2010–2020 : 10 ans et 10 chocs de transformation pour l’assurance

Margaux Angelloz-Nicoud
Eficiens Insights
Published in
9 min readDec 20, 2019

L’année touche à son terme et, ainsi que le veut la coutume, nous avons réfléchi à un traditionnel bilan de saison. Ce cru 2019 est toutefois très particulier car il marque aussi la fin d’une décennie. Et quelle période fut-ce pour l’assurance ! Jamais, dans son histoire, elle n’avait connu de tels bouleversements sur un temps si court. La transformation digitale a complètement redistribué les cartes dans un secteur que l’on qualifiait volontiers, jusqu’alors, de conservateur.

Apparition du mobile, redéfinition des stratégies marketing et de la relation client, importance croissante de Google, émergence des assurtech, réflexion sur l’utilité des réseaux d’agences etc. Que retenir de ces grands changements ? Nous avons posé la question aux professionnels du secteur et aux experts Eficiens. Leurs réponses sont compilées dans cet article qui fera office de synthèse des années 2010–2020, cette décennie qui a tout changé pour l’assurance.

DES BUSINESS MODELS EN TRANSFORMATION PROFONDE POUR L’ASSURANCE EN 2020

CHOC 1 | « LA FINANCIARISATION DE L’ASSURANCE EST UN FACTEUR CLÉ DE LA PERTE D’EFFICACITÉ DU SECTEUR »

Par Guillaume Rovère — Fondateur et CEO d’Assurdeal

« Je considère que le fait majeur des dix dernières années dans le secteur de l’assurance réside dans sa prise de contrôle par les financiers. Cela a pour impact de réduire l’assurance à un bilan comptable à court terme alors que les dirigeants bénéficiant d’une culture assurantielle historique, avaient une notion relative plus prospective au temps.

Ainsi, puisque l’assurance doit rapporter à chaque exercice, des pans entiers de notre métier et des risques sont sacrifiés sur l’autel de la « rentabilité » à court terme.

A contrario, en Asie, l’assurance est encore ce socle sociétal fédérateur, destiné à assurer l’audace des économies dynamiques.

De grands capitaines d’industrie du secteur de l’assurance ont été remplacés par d’anciens banquiers ou financiers. Aujourd’hui, rares sont ceux qui portent encore une réelle vision. Pascal Demurger, Directeur général du groupe MAIF, est l’exemple d’une espèce d’assureur en conscience, tendant à disparaître. »

CHOC 2 | « AFFINITAIRES PAR NATURE, LES ASSURANCES ONT TROUVÉ UN TERRAIN DE JEU IDÉAL SUR LE WEB »

Par Emmanuelle Eymard — Associée Eficiens

Qui l’aurait cru en 2010 ? Les assureurs sont en train de devenir de mini-réseaux sociaux agrégeant des communautés engagées et les animant sur des forums. La Mutuelle des Motards en est l’archétype mais savez-vous que la MACSF et bien d’autres comme AXA ou Allianz ont déjà pris la même direction. La méthode est toujours identique : ouvrir un espace de discussion type forum et l’animer pour que les sociétaires s’entraident entre eux. L’essence même du modèle mutualiste.

CHOC 3 | « EN 2010, L’ASSURANCE N’ÉTAIT CLAIREMENT PAS À LA MODE »

Par Alexandre Rispal — Chief Revenue Officer chez La Parisienne Assurances

« Le paysage de l’assurance s’est profondément transformé en 10 ans. En 2010, les assureurs appréhendaient avec méfiance les applications et n’avaient aucune idée de la manière d’utiliser l’ovni Facebook.

Les premières tentatives d’innovations avec le Pay As You Drive ou le Pay How You Drive faisaient sourire le marché. « Tout ça c’est bien joli, mais quand j’ai commencé, on parlait déjà d’auto au kilomètre, Ah Ah Ah ! Repassez me voir dans 20 ans jeune homme et on en rigolera ensemble », pouvais-je entendre fréquemment. En 2010, il fallait bien du courage pour lancer des idées innovantes ou rejoindre le secteur de l’assurance. Clairement, ce n’était pas à la mode.

