Être assuré en 2030… et si ce n’était plus possible ?

Margaux Angelloz-Nicoud
Eficiens Insights
Published in
8 min readNov 28, 2019

La transformation digitale. Actuellement, cette expression met le monde de l’assurance sens dessus dessous. Transition délicate à opérer pour les grands acteurs traditionnels, émergence des assurtech, élaboration de nouveaux modèles, etc., les questionnements sont nombreux dans un secteur effervescent qui se situe clairement à la croisée des chemins. Les enjeux sont évidents, mais ne doivent cependant pas faire oublier d’autres priorités.

En effet, un autre thème, au moins tout aussi important, émerge en toile de fond : le changement climatique. Aujourd’hui, l’habitabilité de notre planète n’est pas assurée. Ici, ce n’est pas seulement un secteur, mais l’humanité qui se trouve à un carrefour de son histoire. Le droit à l’erreur n’existe pas et l’urgence de la situation commande des actions radicales et rapides. Inévitablement, l’assurance en 2030 ne pourra plus ressembler à ce qu’elle est aujourd’hui.

Les acteurs du secteur, au-delà de la responsabilité morale qui leur incombe, ont entre les mains de puissants leviers pour agir sur ce terrain. Entre transformation numérique et transition écologique, entre barrières à surmonter et opportunités à embrasser, embarquons pour une réflexion sur le défi d’un siècle.

L’ASSURANCE, PROCHAINE ESPÈCE EN VOIE DE DISPARITION ?

« Une augmentation de deux degrés de la température moyenne dans le monde peut encore être assurable, mais ce qui est certain, c’est qu’une hausse de quatre degrés ne l’est pas. » La menace, brandie par Henri de Castries en 2015 à l’occasion de la COP 21 en 2015, a marqué les esprits. Il mettait alors des mots sur un enjeu que beaucoup se refusaient à envisager sérieusement jusqu’alors : la capacité à assurer l’habitabilité de la Terre face au dérèglement climatique.

L’augmentation de la fréquence comme de l’impact des catastrophes naturelles (ouragans, incendies, séismes, etc.), associée à l’importance croissante prise par la question écologique dans la sphère sociétale, donnent encore plus de poids au discours de l’ancien PDG d’AXA. Les perspectives ne sont guère réjouissantes, et il s’agit là d’un doux euphémisme. En effet, en maintenant les politiques actuelles, le réchauffement dépasserait la barre des 3°c à l’horizon 2100 et de nombreuses études alertent sur le fait que l’on approche de plus en plus du point de non retour. A tel point que se pose la question suivante : l’assurance en 2030 existera-t-elle toujours ?

DEUX SCÉNARIOS NOIRS POUR L’ASSURANCE

Côté assurance, les conséquences pourraient également être dramatiques. Deux scénarios « noirs » émergent :

• face à la difficulté à évaluer les risques — les 5 critères de couverture traditionnels étant mis à mal — et la récurrence accrue des événements, les assureurs — et réassureurs — se montrent plus frileux. A terme, ils pourraient même refuser de prendre en compte certains risques. Des populations entières, notamment les plus démunies, seraient exclues de toute couverture. Ainsi, des pans entiers du business s’écrouleraient tel un iceberg irradié par les rayons du soleil.

• les catastrophes sont de plus en plus imprévisibles et puissantes. Le coût des sinistres à rembourser devient dès lors hors de contrôle et si exorbitant qu’il force de nombreux assureurs à mettre la clé sous la porte. La réplique d’un scénario façon 11 septembre n’est à souhaiter ni pour la planète, ni pour les assureurs, ainsi que le soulignait récemment le Financial Times.

Les acteurs du monde de l’assurance vont-ils droit dans le mur ? Si les inquiétudes sont réelles et justifiées, nous aurions toutefois tort de sombrer dans le fatalisme. Plusieurs discours et initiatives laissent en effet croire à une prise de conscience des enjeux, prélude nécessaire à l’enclenchement d’un plan d’action global capable de redessiner les contours de l’assurance en 2030.

