Pourquoi l’UX designer est-il si populaire ?

Le design d’expérience utilisateur est bien plus que ce que le marché en fait.

Marwan Achmar
10 min readJan 18, 2014

Note
Cet texte est une traduction française de mon article original.

Aaah l’UX designer. Très courtisé ces derniers temps.

Au delà des termes à la mode, entre ce que le marché désigne comme ‘un User Experience (UX) designer’, et ce qu’est dans les faits le design d’expérience utilisateur, il existe tout un tas de raccourcis, d’amalgames et d’approximations. La plupart du temps, la description d’un poste d’UX designer est en réalité celle d’un designer d’interface (User Interface — UI). Cela a été largement discuté dans des articles comme celui-ci, celui-là, ou bien celui-là, et dans bien d’autres encore (ces articles sont en anglais). L’article que vous lisez a été inspiré par ce post.
Même les descriptions contenant les mots-clés wireframes, tests utilisateurs, création de personas; Bien que ces termes fassent partie de la boite à outils du design UX, cela ne fait pas de leur utilisateur un UX designer, de la même façon que ce n’est pas parce qu’on sait peindre un mur qu’on est décorateur d’intérieur. Voyons pourquoi.

A la fois expert et couteau suisse.

Tandis que le débat entre généralistes et spécialistes fait rage, l’UI designer (designer d’interfaces utilisateurs) est à la croisée de ces deux chemins. Comme souvent, la réponse à la question “Lequel est mieux que l’autre ?” est : “ça dépend”. Alors que le spécialiste est caractérisé par la nature unique de son livrable, le généraliste est capable d’en produire une grande variété, même si chacun pourra être un peu moins pointue que celui d’un (bon) spécialiste.

En reprenant cette logique, l’UI designer est spécialiste des écrans d’applications. Il produit une représentation de l’interface graphique,statique (une image) ou dynamique (en HTML). C’est sa spécialité, son point fort. Personne n’est meilleur que lui pour réaliser cette tâche. C’est rendu possible par sa maîtrise des outils nécessaires (Adobe Photoshop, Firweworks, Illustrator, ou bien Sketch, même Paint, celui que vous voulez tant que cela rentre dans votre processus). Cela dit, en tant que professionnels du web, nous comprenons qu’une représentation graphique et statique d’une interface ne peut pas être une fin en soi, pour de nombreuses raisons. Or, les clients et autres supérieurs hiérarchiques ne partagent pas cette vison des choses, et restent très attachés au fait de voir le produit fini dès les premiers jalons du projet. Le lourd travail qui en découle est entièrement supporté par l’UI designer.

Les méthodes et outils de travail sont en train d’évoluer afin de soulager ce poids : design directement dans le browser, ou de nouveaux logiciels comme Macaw. Et pourtant, même ces maquettes dynamiques ne solutionnent pas intégralement le problème.

Le livrable n’est pas roi.

l’UI designer se doit de connaître son environnement. Il travaille de près avec les équipes Produit et Technique. Cela lui permet de mieux cerner les utilisateurs finaux et le cadre technique du projet. Comme souligné par J. Gothelf dans son livre Lean UX (et vérifié par mes propres expériences), plus les intervenants du projet sont impliqués dans ce dernier en amont (dès le début est idéal), plus le processus sera fluide, car l’équipe sera plus à même de repérer tôt — et corriger — les erreurs conceptuelles et opérationnelles. Cela montre bien que l’UI designer, ainsi le reste de l’équipe projet, se doit de maîtriser les principes d’utilisabilité et d’accessibilité.
Cela n’est toujours pas suffisant, car il doit également être familier des autres aspects du processus, plus proches du produit : identité de marque (branding), stratégie de contenu (copywriting) et marketing, le scope du produit (“pour qui ?”, “comment ?”, “pourquoi ?”, …), les technologies utilisées, etc.
Bien sûr, c’est souvent le cas. Aujourd’hui, de nombreux designers, y compris moi-même, intègrent dans leur méthodologie de travail certaines pratiques d’utilisabilité : wireframes, tests utilisateur (de préférence la verion allégée), et même parfois des interviews d’utilisateurs (qui sont méchamment dures à mener).

L’UI designer est donc à la fois un spécialiste — en design d’interface — et un généraliser — en expérience utilisateur — (voir cet article pour référence). Cela ne fait toujours pas de lui un UX designer chevronné.

L’utilisabilité produit est aussi un job à temps plein.

Tout comme l’accessibilité, d’ailleurs. Les experts en ces deux domaines, mais aussi psychologues, sociologues, et bien d’autres, peuvent avoir une énorme valeur ajoutée à un projet donné. Chacun de ces spécialistes apporte des éclairages inattendus, impossible à prévoir pour des personnes n’ayant pas leur niveau d’expertise. L’accessibilité et l’utilisabilité, ayant connu leur essor en même temps qu’internet et la multiplication des écrans dans notre quotidien, ont pu se s’intégrer au processus de conception. La sociologie et la psychologie (notamment comportementale) sont, elles, souvent (toujours ?) mises de côté. La raison est simple : ces disciplines sont perçues comme trop théoriques et abstraites dans un processus moderne de travail en entreprise. Et les décisionnaires n’aiment pas la perte de temps (d’argent). C’est une erreur, et loin d’être une perte de temps (d’argent).

