Paroles d’auteur avec Jade Lyrix : voyez-moi comme une espèce en voie de disparition

Éditions Numeriklivres
Éditions NL
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6 min readFeb 17, 2016

5e roman à paraître dans la collection « L’Intime » dirigée par Anne Bert aux Éditions Numeriklivres, le primo-roman de Jade Lyrix ne laissera personne indifférent. L’auteur y aborde avec délicatesse et sobriété le thème du dédoublement de la personnalité et nous fait entrer dans l’intimité du cœur de la relation amoureuse obsédante d’une jeune femme avec son père. Une œuvre forte, envoûtante qui ne verse pas dans un voyeurisme facile, c’est même tout le contraire. Mais qui se cache derrière Jade Lyrix. Anne Bert a tenté, pour nous, pour vous, de percer le mystère…

Quelque chose m’intrigue depuis que vous m’avez révélé la date d’écriture de ce texte. Votre roman, très original dans la façon dont il est traité, décrit avec beaucoup de justesse et de maîtrise, le déséquilibre psychique sur le fil du basculement, au rebord extrême de la chute. Tous les personnages secondaires cernent fort bien la double personnalité de votre héroïne, Lilith. De plus, sa psy en livre une analyse très fine. Lilith, elle, décrit ses fantasmes passionnés avec une précision charnelle et émotionnelle très forte. Enfin, la lettre de l’ancien amant de Lilith est tout simplement merveilleuse. C’est très fort tout ça, or… vous avez écrit ce texte à l’âge de 17 ans ! Alors, dites-moi comment peut-on à cet âge-là, écrire un tel texte, si profond et si mature ?

Oui, j’étais très jeune lorsque j’ai écrit ce texte. Le manque d’expérience de la vie sentimentale ne fut pas un problème, car l’imagination était d’autant plus grande et puissante. Je n’ai fait que cristalliser des émotions passagères qui me parurent à cet instant précis aptes à véhiculer mes propres perceptions. Certes, un travail de fond a eu lieu en cours d’écriture mais il n’en résulte pas moins d’une analyse personnelle de ma propre imagination que j’ai poussée à son paroxysme. Comment aurai-je réagi dans cette situation, en ayant ce ressenti dans la peau et à l’âge de Lilith, avec ces valeurs éducatives ?

J’avais alors une imagination beaucoup plus obscure, j’étais très renfermée, peu de choses sont véritablement réelles à cette étape adolescente de la vie, alors il est vrai qu’il m’a été d’autant plus facile d’écrire et de définir un mal-être profond. Les questions existentielles, pourquoi suis-je ici… que suis-je supposé faire… tout cela au final a enrichi la vie de mon personnage principal qu’est cette jeune femme, Lilith.

Quel est votre parcours personnel et littéraire ? D’où vous vient le goût de l’écriture ?

J’ai suivi un cursus littéraire, mais je ne pense pas avoir choisi cette branche à cause de l’écriture, cela m’a permis surtout de satisfaire au mieux mon énorme soif de connaissance sur la vie en général.

L’amour que je porte à l’écriture me vient de ma petite enfance, car il est vrai que très tôt j’ai eu la chance d’avoir des livres entre les mains, j’ai commencé à écrire ou plutôt à jeter des mots sur des feuilles dès l’âge de 4 ans.

4 ans ? Vraiment ? cela paraît si incroyable…

C’est pourtant vrai, les circonstances familiales ont fait que j’ai su lire juste après avoir appris à parler. Lire, écrire, c’était comme respirer. Je suis tombée follement amoureuse de certaines lectures, j’ai passé mon temps à dévorer des textes et n’ai plus cessé ni de lire ni d’écrire pendant toute mon enfance et mon adolescence.

Alors mes références littéraires sont très diversifiées, mais en regardant de plus près dans ce diapason littéraire, la même sonorité en ressort toujours : celle d’une obsession profonde, qui pour moi est le moteur de l’écriture.

Et quels sont les auteurs qui vous ont marqué ?

J’affectionne tout particulièrement les auteurs de l’ère Meiji …

L’ère Meiji ?

Oui, la période de modernisation du Japon au début du 20e. Une révolution dans l’art japonais. Kawabata, Junichiro Tanizaki, Soseiki. Ils sont pour moi, les maîtres de la littérature sentimentale et érotique. Ressentez la vibration qui ressort de leurs œuvres et vous verrez que ces écrivains ont véritablement su cristalliser l’essence même de l’émotion afin de la transposer par écrit.