En 2020, les innovations foisonnent dans le monde entier : de San Francisco à Shanghai, de Delhi à Singapour, en passant par Tel-Aviv, Zurich, Londres, Berlin, Paris. Les Insurtechs se multiplient et les acteurs historiques se transforment. La technologie et la réglementation n’ont plus rien à voir avec le début de la décennie, le profil des salariés de l’assurance a profondément évolué, plus pointu, plus technologique, venant d’horizons variés.

Ma conviction est que tout cela n’est que le début d’un profond changement qui s’accélère chaque jour plus rapidement. L’adaptation par la remise en cause perpétuelle sera la clé du succès pour réussir et être toujours là en 2030. »

CHOC 4 | « LES ASSURANCES SE SONT DÉCOUVERTES UN SUPER-VENDEUR, GOOGLE »

Par Pauline Pinault — Directrice de Clientèle Eficiens

En 2010, le modèle de vente des assurances était bien rodé. Des conseillers en agence, un peu de call center et c’était à peu près tout.

En 2020, le premier apporteur de leads au monde est tout simplement Google ! Et çà fait une sacrée différence. Il faut maintenant maîtriser le SEA, les parcours, l’AB testing, l’UX, une souscription 100% digitale, le SEO et ses arcanes. Une vraie révolution culturelle qui n’est pas finie. Car, même si, comme le disait Abraham Lincoln « Don’t change horses in the middle of a stream » (Ne changez pas de chevaux au milieu du gué), certains assureurs sont à peine au début de leur transformation digitale commerciale. Le gué est loin d’être franchi !

(Nous avons plusieurs articles sur le sujet : SEO, parcours UX et contenu)

CHOC 5 | « MONTÉE EN PUISSANCE DE LA CHINE, PRISE DU CONSCIENCE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, AFFIRMATION D’UN MODÈLE PHYGITAL EN FRANCE »

Par Tanguy Touffut — CEO et co-fondateur de Descartes Underwriting

Plusieurs idées me viennent à l’esprit. Les voici :

Dans le monde :

  • Le changement de paradigme imposé par les taux d’intérêts bas voire négatifs : d’une logique de résultats financiers à celle de résultats techniques dans l’assurance non-vie
  • La montée en puissance de la Chine dans le marché de l’assurance mondiale à la fois par la taille de son marché, ses champions et son écosystème d’InsurTechs
  • La naissance de licornes dans l’InsurTech
  • La prise de conscience du poids du changement climatique sur le secteur de l’assurance non-vie
  • Le début de la révolution liée aux données
  • Le bouleversement de la nature des risques dans les lignes commerciales : du property & casualty au casualty & property avec l’accroissement des dommages non matériels

En France :

  • L’affirmation d’un modèle « phygital » avec la résistance et la mutation des réseaux physiques

CHOC 6 | « L’ENJEU CLIMATIQUE, UN NOBLE DÉFI, TAILLÉ POUR L’ASSURANCE »

Par Alexandre Jubien — Consultant, spécialiste en innovation digitale et prospective

Si la décennie 2010–2020 a été celle de la transformation numérique, celle à venir sera assurément celle de la transition écologique. La société est en train — enfin ! — de s’éveiller à l’enjeu du dérèglement climatique, une expression pour beaucoup synonyme d’angoisse.

Pourtant, et si au lieu d’avoir peur, nous entrevoyons les choses sous un angle plus positif, celui d’une opportunité ? L’opportunité de s’améliorer, de changer, d’évoluer dans le bon sens, tout simplement. Tous les secteurs sont concernés, de l’industrie à la finance, en passant, évidemment, par l’assurance.

Cette dernière a même un rôle clé à endosser. Eu égard à sa nature de protection, elle est la locomotive évidente qui doit orchestrer ce grand changement nécessaire. Une prise de conscience s’est opérée dans l’écosystème ces dernières années et plusieurs initiatives intéressantes ont déjà vu le jour. Il y a maintenant nécessité à accélérer et aller plus loin. L’assurance a d’ailleurs tout à gagner. Redorer son image, devenir « sexy » aux yeux de la société et des talents, et remplir sa tâche la plus noble : aider la vie à réussir.

DES ÉVOLUTIONS FORTES DANS LA RELATION CLIENT

CHOC 7 | « L’ASSURÉ EST DEVENU UN CLIENT »

Par Christophe Dandois — CEO et co-fondateur de Leocare

« Avec l’arrivée des néo-assurances, l’assuré est devenu un client. Aujourd’hui, il interagit en temps réel et de manière multicanale avec son assurance, comme avec tous ses services du quotidien.