Les chercheurs sont très accessibles et sont le plus souvent très motivés à partager les fruits de leur travail, pour peu que l’on s’y intéresse. Leur point de vue unique a été forgé par des années d’étude d’un phénomène spécifique. L’UI designer ne fait pas partie de ces gens là. Il peut apprendre de leurs recherches, et parfois, travailler avec eux. Mais il ne sera pas à même d’explorer le sujet jusqu’au racines profondes du problème, et se contentera d’utiliser les grandes lignes et tendances identifiées. Et cela suffit.
Pourquoi doit-il quand même effectuer ce travail ? C’est simple : l’argent, encore une fois. Dans de nombreux cas (la plupart selon mon expérience — si ce n’est tous), il n’y a tout simplement pas assez de temps (d’argent) pour inclure une étude détaillée d’utilisabilité (ou autre champ d’expertise). Il revient donc à l’UI designer de prendre en charge l’utilisabilité et d’”ux-er” le bidule. C’est son boulot après tout, non ?

Le problème que je souligne ici est que le marché essaie de caser plusieurs postes à temps plein en un seul. C’est de bonne guerre, mais c’est une erreur.

Un compromis est nécessaire. Soit un seul individu s’occupe de faire cela, si le temps alloué le lui permet, mais avec les process et outils de son choix : au lieu d’aller-retours sans fin sur des maquettes “pixel-perfect” (au pixel près), laissons le design se passer intégralement dans le browser (navigateur), ou dans un environnement similaire. Ou alors, faisons intervenir plus de spécialistes (d’argent) sur le projet. Ce dont les entreprises ont réellement besoin quand elles annoncent chercher un UX designer, c’est un UI designer, au profil en T (“T-shaped”).

Et pourtant, quelque chose me chagrine un peu lorsque l’on parle de design d’expérience utilisateur. Même le terme lui-même est un peu bizarre : l’expérience utilisateur peut difficilement être controllée, alors comment la concevoir d’emblée ?
De plus, le terme est aujourd’hui très souvent associé aux interfaces sur écrans. Qu’en est-il de l’expérience utilisateur hors-ligne ? C’est une partie intégrante de l’UX design, et concerne même le design d’interface. Et pourtant, j’observe que ce fait n’est pas aussi répandu dans l’esprit des professionnels du secteur que ce que je pensais.

Le design d’expérience utilisateur est une démarche holistique.

Heureusement, Jesse James Garret répond à ces deux questions dans son livre, “Les éléments de l’Expérience Utilisateur”. Ce n’est pas l’expérience que nous designons. Nous designons le produit, qui, à son tour, fera prendre forme à l’expérience. Et aussi, les écrans ne sont pas la seule façon de vivre une expérience (formulé de la sorte, c’est indéniablement évident).

Un écran ? Où ça ?

Penchons-nous de plus près sur l’expérience de manger dans un fast food typique. N’importe lequel fera l’affaire, choisissez votre préféré. Ce type d’établissement offre une expérience parmi les simples et les plus fluides qui existent :

  1. Vous entrez dans le restaurant.
  2. Vous regardez le menu en vous plaçant dans une file d’attente.
  3. Vous (vous décidez au dernier moment un fois devant le comptoir et) commandez.
  4. Vous prenez votre plateau, et allez vous asseoir là où vous voulez ou pouvez.
  5. Vous mangez.
  6. Vous jetez les emballages vides dans la poubelle et placez le plateau sur le dessus.
  7. Vous partez, grassement repu et déçu de vous-même. Vous jurez de ne jamais y retourner, tout en sachant que vous vous mentez, mais vous ferez de votre mieux.

Toute personne ayant pénétré dans un fast food a au moins vécu les étapes six premières étapes. Et pourtant, à chacune d’entre elles, quelque chose peut mal se passer. Peut-être que le nombre de places assises dans le restaurant n’était pas suffisant au vu de l’affluence. Peut-être que la nourriture était froide quand vous avez mangé. L’employé à la caisse était désagréable. Vous n’avez peut-être pas trouvé le distributeur de paille. Les toilettes étaient sales. Ou alors, c’était juste une mauvaise journée et cela a réduit votre plaisir coupable.
Le nombre de facteurs pouvant influence la perception qu’a un individu de notre produit est astronomique. Cela nous interdit de considérer les choses comme acquises. La certitude totale ne peut pas être atteinte lorsque l’on parle d’expérience perçue. Par contre, nous pouvons concevoir et contrôller toutes ces petits choses qui constitue le tout (le produit), qui à son tour, pourra influencer l’expérience (jusqu’à un certain point).

Vous aurez aussi remarqué que dans l’exemple donné, le seul écran interactif est celui utilisé pour enregistrer votre commande (même si ce jour là, c’est peut-être vous qui avez appuyez sur les boutons d’une borne). Et pourtant, vous savezque quelquechose a été fait pour guider ce que vous étiez en train de vivre (d’expérimenter), à tout moment.