Et puis des auteurs austro-hongrois tels que Zweig, et Sandor Maraï pour son œuvre « Les braises » d’une profondeur à couper le souffle. Je trouve cela admirable dans la mesure où cette nouvelle décrit un moment précis dans la vie du colonel et… lorsque, que confronté à son hôte, ils se parlent avec de longs silences que l’on imagine, on se rend compte qu’il n’est pas nécessaire de parler, pour comprendre les choses… or, une fois de plus, cette prouesse technique fut réalisée avec des mots.

J’apprécie également Tolstoï, Dostoïevski, Nabokov. Il y a toujours eu pour moi, chez ces auteurs, un point commun. Je les voyais comme étant habités, un « Furor » au fond d’eux qui leur faisait écrire des œuvres pénétrantes au point d’effacer les mots qu’ils utilisaient, ils trifouillent dans l’âme et en ressortent comme avec une canne à pêche, une sensation que l’on ne pensait même pas éprouver. Mes autres influences proviennent de philosophes comme Jamblique, Henry Bergson qui avec son œuvre « Matière et mémoire » m’a énormément apporté en terme de ressource pour définir les émotions que je souhaitais donner à Lilith.

Cela fait rêver, à une époque où l’on parle de générations incultes… Vous aviez donc déjà engrangé de la matière pour écrire et vous êtes forgée une maturité très précoce pour écrire un tel roman. Cela reste impressionnant, d’avoir pu écrire un tel texte. Le cheminement de vie de Lilith est chaotique, mais ce qui marque le roman, au-delà de l’attirance irraisonnée incestueuse, c’est d’une part l’analyse du dérèglement psychique, et d’autre part le langage des corps et de ses pulsions sensuelles et sexuelles, car certaines descriptions sont très crues. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre volonté de traiter ces sujets obscurs ?

Je vous ai parlé de mon imagination obscure qui s’est manifestée très tôt. Et c’est justement à cause de mon incompréhension que généralement l’humain se fait de son corps, que me vint l’idée d’amplifier le regard que Lilith porte à ses pulsions.

Ne pas être en accord avec son apparence physique crée de facto un problème psychologique, alors, intégrer le trouble mental à cela, il ne peut en résulter qu’une émulsion négative d’impression malsaine…

…que vous avez eu envie de fouiller ?

J’ai voulu explorer les anfractuosités psychiques et les remonter à la surface du corps, cela donne un déferlement semblable à un tsunami dont la secousse part des entrailles de la Terre pour détruire tout ce qui se trouve à la surface. C’est exactement ce que fait Lilith. Lilith est avant tout un reflet de notre miroir interne. Celui qui comporte, selon différentes perspectives, nos défauts, nos qualités, nos valeurs, nos penchants, nos multiples états d’esprit, nos différents« moi ». C’est ce qui est très intéressant avec Henry Bergson, car il parle du moi d’hier et celui d’aujourd’hui. Lilith elle, se perd entre celle d’hier, lorsqu’elle se regarde aujourd’hui pour se rattacher à celle de demain. J’ai voulu montrer la fêlure qu’il y a sur ce miroir dès lors où un problème plus profond fissure l’image de sa propre personne depuis la plus tendre enfance.

Et pourquoi, précisément l’inceste ?

Il s’agissait pour moi d’amplifier l’intimité de la relation père-fille devenue adulte. Je trouvais, lorsque j’ai écrit ce texte, c’est à dire à 17 ans donc, que la barrière qui s’instaure à un certain âge entre une fille et son père pouvait, dans un contexte particulier, se voir être brisée. Cela m’a permis de vraiment appuyer sur les troubles qu’avait Lilith dans sa vie. Son père représente ce qu’elle est, elle s’identifie, et il véhicule tout ce dont elle croit avoir besoin. Mais comme on peut le constater, il y a quand même un clivage entre sa conscience et sa volonté. C’est ce qu’il est intéressant d’explorer.

Est-ce quelque chose que vous avez vécu vous-même ou cela reste-t-il une fiction ?

Une fiction. C’est un roman, pas un récit ni un témoignage.

Vous écrivez sous pseudo, pourquoi ce choix ?

J’écris sous un pseudonyme, oui, c’est un peu comme mon personnage. J’aime l’obscurité, la discrétion, la nuit, les ténèbres et un brin de lumière permet de lire ce que je cherche à définir pour, peut-être, se faire une idée de moi.

J’apprécie la phrase de Murakami qui dit, je cite : « Voyez-moi comme une espèce en voie de disparition Lisez moi, je suis comme tout le monde, je me trouve en tout à chacun selon les jours ».

Propos recueillis par Anne Bert

L’amour que nous ne ferons jamais ensemble de Jade Lyrix est disponible au format numérique et papier. Toutes les infos sur le site des Éditions Numeriklivres

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