Hey VivaTech ! Et la Culture alors ?!!

Gravil Elisa
Elisa Gravil
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9 min readMay 23, 2019

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Cela fait trois sessions que j’arpente les allées et les conférences de VivaTech, et c’est avec tristesse que je vois se dissoudre année après année la place des musées et institutions culturelles au sein du salon digital le plus influent de France. Seule la musique, dans le secteur de la culture, semble tirer son épingle du jeu avec de nombreuses innovations.

Voici néanmoins en quelques lignes ce que je retiens de ce cru VivaTech 2019.

Un secteur muséal et patrimonial très dispersé

La configuration de VivaTech privilégie un regroupement par grandes entreprises, géants du numérique ou régions French Tech, ce qui ne favorise pas une lisibilité par secteur économique. Le patrimoine et tout ce qui a trait au tourisme se retrouvent donc éclatés sur la totalité du salon, majoritairement sur les stands des régions, alors que les startups culturelles auraient pu être regroupées sous la bannière du Ministère de la Culture pour mettre en avant leur poids économique.

Il est à noter que le logo du Ministère est particulièrement absent de VivaTech cette année. Que ce soit sur la mise en avant des Micro Folies sur la région Métropole Grand Paris ou sur le stand RMN Grand-Palais. Ce dernier, même s’il présente de l’art digital avec l’oeuvre d’Ange Leccia, a été divisé par deux et relégué au hall 2, alors qu’il était encore en majeur l’an dernier grâce à l’exposition Robots. De même le stand de la startup Histovery qui, il y a trois ans, drainait l’attention de nombreux visiteurs dès l’entrée du salon grâce à sa reproduction des salles du château de Chambord, se retrouve cette année perdue à proximité du stand Huawei.

Heureusement Léonard Le Visionnaire est là!

Il n’existe pas de label French Tech Culture (éternelle arlésienne). Son récent abandon par le député du Vaucluse François Cesarini, qui l’a pourtant défendu dés les premières heures, est très révélateur de la situation de la place de la culture dans le monde numérique : au pire une danseuse, au mieux un outil de soft power, très rarement un enjeu économique réel. Pour autant ce label aurait pu être attribué cette année à la région Centre Val de Loire.

Dynamisée par l’effet des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci, celle-ci a présenté pas moins de 7 sociétés impliquées dans la culture allant de startups désormais solides, comme GuestViews ou Archistoire, à des entreprises installées de longue date comme AGP – Art Graphique & Patrimoine. Si la mise en avant de la culture est tout à l’honneur de cette région, on ne note pourtant rien de bien nouveau parmi les solutions proposées. Il faut pour cela se rendre sur le stand du CNRS pour découvrir la startup marseillaise Mercurio qui a développé un scanner 3D permettant de générer de manière automatisée des modèles réalistes d’objets d’art.

Gageons néanmoins que le tout nouveau Smart Tourism Lab de Tours, qui cherche à lier “patrimoine et art de vivre ensemble”, permettra le développement de nouvelles initiatives pour l’an prochain !

Car une fois le soufflet Vinci retombé, ces startups ont conscience d’avoir une actualité beaucoup moins favorable à leur mise en avant. Et même quand l’actualité les porte, elles doivent lutter contre des acteurs beaucoup trop puissants.

« On ne met pas suffisamment à l’honneur les entreprises de notre taille quand on en a l’opportunité » déplore AGP qui a scanné Notre Dame de Paris avant l’incendie. « ….Ubisoft a monopolisé l’attention avec sa vision virtuelle de la cathédrale au détriment de notre travail scientifique rigoureux qui aurait mis la région (et nous mêmes) à l’honneur. Et sur VivaTech c’est encore Microsoft qui accapare l’attention sur le sujet de la 3D au service de l’architecture (cf ce qui suit). C’est difficile d’émerger face à ces géants. »

Toutes ces entreprises sont pourtant un levier économique essentiel et puissant, non seulement pour cette région, mais plus largement pour le secteur culturel et touristique français, comme il en sera discuté au forum Entreprendre dans la Culture .

Des startups culturelles à l’assaut du retail !

C’est ainsi que pour se développer ces mêmes startups se voient condamnées à prospecter des secteurs parfois très éloignés de la culture. Artify (Stand EDFPulse), qui développe une solution de promotion de l’art sur écran 4K, opte désormais majoritairement pour clients des entreprises du secteur privé. Livdeo (Bourgogne Franche Comté), qui vient d’obtenir un GRAMi Awards à Museum and the Web de Boston pour sa solution de médiation GEED basée sur l’intelligence artificielle, envisage le secteur de l’édition. La solution de livre d’or numérique GuestViews (Centre Val de Loire) s’ouvre à l’hôtellerie de luxe tandis que Sky Boy (stand TF1), pitche sur l’overlap reality dans le retail alors qu’elle a fortement été soutenue par le Centre des Monuments Nationaux ! De même Patrivia, qui propose de découvrir le meilleur du patrimoine en ligne, s’affiche sous le bandeau “e-commerce, retail et consumer goods”. Enfin c’est grâce à sa collaboration avec les acteurs du Grand Paris (pour lequel leur solution permet un saut dans le futur) que Timescope a gagné le concours de pitch de la région du même nom.

Si l’expansion des startups culturelles vers d’autres secteurs plus marchands est inévitable, inversement le secteur culturel ne pourrait-il s’inspirer des conseils dispensés sur VivaTech à propos des incubateurs?

