puissant : s’il décidait de reprendre Sa Majesté le roi Guillaume IV en son sein, pouvait-il patienter jusqu’à son dix-huitième anniversaire ?

Victoria ne savait pas clairement ce que signifiait être reine. Elle avait suivi les leçons d’histoire de sa gouvernante Lehzen, ainsi que les exposés du doyen de Westminster sur la constitution, mais personne ne parvenait à lui expliquer ce à quoi une reine employait ses journées. Son oncle le roi semblait passer le plus clair de son temps à priser du tabac et à se plaindre de ce qu’il appelait les « foutus whigs ». Victoria ne l’avait vu avec sa couronne qu’une fois ; et c’était seulement parce qu’elle lui avait demandé de la mettre. Il lui avait expliqué qu’il la portait pour ouvrir les séances au Parlement et lui avait demandé si elle aimerait l’y accompagner. Victoria avait répondu que ça lui plairait beaucoup ; mais sa mère avait décrété qu’elle était trop jeune. Plus tard, Victoria avait entendu maman en discuter avec sir John ; elle regardait un album d’aquarelles derrière le canapé et ils n’avaient pas remarqué sa présence.
— Comme si j’allais permettre qu’on voie Drina en public en compagnie de cet affreux vieux gâteux ! s’était exclamée sa mère« s’était exclamée sa mère avec mauvaise humeur.
— Plus vite il se soûlera à mort, mieux ce sera, avait affirmé sir John. Ce pays a besoin d’un monarque, pas d’un bouffon.
La duchesse avait poussé un soupir.

— Pauvre petite Drina ! Elle est si jeune pour endosser une telle responsabilité.

Sir John avait posé la main sur le bras de la duchesse en déclarant :
— Mais elle ne régnera pas seule. Vous et moi, nous nous assurerons qu’elle ne fasse rien de stupide. Elle sera entre de bonnes mains.
Sa mère avait minaudé, comme toujours dès que sir John l’effleurait :
— Ma pauvre petite orpheline de père. Quelle chance elle a de vous avoir, vous, un homme qui la soutiendra en toute occasion.

Victoria entendit des pas dans le couloir. D’habitude, elle devait rester au lit jusqu’au réveil de sa mère ; mais ce jour-là, elles se rendaient à Ramsgate pour respirer l’air marin et elles devaient partir à 9 heures. La jeune fille avait tellement hâte de s’en aller ! À Ramsgate, au moins, elle pourrait regarder par la fenêtre et apercevoir de véritables gens. Là, à Kensington, elle ne croisait jamais personne. La plupart des jeunes filles de son âge avaient fait leur début en société, à présent ; mais sa mère et sir John affirmaient qu’il était trop risqué pour elle de se trouver en contact avec des personnes de son âge.

— Votre réputation est précieuse, décrétait régulièrement sir John. Une fois souillée, elle le sera pour toujours. Une jeune fille comme vous commet forcément des erreurs. Mieux vaut ne pas vous laisser cette occasion.
Victoria ne répliquait jamais ; elle avait appris il y avait bien longtemps que protester ne servait à rien. La voix de Conroy pesait toujours plus que la sienne et sa mère le soutenait systématiquement. La seule chose que la jeune fille pouvait faire, c’était attendre.

Sa mère, comme à son habitude, mit une éternité à s’habiller. Victoria et Lehzen étaient déjà assises dans la voiture lorsque la duchesse émergea avec Conroy et sa dame d’honneur, lady Flora Hastings. Victoria les aperçut tous les trois sur le perron, en train de rire. À la manière dont les deux femmes lancèrent un coup d’œil vers sa voiture, Victoria sut qu’elles parlaient d’elle. Ensuite, la duchesse chuchota quelque chose à lady Flora, qui descendit l’escalier en direction de la calèche.

— Bonjour, Votre Altesse Royale, madame la baronne, salua-t-elle en grimpant dans le fiacre.
Lady Flora était une femme aux cheveux blond cendré, qui approchait de la trentaine et gardait toujours une Bible en poche.

— La duchesse m’a demandé de vous accompagner, vous et la baronne, jusqu’à Ramsgate, les informa-t-elle en découvrant ses gencives. J’ai songé que cela nous offrirait l’occasion d’étudier ensemble quelques points du protocole. Lorsque mon frère est venu nous rendre visite l’autre jour, j’ai remarqué que vous vous adressiez à lui en le nommant Monseigneur. Mais vous devez savoir que seuls les ducs sont appelés ainsi. Un simple marquis comme mon frère… (à cet instant, les gencives de lady Flora se firent encore plus proéminentes) n’a pas droit à un tel titre d’honneur. Il s’est montré ravi, bien entendu — tous les marquis désirent devenir ducs ! — mais j’ai pensé qu’il était de mon devoir de vous informer de votre erreur. C’est bien peu de chose, je le sais, mais ce genre de détail est important ; je suis certaine que vous m’approuverez.