DE LA MAIF À DESCARTES UNDERWRITING, DES PREMIÈRES INITIATIVES REMARQUÉES

L’annonce, rendue publique en juin 2019, n’a pas échappé aux professionnels du secteur. La MAIF, dans un communiqué, annonçait alors son souhait de revêtir le statut d’ « entreprise à mission » dès 2020. Loin d’être un simple coup de com’, ce positionnement s’inscrit dans une démarche d’engagement sociétal qui figure dans l’ADN de l’assureur niortais. Il a également le mérite de poser un cadre qui permettra à l’entreprise de multiplier les actions et d’endosser un rôle de locomotive sur ces sujets. D’autres acteurs, à l’image de La Parisienne, vont d’ailleurs rapidement suivre le mouvement.

PASCAL DEMURGER : « JE SUIS PERSUADÉ QUE NOS CONCITOYENS CHOISIRONT LA MAIF PLUTÔT QU’AMAZON »

Pascal Demurger a, de plus, compris que transition écologique rimait désormais avec réalité business. Les attentes des consommateurs envers les marques évoluent. 1/3 des Français attendent ainsi qu’elles changent le monde, mais ils sont globalement déçus jusqu’à présent. Le charismatique PDG de la MAIF sait dès lors qu’il a tout intérêt à aller plus loin sa démarche.

Il trouve en outre dans cet engagement le cœur d’un plan de bataille pour anticiper l’arrivée probable des GAFA dans le secteur : « Mon pari est qu’une majorité de nos concitoyens fera plutôt le choix de s’assurer à la MAIF en raison de tous ses engagements plutôt que chez Amazon », prédisait-il ainsi en septembre dans les colonnes du Parisien.

Si la MAIF fait figure d’exemple à suivre en matière d’engagement sociétal, elle n’est pas la seule à mener des projets. Ainsi, la Macif ou la BNP mènent, entre autres, des initiatives remarquées en la matière. Parmi les acteurs émergents, le positionnement de Luko retient également l’attention. La jeune startup, spécialiste de l’assurance habitation, a en effet obtenu une certification B Corp qui engage l’entreprise dans un modèle qui recherche le meilleur équilibre entre performance économique et impact sociétal.

LE PARAMÉTRIQUE : UNE RÉPONSE TECHNIQUE À LA PROBLÉMATIQUE CLIMATIQUE

A l’étranger, Allianz refuse dorénavant de couvrir les producteurs de charbon et s’est engagé, en compagnie de Zurich et Swiss Re notamment, à recourir à l’investissement vert d’ici 2050. Aux Etats-Unis, nation clairement en retard sur le sujet, c’est Lemonade qui assume le rôle de fer de lance du mouvement. L’assurtech vedette redistribue les primes non versées à une association œuvrant pour le climat et a depuis 2018 pris l’engagement ferme de ne pas investir dans le charbon.

Le paramétrique est un autre vecteur d’action important face au changement climatique. Grâce aux nouvelles technologies, les assureurs ont à disposition de précieux atouts pour concocter des produits adaptés et aider à la prévention, comme à la protection, des populations. Parmi les acteurs traditionnels, Axa, par exemple, creuse dans cette direction. Des jeunes pousses comme Descartes Underwriting, élue Insurtech de l’année 2019, ou les Américains de World Cover, élaborent également des solutions innovantes allant en ce sens.

Toutes ces initiatives suggèrent le début d’une prise de conscience. Toutefois, si le secteurveut pouvoir générer un impact profond, il va devoir se regrouper, passer la vitesse supérieure et mettre la question assurance en 2030 au centre de la réflexion. Et rapidement.

L’ASSURANCE EN 2030 OU LE JOUR D’APRÈS : ET SI L’ASSURANCE PRENAIT LE LEAD POUR ORCHESTRER LE CHANGEMENT ?