Ainsi L’Oréal, La Poste ou BNPParibas, après la phase de détection précoce, de co-construction de proofs of concept, puis de partenariats de moyen terme avec des startups, envisagent souvent des prises de capital. L’Incubateur du Patrimoine, qui vient de recruter sa deuxième promotion, tout comme celui de la RMN-Grand Palais, ne devraient-pas envisager de telles prises de participations afin de bénéficier d’un minimum de retour sur investissement dans les startups à qui ils ont servi de tremplin ?

La médiation par les robots

Pepper, le robot le plus sympathique de la planète, était présent à VivaTech et nous invitait à jouer. Après avoir reçu un accueil sceptique par les musées français sur Museum Connections en 2018, il est parti aux Etats-Unis pour développer un partenariat avec la Smithsonian. Et ça marche ! Désormais plus de 15 robots accueillent, orientent et renseignent sur le contenu des œuvres. Les visiteurs adorent et ne cessent de faire des selfies avec ces gentils interlocuteurs qui ne se lassent jamais de leurs questions, même les plus incongrues, auxquelles il répond avec humour ! Pourtant, la majorité des musées restent persuadés comme Jack Ma que «Human is the next big thing», car malgré sa voix d’enfant et ses mimiques sympathiques, Pepper n’est qu’un robot et ne rêve pas!

Au fait, vous savez ce qui différencie l’IA de l’être humain ? Les machines n’ont pas de rêves. Tant que vous avez des rêves et que vous croyez en eux, vous n’échouerez jamais face aux machines.» – Jack Ma, fondateur et ex CEO d’Alibaba.

Mais où est passé Google Arts & Culture ?

On sait que la maison mère Google a une fâcheuse tendance à pratiquer la philosophie de Marie Kôndo (i.e. se débarrasser des applications ou outils qu’elle considère inutiles!). Pendant deux ans à VivaTech (et sur d’autres salons digitaux) Google Arts & Culture était la pièce maîtresse du stand, attirant le chaland grâce à son application de doppelgänger, permettant d’entraîner à coût zéro ses IA de reconnaissance faciale ou de reconnaissance d’écriture grâce à DrawArt.

Cette année Google Arts & Culture est fondu dans la masse, à peine visible. En cherchant bien, on trouve juste une petite allusion à son animation Big Bang Theory développée avec le CERN. Comme on ne se refait pas, Google Arts & Culture propose discrètement de réaliser son #StarSelfie en réalité augmentée sur l’application Big Bang AR récemment développée avec Nexus.

Y-aurait-il chez Google Arts & Culture une peur latente de polémiques à propos d’un usage non transparent de ses applications artistiques ? On est tenté de le croire quand on connaît les problèmes rencontrés dernièrement par Flickr. On est aussi enclin à penser que, face aux amendes qui se succèdent, la maison mère ne voit plus en Google Arts & Culture un outil de soft power suffisamment efficace pour amadouer la redoutable commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager. Cette dernière n’a pas manqué une fois de plus à VivaTech 2019, de rappeler à l’ordre les géants du numérique sur leur pratiques monopolistiques et peu éthiques. A quand donc la disparition de Google Arts & Culture ?

Et pourtant l’art intéresse la Tech

Face Book, pour développer ses lunettes VR Occulus, a besoin de contenus. Or les musées lui en fournissent d’excellents. C’est ainsi qu’il présentait sur son stand la visite en VR du Musée Anne Frank d’Amsterdam. Son détecteur d’aura pourrait donner lieu à des développements amusants au sein des musées qui se positionnent sur le bien-être. De même son traducteur -application AI Studio encore en bêta-pourrait servir à retranscrire les cartels de musées dans une multitude de langues. Il suffit de pointer la caméra de son téléphone sur le texte, surligner la partie à traduire et vous obtenez la traduction.

Il y a trois ans, Microsoft avait réalisé un coup de maître en créant un vrai/faux Rembrandt grâce à un programme algorithmique de GAN. L’an dernier, elle présentait dans son incubateur IA, Iconem, la société qui a scanné le patrimoine en danger du Moyen Orient, dont elle a par la suite largement exploité l’image à son avantage toute l’année 2018.

Mais depuis ses concurrents (dont IBM avec le Mauristhuis) se sont imposés comme des interlocuteurs plus intéressants pour les musées. La firme ne veut pas s’avouer vaincue. Elle est revenue en force en sponsorisant un Think Tank IA Culture lancé à Museum and the Web 2019 à Boston. À VivaTech elle a annoncé le lancement d’une plateforme en open access, de ressources architecturales aidant à la reconstruction de Notre Dame. Il s’agit encore d’un partenariat avec Iconem et l’école Polytechnique de Lausanne, à l’origine du TimeMachine qui a permis la reconstitution de Venise, des origines à nos jours.

Si l’initiative semble de prime abord très altruiste, elle pose de nombreuses questions éthiques. Qui sera garant de ces données du patrimoine universel sur le long terme (la plateforme Github appartient aussi à Microsoft)? Comment est rémunérée/valorisée la participation de milliers de citoyens qui vont donner leurs photos ( l’usage futur de la plateforme reste flou)? De même pour les fonds des musées qui seront téléchargés ? Est-il prévu une mention des noms pour accroître la visibilité des collections ? Rien n’est moins certain !

Last but not least côté grand groupe : le bruit courait dans les allées de VivaTech que Publicis préparait un projet d’envergure intégrant l’art et les musées ! To Follow.

Enfin pour terminer ce post, je laisserai à nouveau la parole à Jack Ma, en souhaitant pour la version VivaTech 2020 une présence forte et identifiable des initiatives culturelles car les musées sont de brillants CEO = Chief Education Officers !

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