Victoria ne dit rien, mais elle jeta un coup d’œil furtif à Lehzen, manifestement aussi contrariée qu’elle par l’intrusion de lady Flora. Celle-ci se pencha en avant.
— Bien entendu, baronne, vous avez été une gouvernante exemplaire, susurra-t-elle ; mais il existe des nuances qu’en tant qu’allemande, vous ne pouvez comprendre.

En voyant la mâchoire de Lehzen se crisper légèrement Victoria déclara :
— Je crois que j’ai la migraine. Je vais essayer de dormir.
Flora acquiesça, bien que clairement contrariée de ne pouvoir souligner davantage les manquements de ses compagnes de voyage. En voyant la déception s’afficher sur son visage cireux, Victoria ferma les yeux, soulagée. Tout en s’assoupissant, elle se demanda pour la énième fois pourquoi sa mère choisissait toujours de partager une voiture avec sir John et jamais avec sa propre fille.

Si dans la voiture, sa migraine avait été un prétexte pour éviter les insupportables sermons de lady Flora, Victoria commença à se sentir réellement mal le deuxième jour de son séjour à Ramsgate. À son réveil, elle avait si mal à la gorge qu’elle parvenait à peine à déglutir.
Elle se rendit près du lit de sa mère. La duchesse dormait profondément. Victoria dut lui pousser l’épaule assez brusquement avant que celle-ci n’ouvre les yeux.
Was ist los, Drina ? s’enquit-elle, agacée. Pourquoi me réveillez-vous ? Il est encore si tôt !
— J’ai mal à la gorge, maman, et j’ai une affreuse migraine. Je crois qu’il faudrait que je consulte un docteur.
La duchesse soupira et se redressa dans son lit. Elle posa la main sur le front de Victoria. Sa paume était fraîche et douce. La jeune fille s’y appuya avec l’envie soudaine de s’allonger et de nicher la tête sur l’épaule de sa mère. Peut-être cette dernière la laisserait-elle entrer dans son lit ?

Ach, tout est normal. Vous exagérez toujours, Drina.
La duchesse posa sa tête pleine de papillotes sur l’oreiller et se rendormit aussitôt.
Lorsque Lehzen aperçut la grimace de Victoria qui s’efforçait d’avaler son thé à la table du petit déjeuner, elle se précipita vers elle.
— Quel est le problème, Altesse ? Vous ne vous sentez pas bien ?
— J’ai mal quand je déglutis, Lehzen.

Bien que son plus grand plaisir à Ramsgate consiste à marcher sur la promenade en admirant la mer et les robes des autres dames en compagnie de Dash, son épagneul, qui courait entre ses jambes, ce jour-là, tout ce que désirait Victoria, c’était s’allonger dans une pièce fraîche et obscure.
Cette fois, ce fut au tour de Lehzen de poser la main sur le front de son élève. Sa paume était plus chaude et moins douce que celle de sa mère, mais elle était réconfortante. Lehzen grimaça, donna une pichenette sur la joue de la jeune fille, puis elle se dirigea vers la duchesse qui buvait son café à une table dans la verrière en compagnie de sir John et lady Flora.

— Madame, je pense que nous devrions faire venir le docteur Clark de Londres, dit la baronne. Je crains que la princesse ne soit souffrante.
— Oh, Lehzen, vous faites toujours des histoires ! J’ai moi-même touché le front de Drina ce matin et tout allait très bien, répliqua la duchesse.
— Convoquer le Médecin royal de Londres alarmerait tout le monde, intervint Conroy. Nous ne souhaitons pas que les gens croient la princesse délicate. Si elle est réellement souffrante — et je dois dire que personnellement, elle me semble en parfaite santé –, alors mieux vaut consulter un médecin local.
Lehzen fit un pas vers sir John.
— Je suis en train de vous dire, sir John, insista-t-elle, que la princesse doit voir un docteur, et un bon. Qu’importe ce que pensent les gens si sa santé est menacée ?
La duchesse leva les mains en l’air et déclara de son fort accent allemand :
— Oh, baronne, vous exagérez toujours ! Il ne s’agit que d’un coup de froid estival : il n’y a aucune raison d’en faire toute une histoire.
Lehzen s’apprêtait à protester, mais la duchesse l’interrompit de la main.
— Baronne, je crois savoir ce qui est le mieux pour ma fille, décréta-t-elle.

Conroy acquiesça de sa voix de baryton :
— La duchesse a raison. La princesse a tendance à jouer la malade, comme nous le savons tous.

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