Alors que la révolution numérique transcende littéralement nos vies en ouvrant la porte à un univers de possibles — pour le meilleur et pour le pire –, la prospective est en train, parallèlement, de devenir un sujet très discuté. Des médias à l’instar de l’excellent Usbek et Rica, des projets comme l’Institut des futurs souhaitables ou des événements tel le ChangeNOW 2020 prévu à Paris, proposent ainsi des espaces de réflexion et recherchent des solutions concrètes pour relever les défis d’un monde qui évolue à toute vitesse.

UN MOMENTUM À SAISIR

Ces problématiques, on l’a vu, sont loin d’être étrangères aux professionnels de l’assurance et même clairement identifiées par la majorité d’entre eux. Les actions, cependant, demeurent globalement trop légères et superficielles. Comment, désormais, aller plus loin ? En adoptant, dans un premier temps, une vision à long terme essentielle pour faire évoluer les mentalités et structurer les projets. La RSE, c’est bien, mais ces pratiques ne peuvent consister en un simple rapport de fin d’année ou la mise à disposition d’un garage à vélos dans les locaux de l’entreprise. Cette dernière est aujourd’hui appeler à s’engager « pour de vrai ». Il faut, aussi, que les acteurs cessent de jouer chacun dans leur coin, et considèrent un front commun pour élaborer des réponses appropriées.

« Assureurs, vous êtes dans un momentum, vous avez un boulevard et un pouvoir extraordinaire pour changer le secteur : le digital », lançait Joëlle Durieux, DG de Finance Innovation, en conclusion de la Insurtech Business Week 2019. Un cri du cœur qui permet de tisser une autre passerelle : après la transformation numérique viendra la transition écologique, et les deux ne doivent pas être juxtaposées. Bien au contraire, la première doit se mettre au service de la seconde. Dessiner le nouveau visage de l’assurance en 2030 passera inévitablement par là.

L’ASSURANCE, LA LOCOMOTIVE ÉVIDENTE

Diverses pistes peuvent être considérées. La gestion financière et le recours à la finance verte en est une malgré les incertitudes qui entourent cette dernière. Miser sur les dynamiques de coalition en représente une autre, peut-être encore plus évidente. Un enjeu RH émerge également, avec la nécessité d’attirer cerveaux et compétences pour avancer. Et l’assurance possède assurément, avec l’écologie, un atout charme de poids pour séduire les jeunes talents.

L’humanité est aujourd’hui parvenue à l’âge adulte et cette évolution inquiète certains, comme Jeff Bezos, car elle va un moment devoir arrêter de grandir pour assurer sa survie. Cette maturité doit toutefois être entrevue comme une chance, et une opportunité de changer le paradigme de l’assurance. Par essence, son ADN est la protection. Le futur qui s’ouvre devant nous inquiète, et c’est là qu’elle doit agir, prendre les choses en main et endosser un costume de leader en donnant une impulsion décisive à un changement nécessaire. Son rôle sera, à n’en pas douter, prééminent dans les décennies à venir. Après avoir passé des siècles à aider les gens à ne pas rater leur vie, si elle aidait dorénavant la vie à réussir ?

Article écrit en collaboration avec Alexandre Jubien

VEILLE ASSURANCE EN 2030 / CLIMAT

29/11/19 : Assurance : le régime « Cat Nat » sera-t-il réformé avant 2022 ? (La Tribune)

27/11/19 : AXA monte en puissance dans la lutte contre le dérèglement climatique (Les Echos)

18/11/19 : Climat : les assureurs financent trois nouveaux fonds d’investissement (L’Argus de l’assurance)

24/10/19 : « Climate change is hitting the insurance idustry hard. Here’s how Swiss Re is adapting » (Fortune)

20/10/19 : « Le changement climatique va-t-il nous priver d’assurance ? » (The Conversation)

09/09/19 : « Why climate change is the new 9/11 for insurance companies ? » (Financial Times)

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