L’expérience est perception.

Parce que j’aime vraiment beaucoup la nourriture, je vais m’appuyer pour la suite sur un film de Pixar, Ratatouille, pour illustrer le point suivant (si vous n’avez pas vu le film, essayez, il est top !). Dans la scène où Remi, le rat, observe la cuisine du restauant depuis le toit, et décrit le rôle et les responsabilité de chaque membre de la brigade de cuisine, le film explique admirablement que TOUS sont importants. Le réceptionniste, le serveur, le chef, le sous-chef, le saucier, etc. Même celui au plus de l’échelle, le commis préposé aux poubelles. Chacun d’entre eux apporte de la valeur, qui vient s’ajouter à l’expérience globale. Cette expérience globale est la seule chose qui compte.

Si les plats sont bons, mais que le serveur est insupportable (comme cela arrive “parfois” à Paris), alors le produit est imparfait. Et bien, même si ce n’est pas une bonne chose, ce n’est pas la fin du monde. L’expérience, ce que le client va percevoir dans cette situation, est imprévisible. Peut être que cette personne ira sur Yelp et laissera l’avis suivant :

“Pas super mais acceptable (3/5)
Le serveur n’était pas super sympa mais la qualité de la nourriture ok pour un lieu touristique.
Bon point pour la musique, pas trop forte. Mes amis et moi n’avons pas eu à crier pour se parler”

Ou alors, l’avis se rapprochera plus de cela :

“ATTENTION PIEGE A TOURISTES !!! (0/5)
Je ne remettrai jamais les pieds dans cet horrible endroit ! Les employés n’ont aucun respect pour les clients. Et c’est cher ! Evitez-le à tout prix !”

L’expérience perçue de ce client dépend de ses valeurs et des ses sensibilités, à ce moment précis. D’ailleurs le terme même d’expérience utilisateur devrait être mis au pluriel : expériences d’utilisateurs. A chaque utilisateur, ses expériences. Il peut y avoir autant, si ce n’est plus, d’expériences distinctes qu’il n’y a d’utilisateurs, puisque même si plusieurs utilisateurs auront vécu la même expérience (bonne ou mauvaise), un utilisateur donné pourra vivre une expérience complètement différente la seconde fois.

L’expérience utilisateur est un résultat, qui est souvent plus que la somme de de ses composantes. Et l’UX designer dans tout ça ? Quel est son rôle, si l’expérience utilisateur est la somme de la perception de l’utilisateur joutée au travail de chacun ?

L’UX design est l’audit de l’usage.

L’UX designer est, finalement, un auditeur (le métier, pas la cible des chaines de radio). Il dispose d’un set d’outils très spécifiques qui peuvent être appliquées à n’importe quelle composante d’un produit ou d’un service.
Son objectif est de déterminer comment améliorer le produit, en travaillant à la fois en interne avec les équipes et les utilisateurs finaux, pour que ces derniers en tirent plus de satisfaction, et par conséquence, faire entrer plus d’argent dans les coffres de l’entreprise.
Il s’assure que le produit est cohérent de bout en bout et que chaque partie est optimisée pour les utilisateurs finaux, afin de minimiser la variance dans les expériences perçues.

L’UX designer vise à obtenir l’uniformité des retours utilisateurs.

Plus le produit est bien défini et cohérent, plus ses utilisateurs sauront à quoi s’attendre, et adapteront leur attentes en conséquence. Aucun produit n’est parfait, et ce n’est pas grave. Les chaînes de fast food ne sont pas exemptes de toute critique, mais leur offre est cohérente. Les expériences perçues par leurs clients sont similaires. Les gens ne voulant pas manger ce type de nourriture n’y mettent pas les pieds. Ceux qui entrent, savent à quoi s’attendre. La variance est donc faible, les expériences similaires, controllées. Il est alors possible de les fusionner en une seule expérience représentative. Ce n’est qu’à ce moment que l’on peut parler de design d’expérience utilisateur.

Revenons un peu aux écrans. Le raisonnement que nous venons de faire est toujours valable lorsque transposé aux applications en ligne. Oui, l’UX designer est certainement impliqué dans l’architecture de l’information, dans la stratégie de contenu, et dans le design d’interface. Mais il aide également l’équipe du service Relation Clients à réfléchir sur le ton donné à leurs réponses-types. Il travaille avec l’équipe Logistique pour réfléchir à un moyen de réduire le temps d’attente entre la commande et la réception du produit : comment faire pour que l’utilisateur le perçoive plus court qu’il ne l’est réellement. L’expérience est perception.

Et ces sept propositions de maquettes pour la refonte de la page d’accueil à livrer pour Jeudi ? Ce n’est pas son job. C’est le boulot du UI designer. Enfin je veux dire du web designer. Designer Visuel ?

Comme vous voudrez. Le principal est de s’assurer que toutes les personnes autour de la table partagent la même façon de voir.

--

--

Marwan Achmar

User Experience and Interaction Designer. I care about people, user experience, details, and consistency.