L’émotion et la satisfaction entre les 2 parties se matérialisent enfin.

La personnalisation et la proximité sont une réalité. »

CHOC 8 | « D’INCONTOURNABLES LES AGENCES D’ASSURANCE VONT-ELLES DEVENIR ACCESSOIRES ? »

Par Francis Mahut — Associé Eficiens

Le monde de l’assurance — tout comme la banque — a traditionnellement été est très gros acteur de présence physique à travers tout le territoire. Hormis quelques acteurs en assurance directe, souscription et gestion d’un contrat passait en 2010 naturellement par l’agence. 10 ans plus tard, les agences sont vides et le « drive2store » se cherche encore. Quelle expérience offrir quand un client d’une assurance ou d’une mutuelle se déplace physiquement ? Les agences de proximité sont trop souvent désertées, comment faire revenir le client ? Et enfin, peut-on apporter une réponse monolithique entre une agence d’une petite ville rurale et une agence phygitale du plein centre de Paris ? Pas sûr. Mais il va falloir trouver des réponses… vite.

(voir notre article sur le sujet agence assurance)

CHOC 9 | « LA PRINCIPALE MUTATION ? CELLE DU MODÈLE LUI-MÊME ! »

Par Aline Dumont — Responsable de la communication externe et du social media chez AXA Partners

« La principale mutation dans le secteur de l’assurance est la transformation du modèle lui-même, notamment via la fourniture de services à la demande.

Le fait de ne plus opposer froidement l’assuré à la lecture de ses conditions générales écrites en police 6, mais lui permettre d’accéder à des services ou des prestations en cas de pépin — quitte pour l’assuré à régler un supplément s’il est partiellement couvert — représente un vrai changement de paradigme pour les assureurs. Ils doivent désormais être du côté de l’assuré, l’accompagner, trouver des solutions concrètes à son problème quand il survient. »

CHOC 10 | « LE CHURN, UN GROS MOT QUI S’EST MIS À CONCERNER L’ASSURANCE »

Par Alexandre Pengloan — Journaliste Eficiens

Le quoi ? Il y a encore quelques années, l’assureur ne se posait guère la question de la fidélisation. Et pour cause : le modèle : « je prends le même contrat que mes parents et je le conserve tout au long de ma vie » représentait la norme. En 2010, le taux de churn dans l’assurance était ainsi inférieur à 5%.

Depuis, il s’est passé beaucoup de choses et la donne a complètement changé. Plusieurs facteurs sont à prendre en considération :

  • avec le digital, le consommateur est devenu mieux informé. L’émergence des comparateurs en ligne a notamment joué un rôle déterminant. La technologie et les nouveaux outils rendent également le client plus exigeant. D’aucuns disent d’ailleurs que le digital a « inversé le rapport de force entre marque et client »
  • la réglementation a évolué avec en point d’orgue la Loi Hamon. Dès 2015, le taux de résiliation a ainsi augmenté de 16% en un an. La Loi Bourquin et la loi sur la résiliation de la mutuelle à tout moment s’inscrivent dans cette tendance qui offre bien plus de flexibilité au consommateur
  • la concurrence s’est étoffée. De nouveaux acteurs sont récemment apparus sur le marché — comme Luko, Lovys ou Leocare — avec la promesse d’une expérience client moderne (simple, fluide, mobile, etc.). La clientèle 2.0, caractérisée par sa volatilité, se dilue de plus en plus dans cette offre élargie.

En 2018, près d’un Français sur cinq a résilié son assurance habitation, auto ou santé (si ce n’est deux d’entre elles, ou les trois). Le churn est donc un terme qui s’est immiscé dans le quotidien des assureurs. Pour eux, intégrer cette problématique à leur stratégie globale n’est aujourd’hui plus une option. Les solutions existent toutefois, et sont nombreuses ! La preuve ? Chez Eficiens, nous avons concocté un livre blanc à destination des professionnels de l’assurance, avec 19 leviers à activer pour renforcer la fidélisation.

Vous pouvez retrouver cet article sur notre blog : https://www.eficiens.com/assurance-en-2020/

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